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    1. MARONITE (ÉGLISE)##


MARONITE (ÉGLISE), PATRIARCHES, XIX* SIÈCLE

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dans les sphères officielles, le désir de le voir à la tête du moutasarrijat du Liban. Le 23 septembre 18(57, il s’embarqua pour la Syrie ; et le 1 er octobre, il était à Tripoli. Debs, op. cit., t. viii, p. 754-750 ; Ghabricl, loc. cit., p. 788-798 ; Al-Mas’oudi (= Paul Mas’ad), La Puissance ottomane au Liban et en Syrie, en arabe, (Le Caire), 1917, p. 76, n. 1.

Le 14 juin 1868, Franco pacha fut nommé gouverneur du Liban. Il n’oublia pas les démarches faites en sa faveur à Constantinople. Durant l’exercice de ses hautes fonctions, il entretint avec les autorités religieuses les meilleures relations. Son successeur, Ruslem pacha (1872-1882), administrateur remarquable, mais caractère de despote, ne conserva pas cette politique de bons rapports avec la hiérarchie ecclésiastique. Il afficha même des tendances anticléricales et lit exiler par la Porte, en 1878, un prélat maronite des plus vénérables, Pierre Bostànî, sous, le prétexte mensonger que la présence de l’archevêque pouvait déchaîner des conflits sanglants entre druses et maronites. Cf. Louis de Baudicour, La France au Liban, Paris, 1879, p. 296-297. On devine les soucis du patriarche et l’activité qu’il déploya pour donner à cette affaire une solution honorable. Au Liban, il avait trouvé, dans cette question comme dans tant d’autres, un conseiller sage et expérimenté en la personne de Jean Hadj, archevêque de Ba’albek. En France, le cardinal Guibert et Mgr Dupanloup négocièrent auprès du gouvernement pour faire réparer l’outrage infligé à l’Église maronite. Baudicour, loc. cit., p. 295-296. Le résultat fut le retour du vénérable exilé dans des conditions dignes de sa personne. Les anciens du Liban évoquent encore avec fierté les cérémonies de ce retour, réglées par le patriarche lui-même. L’exil n’avait pas duré longtemps : Bostànî se trouvait déjà auprès du patriarche le 9 novembre 1878.

Mas’ad mourut le 18 avril 1890, âgé de 85 ans. L’histoire des Églises orientales le range parmi les grands patriarches. D’une culture intellectuelle remarquable, il a laissé plusieurs ouvrages : a) Addor-oulmanzoûm (les perles disposées en série) ou réfutation des questions et réponses signées par Mgr le patriarche Maxime Mazloûm, imprimerie du monastère de Tamich (Liban), 1863. C’est un livre où l’on trouve sur les Églises d’Orient beaucoup plus de renseignements que le titre n’en promet, b) Un ouvrage sur la procession du Saint-Esprit, réponse à Fathallah Marrâch. L’argumentation était si bien menée que Marrâch entra dans l’Église catholique, c) Un traité sur la perpétuelle virginité de la Mère de Dieu, d) Plusieurs dissertations relatives aux maronites, e) Un précis historique de la famille El-Khazen. /) Un recueil de documents. Cf. Debs, op. cit., t. viii, p. 756-757.

Le 28 avril 1890, à l’unanimité, l’épiscopat maronite proclama patriarche l’archevêque de Ba’albek, Jean Hadj. Le 4 mai suivant, eut lieu la cérémonie de l’intronisation et Mgr Élie Hoyek, archevêque d’Arka, aujourd’hui (1927) patriarche, partit pour Rome avec le dossier traditionnel. Léon XIII accorda pallium et confirmation au consistoire du 23 juin 1890. Leonis XIII pontifteis maximi acta, t. x, Rome, 1891, p. 166-169 ; Anaïssi, Bull., p. 532-537. Des relations d’étroite amitié unissaient Mgr Hadj au patriarche défunt. Mas’ad avait fait de lui son confident et son conseiller, et il ne pouvait mieux placer sa confiance. Au moral comme au physique, Jean Hadj était d’une incomparable distinction. Haute stature, taille mince et élancée, une tête d’une remarquable finesse, un large front derrière lequel on devinait une pensée toujours en éveil, le regard clair, profond, pénétrant. A une expérience consommée des hommes et des affaires, il alliait le sentiment aigu de son rôle et de sa dignité, un zèle dévorant, un mépris complet des

