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MESSE, LE SACRIFICE-OBLATION : L’ÉCOLE FRANÇAISE


eut ion du sacrifice sanglant et prochain de la croix. Bérulle le décrit à la façon de Lessius : « C’était le glaive qui faisait le sacrifice de la Loi. et maintenant c’est la parole de Dieu qui fait le sacrifice de l’Église, l’un et l’autre étant vrai et propre sacrifice, c’est-à-dire cette parole toute-puissante du Verbe : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, laquelle étant plus tranchante et pénétrante que le glaive, ferait la séparation du sang d’avec le corps et la division du corps d’avec l’esprit, si la Divinité ne l’empêchait par le privilège de l’immortalité. A raison de laquelle cette parole divine a bien puissance de faire que le Fils et l’Agneau de Dieu soit mis et offert en l’autel, mais non qu’il soit occis en icelui, ni que son sang soit séparé de son corps et de ses veines. » Ibid.

b) Discussion. — Sacrifice réel, réalisé par le moyen de la double consécration ; immolation mystique ; offrande de soi-même faite par le Christ sacramentellement présent sur l’autel ; voilà trois affirmations, incontestablement bérullielines. Est-ce à dire que l’immolation mystique, par laquelle Jésus est présent dans l’eucharistie d’une façon qui symbolise la passion et la mort sanglante, ne soit qu’une condition de l’offrande, laquelle constituerait l’essence même du sacrifice ? Rien dans le texte du cardinal ne nous paraît autoriser cette déduction. Bien au contraire, la thèse que nous avons déjà relevée chez Bossuet et d’autres théologiens catholiques est explicitement enseignée. Le sacrifice de la cène n’est pas l’offrande de l’immolation sanglante de la croix. Il est bien vrai que le sang est répandu sur la croix, ce que nous ne nions pas ; mais il est inexact dédire qu’il ne soit répandu qu’en la croix ; les paroles de Jésus-Christ à la cène ne s’entendent pas que de cette effusion de la croix, « car les évangélistes nous rapportent non une, mais trois effusions de son sang au dernier jour de sa vie, l’une mystérieuse en l’autel entre ses espèces ; l’autre violente et miraculeuse au jardin et (comme nous pouvons penser) entre les anges ; et la troisième, violente mais ordinaire, en la mort de la croix entre ses bourreaux. Et deux auteurs sacrés vous empêchent de référer cette oblation du corps de Jésus-Christ et cette effusion de son sang à la croix ; car saint Paul rend ces premières paroles : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous, par celles-ci : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous (I Cor., xi, 24), lesquelles ne se peuvent référer directement sinon au corps de Jésus-Christ sous les espèces sacramentelles. Donc ce corps, tandis qu’il est sous ces espèces, est donné et est rompu pour vous. Interprétant Luc, xxii, 26, dans le même sens, Bérulle conclut que par là est démontré le sacrifice. Le corps donné pour nous, le sang mystiquement répandu pour nous, voilà le sacrifice eucharistique : « Du texte de Luc, deux puissants et violents efforts sont tirés pour la vérité du corps et du sacrifice de Notre-Seigneur en l’eucharistie, que Bèze n’a pu parer qu’en proférant un blasphème, en ôtant l’autorité du texte sacré… » Ainsi dans ce mystère, Jésus-Christ « sait effectuer et établir une immolation sans occision, une manducation sans digestion et, en somme, un sacrifice vrai et parfait, sans être pourtant un sanglant sacrifice. Car, à parler proprement et généralement, il n’est pas de l’essence du sacrifice d’enclore l’occision de l’hostie, mais seulement de l’exclure hors d’usage commun et vulgaire, et l’appliquer et dédier ù un usage du tout religieux et sacré ; et, où la destruction de l’hostie serait nécessaire, il n’est pas besoin qu’elle se fasse en l’acte précis du sacrifice ; mais il suffit qu’elle soit destinée à cette immolation ou qu’elle ait été auparavant immolée », n. 13 et 14, p. 702 sq.

