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1243 MESSE, LE S ACR1 FICE-OBL ATION : THÉORIES CONTEMPORAINES 1244

sacramentel, ce qui fui la victime offerte par le Christ devient également la victime offerte par nous. Et cette victime devient nôtre, parce que, membres du Christ, nous renouvelons, unis au Christ notre tête, et par un pouvoir reçu de lui-même, le mystère eucharistique par lequel, sous les espèces du pain et du vin est présentée à Dieu la victime même de la passion, le corps et le sang du Christ. » P. 303.

Cette position doctrinale permet au P. de la Taille de rejeter la plupart des opinions avancées par les théologiens antérieurs. Tout d’abord, il élimine l’opinion qui place la vérité du sacrifice, non dans l’oblation, mais dans la communion, soit des fidèles, soit même du prêtre. Ensuite, touchant la propriété de la victime offerte, il rejette, comme péchant par excès, les opinions qui, comme celles de De Lugo, Franzelin, Th. Raynaud, supposent le Christ amené à un état d’amoindrissement et de diminution dans le sacrifice eucharistique ; comme péchant par défaut, celles qui ramènent toute l’immolation de la victime au sacrifice de la messe à une immolation purement mystique ; comme péchant des deux manières, l’opinion de l’immolation virtuelle.

Si l’on compare la messe et la cène, dans l’opinion du P. de la Taille, on est obligé d’y marquer des ressemblances et des différences : « L’oblation eucharistique est un acte, non du Christ, mais de l’Église. Elle s’accorde néanmoins avec l’oblation que le Christ a faite de lui-même une seule fois, à la cène. C’est lui qui a donné à l’Église le pouvoir et l’ordre de l’offrir ; il demeure la cause principale et universelle de l’action sacrificale, au fond, l’unique prêtre. Le prêtre, ministre de l’Église, agit comme cause particulière et subordonnée ; il offre en vertu de cette unique oblation qui a été faite une fois pour toutes par le Christ. Avec cette différence que le Christ s’est offert pour subir la mort, et que nous l’offrons comme mis à mort autrefois. Avec cette différence encore qu’il s’est offert en préfigurant son immolation future, tandis que nous l’offrons en commémorant sensiblement son immolation passée. De part et d’autre, l’immolation est purement représentative ; l’oblation, au contraire, absolument réelle et présente : à la cène, oblation par le Christ ; à la messe, oblation par l’Église. En conséquence, si chaque messe forme un sacrifice propre et distinct, parce qu’il s’y fait une oblation nouvelle et distincte du Christ, nos sacrifices ne s’ajoutent pas au sacrifice du Christ, pour faire nombre avec lui, comme s’ils étaient du même genre : ils lui sont simplement analogues, le sacrifice du Christ étant le principal, et les nôtres subordonnés. D’où il suit encore que nos sacrifices n’ajoutent rien à celui du Christ, ni ne l’accroissent en aucune façon ; ils participent seulement de sa plénitude, mais d’une manière finie, déficiente ; si bien que, même multipliés autant qu’on voudra, ils ne sauraient l’égaler jamais ni atteindre sa mesure. » Lepin, op. cit., p. 674 (résumant le P. de la Taille, el. xvii, p. 195 ; el., xxiii, p.303.)

On le voit, la synthèse proposée par le P. de la Taille est extrêmement forte et une, dépassant de loin tout ce qui a paru depuis longtemps : elle sauvegarde complètement l’unité du sacrifice du Christ ; elle suppose, comme condition du sacrifice eucharistique, l’immolation mystique à l’autel, bien qu’il n’y ait, pour constituer essentiellement le sacrifice que l’immolation réelle, c’est-à-dire sanglante du Christ au Calvaire. C’est une thèse originale, dont nous trouvons des traits épars chez Plowden, Lepin, Pesch, Macdonald, Lépicier et Paquet ; mais ces traits sont réunis en un tout, dont l’idée centrale est la double nécessité, d’une part de l’immolation réelle, d’autre part, de l’oblation rituelle.

