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12Il MESSE, LE S ACRIFICE-OBL ATION : L'ÉCOLE FRANÇAISE 1212

Estius (voir col. 1148) croit le contraire probable. Car, dit-il, par la consécration d’une seule espèce, JésusChrist est rendu présent…, comme mort, puisque son seul corps, vi vcrborum, est rendu présent sous les espèces du pain, et son seul sang sous les espèces du vin ; car il n’y a sous les espèces, vi vcrborum, que ce qui est clairement exprimé par les termes dont la consécration est composée. Mais quoique la consécration des deux espèces ne soit pas, selon la doctrine d’Estius, de l’essence du sacrifice, elle est néanmoins de droit divin de son intégrité ; de telle sorte que l'Église ne peut pas dispenser pour consacrer une seule espèce… »

2. JacquesJoseph Duguet († 1733). — On retrouve également un point important de la doctrine du P. de Condren, celui du sacrifice céleste, chez l’oratorien Duguet, en ce sens qu’il insiste sur l’oblation céleste du Christ. Dissertations théologiques et dogmatiques, Paris, 1722, dissert. II, sur ['eucharistie, part, ii, n. 68. Mais ce point de vue doit être complété. Duguet est de l'école de Bossuet et de Condren en tout ce qui touche à l’immolation mystique qui constitue le sacrifice de l’autel. On pourrait multiplier les citations. « (Jésus-Christ) a pu s’immoler après sa mort, puisqu’il a pu s’immoler avant que de mourir… Il a pu joindre une immolation réelle à la mémoire de son immolation passée, comme il a pu joindre une immolation très réelle à une immolation anticipée. » (On remarquera l’immolation réelle de l’eucharistie, mise en parallèle avec l’immolation très réelle de la croix)… Explication du mystère de la passion, part. II, a. 3, c. xvii. Cf. a. 5, c. xxii. Et enfin, a. 7, c. xxiv : « Nous devons (à l’eucharistie) la perpétuité de l’oblation de Jésus-Christ ; nous lui devons la perpétuité de l’exercice de son sacerdoce ; nous lui devons l’Hostie qui s’est immolée une fois pour nous sur le Calvaire et qui s’immole sans cesse pour nous sur nos autels. » Duguet unit, on le voit, très intimement l’immolation sanglante, très réelle, du Calvaire et l’immolation réelle, non sanglante et mystique, de l’autel, la seconde renouvelant la première. Toutefois, il parle nettement de deux immolations. Cette opinion a reçu développements et précisions dans la « Lettre de M. Duguet à M. de Mirepoix », t. vi, lettre 8. Voir Défense de la Dissertation sur la nature et l’essence du S. Sacrifice de de la messe (par Rivière-Pelvert), Paris, 1781, t. ii, p. 277 sq.

3. Le liturgiste Pierre Le Brun († 1729) suit de très près le P. de Condren dans son exposé des conditions du sacrifice : acceptation de la victime par les prêtres ; son oblation à Dieu ; changement ou destruction affectant la victime ; enfin consomption. Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe, Paris, 1813. Traité préliminaire : Du sacrifice et des préparations prescrites pour l’ofjrir, n. 16, 17. Il accueille aussi l’idée de l’oblation permanente du Christ, oblation commencée avec l’incarnation, continuée sans interruption à travers tous les mystères de la vie et de la mort de Jésus, et se perpétuant dans le ciel et parallèlement sur la terre. Ibid., n. 16 ; cf. part. IV, De la messe, art. 2, § 2. Il met également en relief l’idée de l’union de l'Église avec son chef dans l’offrande du sacrifice, Tr. prélim., n. 20. Mais, chez Le Brun encore, nous constatons que l’essence du sacrifice eucharistique est placée dans l’immolation de la victime. Le Brun le fait en combinant la théorie de Lessius et celle de De Lugo : « Dans les holocaustes et dans les sacrifices pour les péchés et pour les délits, la victime était immolée et égorgée ; elle changeait d'état. Ici le pain et le vin sont changés au corps et au sang de Jésus-Christ, qui est immolé et comme en état de mort sur l’autel parce qu’il est privé des fonctions de la vie naturelle qu’il avait sur la terre, et parce qu’il y est avec des signes de mort par la

séparation mystique de son corps d’avec son sang, , ainsi que saint Jean voit devant le trône du ciel l’Agneau vivant, puisqu’il était debout, mais en même temps comme immolé et comme mort, à cause des cicatrices de ses plaies et des marques de son immolation sanglante qu’il conserve même dans la gloire. » Ibid., n. 17.