difficultés, la passion de créer. Par-dessus tout, l’amour de Dieu, de l’Église catholique et du peuple maronite. Au cours de sa carrière, Jean Hadj avait eu mainte occasion de mettre en évidence les qualités de son caractère : prudence, fermeté, persévérance, et cette parfaite maîtrise de soi que ses contemporains ne se lassaient pas d’admirer. On lui confie les fonctions délicates de juge civil, au moment où la révolution bouleversait le Liban. Sans crainte, avec calme, il prend en main l’intérêt de ses administrés, défend leurs droits sans autre préoccupation que celle de la justice, et force l’estime de tous. On le nomme à la tête d’une éparchie dont l’évêque n’avait même pas où reposer sa tête : point de résidence, nulle ressource. Il quitte le diocèse de Ba’albek après en avoir fait un des évêchés les plus enviés de la Syrie. Tel est le personnage qui présida aux destinées de l’Eglise maronite de 1890 à 1898. Sous son pontificat, la dignité patriarcale s’entoure d’un éclat qu’elle n’avait jamais connu. Il transforme les résidences, donne du prestige à la fonction. Jusque-là, le chef de l’Église maronite habitait à Békorki « un monastère aux hautes murailles, percées de loin en loin par d’étroites fenêtres, et ressemblant plutôt à une forteresse qu’à un patriarcat. Autour d’une cour intérieure, régnait un cloître blanchi à la chaux et dallé de pierres sous lequel donnait la porte du divan ou salle de réception. » ytesse d’Aviau de Piolant (qui visita Békorki en 1880), Au pays des Maronites, Paris, 1882, p. 18. Mgr Hadj estime cette demeure trop modeste pour le chef d’un peuple. A peine avait-il pris possession de son office qu’il commença la construction d’un vrai palais, sur les voûtes de l’antique couvent. La nouvelle résidence, dotée d’une église, d’une bibliothèque, de salons spacieux et clairs, d’une suite de chambres desservies par de larges corridors, est conçue dans un style sobre, mais élégant, d’une saisissante beauté. Même transformation à Dîmàn, où Hadj faisait bâtir sa nouvelle maison d’été, plus modeste cependant que Békorki, à quelques mètres de celle qu’avait élevée Hobaïch. Et dans ces demeures, sous le pontificat de Jean Hadj, défilent les autorités religieuses et civiles de l’Orient asiatique : prélats de tous les rites, consuls, pachas, gouverneurs, émirs, cheikhs, notables de toutes les races et de toutes les nationalités. Le patriarche n’a rien à craindre de ces regards ; il fait grande figure dans tous les milieux. Du reste, l’éminence de ses vertus, la rareté de ses talents, le succès de ses entreprises lui assurent le respect et la considération. Le président de la République Française lui décerne la cravate de commandeur de la Légion d’honneur, le sultan de Turquie, le Medjidié de première classe et — ce qu’aucun patriarche n’avait encore obtenu — le grand cordon Osmanié.

On se tromperait étrangement, toutefois, en se figurant Mgr Hadj comme un grand seigneur oriental dont les soucis se bornent à la représentation. Le côté extérieur de sa charge n’avait pour lui qu’une importance secondaire ; le but principal que poursuivait son autorité était d’un ordre plus élevé, de l’ordre spirituel. Il s’attache à promouvoir le progrès du peuple maronite dans toutes les sphères religieuse, sociale, intellectuelle. Il donne une vigoureuse impulsion aux établissements scolaires, à la discipline du clergé, aux œuvres diverses susceptibles d’élever le niveau des fidèles. Ses lettres pastorales témoignent de cette sollicitude. En toutes circonstances, il se montre l’ami dévoué, le défenseur averti des fondations latines ou maronites, destinées à l’instruction de la jeunesse, au soulagement des pauvres, au développement intelligent de la vie chrétienne. On se rappelle encore, au Liban, le beau geste qu’il accomplit au lendemain de la promulgation de la lettre