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1215 MESSE, LE SACRIFICE-OBLATION : CONTROVERSES DU XVIII* SIÈCLE 1210

ment à nier la nécessité de la présence réelle, mais de plus l’existence d’une immolation actuelle, même simplement mystique, pour ne conserver que la représentation, par la séparation des espèces, de l’immolation de la croix.

2. La position des adversaires.

a) Contre Le Courrayer, le P. Lequien affirme la thèse catholique de la nécessité de la présence réelle, fondement de l’oblation véritable et actuelle « du corps et du sang du Sauveur, cachés sous les apparences du pain et du vin ». Op. cit., part. II, c. i, t. ii, p. 9. Mais il insiste également sur l’immolation mystique qu’implique actuellement en Notre-Seigneur, cette oblation de son corps et de son sang : « De cette vérité, que Jésus-Christ est tous les jours immolé et offert, véritablement, et réellement, quoique mystiquement, -sur nos autels…, il s’ensuit nécessairement qu’il y a dans l'Église chrétienne un vrai sacerdoce qui est une participation de celui de Jésus-Christ. » Ibid., p. 7. Ici immolation et oblation sont synonymes, ou plutôt, s’impliquent mutuellement. Deux lignes plus loin, eh effet, le P. Lequien parle du ministère des prêtres, par lequel le Christ « continue de s’immoler et de s’offrir pour nous. » D’ailleurs, cet auteur, dans les Instructions chrétiennes sur les sacrements, Paris, 1734, fait profession expresse d’enseigner la thèse de l’immolation virtuelle : « La mort que Jésus-Christ a endurée sur la croix, se renouvelle dans le sacrifice de la messe d’une manière mystique, parce qu’en vertu des paroles, vi verborum, ainsi que parle la théologie, son corps est séparé de son sang, comme il le fut à sa mort, quoique par une concomitance nécessaire, ils soient maintenant inséparables. »

b) Vivant serre peut-être encore de plus près la position de Le Courrayer. LIne page particulièrement expressive de ce théologien est à citer en entier :

On donne, dit-il, le nom de sacrip.ee à la victime qui est à sacrifier, ou qui est déjà sacrifiée, et à l’offrande qui est faite de cette victime. C’est en ce sens que Jésus-Christ est appelé notre sacrifice et qu’en quelque temps et en quelque lieu que Jésus-Christ s’offre, lui qui s’offre partout où il est, cette offrande peut porter le nom de sacrifice, dans le sein de Marie, à chaque moment de la vie de Jésus-Christ, au ciel, dans l’eucharistie, pendant tout le temps que restent les saintes espèces sous lesquelles il est renfermé. Mais ce n’est pas précisément dans ce sens et sous cette acception du nom de sacrifice que la sainte messe a été définie être un vrai sacrifice. Ce nom lui a été donné dans le même sens qu’au sacrifice de la croix, à cause de l’action qui s’y fait et qui y sacrifie et immole Jésus-Christ véritablement et proprement, mais d’une manière nonsanglante et mystique, au lieu qu’elle a été sanglante et corporelle sur la croix. Et c’est encore ici Jésus-Christ, comme sur la croix, qui se sacrifie et s’immole, parce que ce sont ses propres paroles, prononcées en son nom par le prêtre tenant sa place, qui font cette immolation mystique, qui sont le glaive qui sépare mystiquement le corps et le sang ; rien de tel n’est au ciel. Jésus-Christ n’y est sacrifié ou immolé ni d’une manière sanglante, car il n’y meurt pas ; ni d’une manière mystique, car il n’y a plus de mystère. Tout y est dévoilé, sans symbole et sans figure ; ce qui a engagé le cardinal de Richelieu (après avoir prouvé que Jésus-Christ étant toujours prêtre, doit en conséquence, avoir toujours un sacrifice a offrir) a conclure en ces termes que ce sacrifice est celui de la messe : Jésus-Christ ne pouvant sacrifier au ciel, doit par nécessité sacrifier par ses ministres en terre, s’il y a un autre sacrifice que celui de la croix, qui est ce qu’enseignent tous les Pères. Principaux points, c. vi, p. 165, 160 ; Uissertation contre les erreurs da Père Le Cnurrai/er, p. 18 sq.

