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1195 MESSE, LE S ACRIFICE-OBL ATION : L'ÉCOLE FRANÇAISE 1196

rapports de cette doctrine avec la notion du sacrificeoblation.

1° Autorités douteuses en faveur du sacrifice-oblation. — 1. Le cardinal Du Perron. — L’autorité de ce grand controvcrsiste a été mise en avant en faveur de la thèse du sacrifice-oblation, au xviiie siècle. Il est donc nécessaire de rapporter la doctrine de ce théologien. , Du Perron, en effet, semble exclure du sacrifice de la messe tout acte d’immolation présente, pour ne retenir que l’immolation passée, mais réelle, de la croix, sous une oblation renouvelée autant de fois que se renouvelle le sacrifice de la messe. « Le sacrement du corps du Christ est le corps du Christ en deux diverses manières : l’une vraie et réelle, en tant qu’il se réfère au 'corps du Christ vivant, animé, glorieux ; l’autre, simplement figurative et représentative, en tant qu’il se réfère au corps de Christ considéré comme corps immolé, c’est-à-dire constitué en l'être actuel de corps occis, mort et inanimé. » Du SaintSacrement de l’Eucharistie, Paris, 1622, I. II, c. iii, p. 433. Et encore : « L’oblation de l’eucharistie… est une même oblation avec celle de la croix, tant à cause de l’unité de la victime, qu'à cause de l’unité de l’occision de la même victime. Car ni la substance de la victime ne se multiplie point en chaque eucharistie, comme faisaient les Juifs, mais demeure toujours une en nombre ; ni l’occision de la même victime ne se multiplie point non plus, comme faisaient les sacrifices juifs, où chaque oblation répétée avait son occision particulière ; mais la même seule et unique occision de Jésus-Christ faite en la croix, sans se réitérer, sinon par représentation en mémoire, image et figure, sert de fondement commun à toutes les oblations subséquentes…, de sorte que notre sacrifice, quant à la chose offerte, est le même sacrifice que celui de la croix ; et, quant à l’occision, est le même représsntativement, c’est-à-dire : l’image, la mémoire, la représentation du même sacrifice. » Œuvres diverses, Paris, 1633, p. 342 ; cf. p. 516, 852.

Maintenant le cardinal controvcrsiste n’admet-il dans la messe qu’une représentation de l’immolation sanglante de la croix, représentation contenue dans la séparation sacramentelle des espèces ; ou bien cette séparation sacramentelle manifeste-t-elle pour Du Perron une immolation présente, représentative de l’immolation passée ? La deuxième interprétation semble ne faire aucun doute, car Du Perron déclare expressément que « l’oblation quotidienne de l'Église contient la vérité et l’image du sacrifice de la croix ; la vérité quant à l’essence de la victime ; l’image et la figure, quant à l’acte d’immolation. » Œuvres diverses, p. 516. L’immolation représentative est donc, selon le cardinal, un acte d’immolation, donc une chose présentement effective et réelle, quoique sa réalité ne soit pas de même nature que celle de la chose qu’elle représente. En lisant attentivement le premier des textes ici rapportés, on doit conclure que l’acte d’immolation représentative s’accomplit à la messe sur le corps même de Jésus-Christ, et non pas sur les apparences extérieures, et que ce corps y est considéré comme corps immolé. Pour le cardinal, l’acte d’immolation consiste dans les paroles de la consécration qui produisent la division sacramentelle du corps et du sang de Jésus-Christ. Cf. Œuvres diverses, p. 985. Il faut donc éviter de conclure trop rapidement que le cardinal Du Perron, parlant du sacrifice de la messe, y semble mettre en opposition la vérité de la victime et Yimage de la représentation, qu’il n’y a pour lui de réel que la présence de Jésus-Christ et l’oblation, mais que l’immolation n’est à l’autel qu’une figure. Il enseigne, au contraire, que la victime sanglante qui était sur la croix, c’est-à-dire Jésus-Christ, est réellement sur l’autel en état de victime non sanglante : ce n’est pas