2. Quelques remarques.

Le système du P. de la Taille déborde la question précise de l’essence du sacrifice de la messe, et cependant son unité ne permet d’en négliger aucun aspect. Toutefois, afin de maintenir en sa cohésion notre discussion ultérieure, nous ouvrirons ici une sorte de parenthèse, où seront formulées quelques remarques préjudicielles relatives aux points qui, dans la synthèse du distingue théologien, ne touchent pas immédiatement à l’essence du sacrifice eucharistique. — a) Sur la nécessité de l’immolation dans le sacrifice. — Il convient d’attirer ici l’attention sur une assertion qui ne semble pas démontrée : la nécessité d’une immolation réelle, destructive de la victime, dans tout sacrifice, au moins propitiatoire. Voir col. 1238. Et même, en prenant à la lettre les assertions de l’auteur, il ne serait pas difficile de montrer que, nonobstant les principes.posés tout d’abord par lui au sujet du sacrifice latreutique, voir col. 1237, on rencontre chez le P. de la Taille des assertions qui sembleraient bien indiquer qu’il ne conçoit pas le sacrifice, tout sacrifice quel qu’il soit, sans immolation destructive ou immutative de la victime : « De tout ce qui précède, déclaret-il absolument, il suit que, pour constituer intégralement un sacrifice, il ne suffit pas de l’immutation ou, s’il y a lieu, de la destruction de la chose : il faut encore, de toute nécessité, une certaine oblation de cette chose, changée ou détruite. » El. i, p. 11. Et encore : « Le sacrifice se compose essentiellement de deux choses : un acte d’oblation et une immolation. «  Id., ibid. Il semble bien que cette formule « oblation et immolation » soit trop absolue. Du moins, même en restreignant la nécessité de l’immolation réelle, immutative ou destructive, aux seuls sacrifices propitiatoires, il semble bien encore que ce soit là une base fragile pour étayer toute la structure d’un système sur l’essence du sacrifice eucharistique. On veut démontrer que l’essence de l’acte sacrificiel est l’oblation, et l’on part du principe que toute oblation sacrificielle suppose essentiellement une immolation. M. Lepin, op. cit., p. 678 sq., fait justement observer qu’une telle conception est sujette à critique. Si l’oblation suppose dans le sacrifice une immolation réelle, il faudra que toute oblation, même celle du sacrifice eucharistique, « porte sur une victime qu’on doit immoler, soit sur une victime qu’on immole, soit sur une victime déjà immolée. » El. i, p. 11. Cf. Esquisse du mystère de la Foi, Paris, 1924, p. 4-5. M. Lepin conteste que ce principe puisse s’appliquer aux sacrifices de l’Ancienne Loi, où « la donation sacrificielle… suppose nécessairement la victime préalablement immolée ». Op. cit., p. 680. Nous nous contenterons de faire observer que ce principe : victima vel offertur immolanda, vcl offertur immolatione, vel offertur immolata, apporte, dans le présent débat, une solution a priori et non démontrée. S’il faut, en effet, s’en tenir à cette formule, la messe sera nécessairement l’oblation de la victime autrefois immolée à la croix, puisque le Christ ne peut plus aujourd’hui être réellement immolé. Mais ce raisonnement suppose comme acquis ce qu’il faudrait démontrer.

b) Sur la nécessité d’une oblation rituelle lorsque l’immolation est distincte de l’oblation. — D’après le P. de la Taille, lorsque l’immolation est accomplie par le prêtre, la donation peut être signifiée de toute autre manière que par un acte liturgique réel ; elle peut même être censée incluse dans l’immolation ou l’immutation elle-même. Mais, lorsque l’oblation est distincte de l’immolation (c’est le cas du sacrifice sanglant du Calvaire), pourquoi requérir absolument une oblation rituelle, antérieure ou postérieure à l’immolation ? Pourquoi déclarer qu’une parole ne suffira pas ? On affirme d’une façon absolue un principe a