c) L'évêque de Marseille, de Belzunce († 1755), rectifie lui aussi l’erreur de Le Courrayer sur l’essence du sacrifice eucharistique. « La Foi, dit-il, apprend aux enfants de l'Église que l’on offre à Dieu dans le sacrifice de la messe, et que l’on y immole le même Jésus-Christ qui est mort sur la croix, le même qui vit et

règne dans le ciel ; que ce n’est point seulement la mémoire de sa mort, mais encore Jésus-Christ lui-même, qui y est offert et immolé, caché sous les espèces et apparences du pain et du vin. » Instruction pastorale contre les erreurs du P. Le Courrayer, 1727 ', p. 22. Et, répondant à une lettre du P. Le Courrayer, le même prélat lui écrit : « Convenir avec vous que ces mots immolation mystique signifient immolation représentative, serait en vérité pousser la complaisance bien loin ; et vous ne pouvez exiger de moi que je reconnaisse qu’ils ne peuvent naturellement signifier autre chose qu’immolation mystérieuse, qui, pour être incompréhensible, n’en est pas moins réelle. Je ne dis pas que l’immolation de Jésus-Christ n’est pas représentative, mais je dis qu’elle est représentative et réelle tout à la fois. »

3. Condamnation par l'épiscopal de la thèse du P. Le Courrayer. — a) Le cardinal de Noailles, dans son Instruction pastorale contre les erreurs de Le Courrayer. 1727, rappellee : i ces termes la doctrine catholique : « Le sacrifice de la messe est le même que celui de la croix, puisque, pour nous servir des paroles du concile, sur la croix et sur l’autel c’est une seule et même hostie ; c’est le même pontife qui s’est offert alors sur la croix, qui s’offre aujourd’hui sur l’autel par le ministère des prêtres, et qu’il n’y a de différence que dans la manière de l’offrir. Sess. xxii, c. n. Jésus-Christ s’offrit sur le Calvaire d’une manière sanglante ; il est offert sur nos autels d’une manière non sanglante. Jésus-Christ fut immolé sur le Calvaire par sa mort actuelle et par l’effusion de son sang ; présent et vivant sur nos autels, il y est immolé d’une manière mystique et qui représente la mort. Jésus-Christ s’offrit sur le Calvaire d’une manière visible, en expirant à la vue du peuple juif : sur nos autels, la victime n’est aperçue que par la foi, Jésus-Christ est caché à nos yeux sous les apparences du pain et du vin ; le sacrifice est cependant extérieur et visible, puisque Jésus-Christ s’offre sous les symboles qui frappent nos sens. » P. 14. Le cardinal ajoute ensuite l’explication théologique suivant laquelle l’immolation non sanglante de Jésus-Christ sur l’autel consiste dans la séparation mystique du corps et du sang, et, sur ce point, fait sienne l’explication de Bossuet.

b) Outre 32 propositions censurées (on a rapporté ci-dessus celles qui concernent directement la présente question), l’Assemblée du clergé du 22 août 1727 fait une déclaration de foi catholique dont voici les deux passages principaux : « Il faut, selon la foi catholique, reconnaître dans le sacrifice de la messe, no : i une simple offrande d’une mort passée, mais l’offrande véritable d’une victime réellement présente ; et, en tant que présente, actuellement offerte à Dieu par le prêtre. C’est ce qu'énoncent ces paroles sacrées du canon : Nous ressouvenant, ô mon Dieu, de la bienheureuse passion de Notre-Seigneur, de sa résurrection et de sa glorieuse ascension, nous offrons à votre infinie majesté une hostie pure, sainte et sans tache, que nous avons reçue de vos mains, le pain sacré de la vie éter nelle et le calice du salut. Ce n’est donc pas seulement la mémoire et la mort de Jésus-Christ que nous offrons à Dieu ; c’est le corps et le sang de Jésus-Christ même, actuellement présents, et mis dans un état de victime sous les sacrés symboles. » Censure des livres du Frère Pierre-François le Courrayer, etc., Paris, 1727, p. 18. Et, quelques pages plus loin, les évoques expliquent comment la présence réelle est le fondement du sacrifice eucharistique : Jésus-Christ, dit le concile de Trente, sess. xxii, c. i, afin de nous laisser un sacrifice qui représentât son sacrifice sanglant sur la croix et qui perpétuât la mémoire de sa mort, a offert son corps et son sang sous les espèces du pain et du vin et a commandé aux prêtres de l’offrir. « Le mystère de la présence réelle a donc été institué par Jésus-Christ pour