4. On retrouve nombre d’idées du P. de Condren chez l'évêque de Toulon Louis-Albert Joly de Choin († 1759). « A la suite du P. de Condren, écrit M. Lupin. op. cit., p. 555, de Choin conçoit le sacrifice de JésusChrist comme une immense réalité, qui a commencé à son incarnation, s’est développée en sa passion, en sa résurrection, en son ascension, et se continue éternellement au ciel. La liturgie même de la messe lui paraît exprimer cette vérité (Cf. Instructions sur le rituel, Paris, 1829 : Du sacrifice de la messe, t.i, p. 295.). D’après de Choin, comme d’après de Condren, l'élément proprement constitutif de ce grand sacrifice de Jésus-Christ (l’eucharistie)… c’est l’oblation. Or, cette oblation se renouvelle, et par conséquent le sacrifice de Jésus-Christ se reproduit chaque jour sur nos autels. » Toutefois, écrit de Choin, la messe « n’est pas une simple mémoire et représentation de la mort de Jésus-Christ, c’est une oblation véritable et propre, quoique non sanglante et mystique, de Jésus-Christ réellement présent et immolé sous les espèces du pain et du vin… Dans la consécration, le corps et le sang sont mystiquement séparés, parce que Jésus-Christ a dit séparément : Ceci est mon corps, ceci est mon sang ; ce qui enferme une vive et efficace représentation de la mort violente qu’il a soulîerte. Ainsi le Fils de Dieu est mis sur la sainte Table, en vertu de ces paroles, revêtu desjsignes qui représentent sa mort. » Et encore : « Le glaive est la parole qui sépare mystiquement le corps et le sang ; ce sang par conséquent n’est répandu qu’en mystère, la mort n’intervient que par représentation. Sacrifice néanmoins véritable, en ce que JésusChrist y est véritablement contenu et présenté à Dieu sous cette figure de mort… » De l’eucharistie considérée comme sacrifice, édit. de 1748, t. i, p. 61, 63, 56. Et dans l’instruction sur le sacrifice de la messe, déjà citée : « .Le prêtre, y lit-on, fait l’immolation mystique de la victime par la consécration séparée du corps et du sang de Jésus-Christ sous l’espèce du pain et du sang de Jésus-Christ sous l’espèce du vin. Il fait cette consécration au nom et en la personne de Jésus-Christ, dont il emprunte les paroles, ou plutôt il n’est que l’organe de Jésus-Christ, qui parle et consacre par sa bouche. »

5. Benoît XIV (j 1758) est un dernier exemple de la possibilité d’unir certaines idées chères à l'école oratorienne à la thèse du sacrifice-immolation. Sur l’essence du sacrifice, Benoît XIV se rapproche de Tournely dont il accepte les idées. Le sacrifice n’existe pas sans destruction ou immutation de la victime. A la messe, il y a destruction, soit en ce que les espèces sacramentelles sont consommées, soit en ce que, par la consécration du pain, le corps est placé sous l’hostie et le reste de l’humanité de Jésus-Christ par concomitance, par la consécration du viii, le sang est mis dans le calice avec, par concomitance, le corps, l'âme, la divinité de Jésus-Christ ; soit en ce que, dans le sacrifice eucharistique, le Christ, qui est la victime, est détruit non dans son être substantiel, mais dans son être sacramentel. De sacrosancto missæ sacrificio, dans Migne, Cursus theologicus., t. xxiii, t. II, c. xvi, n. 22. « Interprétant la prière Suscipe sancta Trinitas, et la triple mention qui y est faite de la passion, de la résurrection et de l’ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Benoît XIV s’exprime dans les mêmes termes que l'évêque de Toulon. A son sens, les trois grands mystères sont mentionnés, comme constituant