Quoi de plus clair ? Nous sommes bien en face du concept sacrifice-immolation mystique, l’oblation

étant incluse dans cette immolation par le fait de la présence eucharistique. Et la conclusion est aussi ferme en ce sens : « Disons donc que le Sauveur… a institué un sacrement et un sacrifice tout ensemble…, que ce sacrifice non sanglant est pleinement fondé au sanglant sacrifice de la croix, duquel il tire et sa nature et sa vertu, car sans la croix nous aurions bien Jésus-Christ présent en ce banquet, mais nous n’aurions pas une victime présente, d’autant qu’il est fait victime par le sacrifice de la croix ; que cette qualité n’intéresse point la vie naturelle de Jésus-Christ, car nous le croyons être toujours vivant et glorieux, et au ciel et au sacrement… (n. 14, col. 704). L’eucharistie est donc dite un sacrifice, en tant qu’elle rend sous ces espèces l’hostie du genre humain présente devant Dieu, c’est-à-dire ce corps qui est livré pour nous, et ce sang qui est répandu pour nous. » N. 15. col. 705.

Le parallélisme du sacrifice céleste et du sacrifice eucharistique est abordé en quelques mots par le cardinal de Bérulle : « Ce mystère, déclare-t-il en parlant du sacrifice eucharistique, porte un état éternel, car (Jésus-Christ) est ici et prêtre pour l’éternité, sacerdos in œternum, Hebr., v, 6, et hostie éternelle, puisque, jusque dans le ciel et dans l’état de la gloire, il y est comme agneau et agneau de Dieu ; cet agneau qui a été chargé des péchés du monde… Et saint Jean, en son Apocalypse, v, 6, dit qu’il a vu cet agneau comme occis, tanquam occisum. Et ce même prêtre qui s’offre éternellement à Dieu en l’état d’hostie dans le ciel, a voulu demeurer en la terre et sur nos autels, et s’y offrir par nos mains à la majesté de Dieu son Père en cet état d’hostie. Tellement qu’il est véritable de dire que nous avons en la terre et en ce mystère, aussi bien que les saints dans le ciel, un prêtre éternel et une hostie éternelle ; avec cette différence toutefois que nous possédons ce trésor dans l’obscurité de la foi et sous le couvert des espèces sacramentelles, et les bienheureux le possèdent dans la splendeur et la manifestation de la gloire. » Œuvres de piété, lxxx : Des excellences du très Saint-Sacrement et de la religion chrétienne, n. 1, col. 1056.

3. Le P. Ch. de Condren († 1641). — a) Exposé. -Les Conférences du P. de Condren, deuxième supérieur général de l’Oratoire, recueillies par ses disciples ont été publiées d’après les notes de plusieurs d’entre eux par le P. Quesnel, en 1677, sous ce titre : L’idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ. Une nouvelle édition, revue et corrigée par le même éditeur, parue en 1697, a servi de base pour les éditions postérieures. Nous suivons ici celle de l’abbé Pin, Paris, 1858. Quesnel a certainement apporté des modifications à la pensée primitive du P. de Condren. Nous renvoyons à M. Lcpin, pour cette discussion d’ordre critique. Voici comment au point de vue théologique, on peut présenter la synthèse de la doctrine du P. de Condren, op. cit.. Il" partie.

a-. — D’après les buts du sacrifice décrits au ci, p. 49-51, il semble que le sacrifice requiert essentiellement un acte de destruction de la victime. L’auteur le déclare d’ailleurs expressément : « Le sacrifice étant institué pour reconnaître Dieu comme auteur de tout l’être, et pour honorer son souverain domaine sur cet être, il demanderait la consomption et la destruction entière. Si dans les sacrifices tout n’est pas détruit et consommé par la mort des hosties et des victimes, cela vient de l’imperfection du culte humain et de l’impuissance de l’homme qui ne peut rien davantage. De sorte que la mort n’est proprement qu’une représentation de cette entière destruction de l’être, qui devrait se faire dans le sacrifice en hommage de l’être divin et de son domaine sur tout l’être créé. » P. 49-50. Le sacrifice de Jésus-Christ a été offert pour satisfaire à tous les devoirs et à tous les besoins de la créa-