une simple représentation du corps et du sang de Jésus-Christ immolé sur le Calvaire ; c’est le corps et le sang même de Jésus-Christ immolé sur l’autel. Quant à l’immolation, réelle (c’est-à-dire sanglante) sur la croix, elle est à l’autel représentative du sacrifice de la croix. Mais cette immolation représentative n’est pas seulement la séparation extérieure des espèces ; elle est un acte véritable, et cet acte consiste dans la consécration, dont les paroles, qui sont la forme du sacrifice, divisent sacramentellement le corps et le sang de Jésus-Christ. On le voit, le cardinal Du Perron parle, en somme, comme Salmeron ou Vasquez.

2. Le cardinal de Bérulle, fondateur de l’Oratoire. — a) Exposé. — Un troisième élément de la thèse du sacrifice-oblation, élément qu’on rencontre déjà chez Gaspard Casai, voir col. 1184, est mis en relief par Bérulle : l’oblation faite par Jésus-Christ, seul prêtre de son sacrifice au Calvaire, n’existe pas seulement au moment de la passion : cette oblation a été inaugurée à l’instant même de l’incarnation. En même temps que par le mystère de l’incarnation, la vraie et unique hostie du Père est préparée et séparée du commun des hommes et consacrée par l’onction de la divinité, elle est offerte et présentée à Dieu par l’oblation que Jésus fait de soi-même en entrant dans ce monde : « La naissance du Christ est proprement un mystère d’offrande et d’adoration. » Discours de l’estat et des grandeurs de Jésus, discours xi, a. 4, dans Œuvres complètes, édit. Migne, Paris, 1856, col. 360-361. Cette oblation, inaugurée par Jésus dès le premier instant de son existence, se continue d’une façon permanente. Vie de Jésus, c. xxvi. Toutefois, dans la pensée du cardinal, l’oblation ne saurait constituer un sacrifice si elle n'était accompagnée d’une immolation. Il explique cette immolation, commencée dès l’incarnation, par un commentaire de Phil., ii, 7 : Œuvres de piété, Lvin : De la pénitence du Fils de Dieu, n. 4. Id., col. 1030. L’immolation ainsi comprise, par l’acte de renoncement inauguré à l’incarnation, se continue pendant toute la vie mortelle du Sauveur pour se consommer à la croix. Cf. La source de la mort et passion de Jésus est l’amour qu’il nous porte, n. 1 ; lxxii, De la dévotion du vendredi ; des rapports des trois principaux mystères du Fils de Dieu ; son incarnation, sa passion et son eucharistie.

A la cène, Bérulle conçoit le sacrifice de Jésus-Christ comme l’offrande d’une immolation non plus concomitante, mais prochaine, et l’offrande de cette immolation prochaine et réelle se fait sous les signes d’une immolation toute « sacramentale » et « mystique » : « Le même Fils de Dieu, en ce divin banquet, a voulu prévenir l’oblation visible et sanglante de la croix par cette effusion sacramentale et immolation mystique en l’eucharistie. Et si nous observons les moments de Celui qui fait toutes choses en temps, en poids, en nombre et en mesure, nous verrons cette action mystérieuse avoir été réservée par lui comme à la dernière heure de sa vie, et lorsque sa passion réelle et sanglante avait déjà son cours…, afin que cette action religieuse et sacrée (la cène) se trouvât engagée dans les bornes de ses souffrances et fût initiative et dédica-. live du mystère de la croix, et que l’oblation mystérieuse qu’il fait de soi-même à Dieu son Père en l’eucharistie fût suivie, continuée et exécutée visiblement et sanglantement en son humanité, sans l’interruption d’aucune action et mystère. De sorte que c’est ici qu’il commence de faire le premier pas pour aller à la mort… » Œuvres de controverse, discours n : Du sacrifice de la messe, n. 12, col. 701.

Il y a donc, à la cène, oblation du Christ présent sous les espèces sacramentelles et s’immolant mystiquement dans l’eucharistie, en représentation et indi-