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1193 MESSE, LE S ACRIFICE-OBL ATION : LES PRÉCURSEURS

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fieielle une simple condition. L’oblatîon est celle qu’une fois pour toutes Jésus-Christ a faite au Calvaire ; mieux encore, Jésus-Christ a commencé cette oblation dès le premier instant de l’incarnation et l’a continuellement renouvelée durant sa vie mortelle, et cette oblation persévère encore éternellement dans le ciel. L’immolation mystique du corps et du sang sacramentcllement séparés sous les espèces du pain et du vin. ne fait donc que situer sur l’autel, en y amenant Jésus rituellement immolé, l’oblation que le Sauveur a faite de sa mort et de sa passion et qu’il renouvelle perpétuellement dans le ciel.

Cette théologie du sacrifice se réclame de la définition même de saint Thomas : Sacrificium proprie dicitur quando cikca res oblatas aliquid fil. Il n’est pas question d’un changement réel apporté à l’hostie du sacrifice, mais seulement d’une cérémonie ou d’un rite extrinsèque, laissant l’hostie intacte et non modifiée.

Les auteurs qu’on cite en faveur de cette opinion sont scrupuleusement recensés par M. Lepin. Nous suivrons la liste de cet auteur — ajoutant parfois, retranchant plus souvent — pour nous arrêter aux noms principaux. Et, de l’examen des textes, nous verrons dans quelle mesure l’opinion du sacrificeoblation leur doit être attribuée.

I. AU XVI' SIÈCLE : QUILQUES TRAITS DE LA

thèse du sacrifice-oblation. — 1° Parmi les premiers théologiens ayant ébauché la théorie du sacrifice-oblation, on cite Jean Hessels († 1566). Tout en acceptant que le sacrifice comporte une immutation destructive, ce théologien ne trouve dans l’eucharistie qu’une image d’immolation en un sacrifice réel. La seule mutation qu’on puisse trouver dans l’eucharistie et qui concerne la victime elle-même, c’est le nouveau mode d’existence sous les espèces, mode d’existence que Jésus-Christ n’avait pas auparavant. Par ellemême, la présence eucharistique ne serait pas un sacrifice expiatoire, et donc un sacrifice proprement dit, si elle ne se référait par l’immolation mystique au sacrifice sanglant de la croix. L’intercession du Fils s’offrant dans le ciel à Dieu son Père, semper vivens ad interpellandum pro nobis, n’est un sacrifice qu’en vertu du sacrifice accompli sur le Calvaire. En réalité, à la messe, la consécration place sur l’autel le corps et le sang du Christ, que nous pouvons ainsi offrir à Dieu. Catechismus, Louvain, 1663, p. 575 sq.

2° Faut-il trouver dans la doctrine de Suarez et de Van der Galen, voir col. 1170 sq., quelque germe de la doctrine du sacrifice-oblation ? M. Lepin le pense et s’exprime ainsi : « On voit (Suarez) au cours de son argumentation déclarer assez nettement qu’une immutation réelle n’est pas nécessaire ; il peut suffire de quelque autre action sacrée faite « circa rem oblatam <->, et il faut bien traduire ici autour de la victime ; ou que, si l’immutation réelle doit intervenir dans la maleria ex qua, elle n’est pas requise dans l’hostie principale et proprement dite qui en résulte. Finalement, il observe que la signification morale jugée essentielle au sacrifice, savoir la proclamation de la souveraineté de Dieu, peut être procurée aussi bien par un acte d’efjection ou de production que par un acte d’immutation réelle ou de destruction, surtout quand il s’agit d’une « effection surnaturelle », qui va à présenter à Dieu, ad prieslandum Deo, l’hostie la plus capable de lui plaire et de l’honorer. » C'était évidemment en vue de se ménager cette dernière répor.se que l’illustre théologien, dans les explications de sa définition du sacrifice, avait glissé l’idée û'efjcction. » Op. cit., p. 372-373.

3° Plus explicitement, Maldonat ꝟ. 1583) insiste sur le caractère d’oblation dans le sacrifice et, à toutes les époques, ce théologien-exégète a été considéré comme

un partisan du sacrifice-oblation. Dans le De sacramentis disputationcs, des Opéra theoloijica, Paris, 1677, De eucharistise sacramento, pari. III", il définit le sacrifice, non par l’immolation, mais par l’oblation : Oblatio sensibilis rei sensibiblis facla soli Deo, ad agnilionem humanie infirmitatis ac naturæ, et ad pro/essionem divinæ majestatis, a légitima minislro, ritu aliquo mystico. A la croix, on trouve la mise à mort sanglante de la victime. A la cène, qui précédait la croix, il n’y eut que la consécration ou l’oblation de la victime à immoler. Dans l’eucharistie, c’est la même oblation, avec la même représentation sensible de l’immolation : les termes dont Jésus-Christ se sert dans l'évangile pour marquer que son corps est présentement donné, son sang présentement répandu, Luc., xxii 19, 20 ; cf. I Cor., xi, 24-25, ne peuvent s’entendre que d’une oblation : Magis eorum probo sententiam, qui interpretantur « fundiiur » id est cffertur, sacrificatur… Cum de corpore dicitur : quod pro vobis datur, non potest esse sensus : quod pro vobis datur ad edendum, sed : quod pro vobis sacrificatur. Ergo, et cum de sanguine dicitur : qui pro vobis effunditur. Commentarius in quatuor evangelistas, Lyon, 1607. In Matth., xxvi, 26.

4° Un autre point de vue, sur lequel insistent fréquemment les partisans du sacrifice-oblation, c’est l'étroite dépendance du sacrifice de l’autel et du sacrifice céleste, l’un et l’autre continuation du sacrifice de la croix. Ce point de vue particulier avait été amorcé, aussitôt après le concile de Trente, par Jean de Via († 1582), Jugis Ecclesise catholicæ sacrificii… defensio, Cologne, 1570, p. 466.

5° Estius, voir col. 1148, dans son Commentaire de l'Éfître aux Hébreux, vii, 17, établit, lui aussi, ce parallélisme et cette dépendance. Des paroles de l’Apôtre, il résulte que le Christ est appelé prêtre pour l'éternité, en raison de sa puissance, de son office et de l’effet qu’il obtient. En raison de sa personne, il est le prêtre par excellence. En raison de son office, il est toujours près du Père, intervenant pour nous ; et le Christ remplit son office éternellement, c’est-à-dire jusqu'à la fin du mor.de, tant qu’il y aura -des élus à conduire à leur salut. Et cette intervention ne va pas sans une oblation ; l’oblation fait partie de l’office sacerdotal. Continuellement il montre au Père et lui offre pour le salut des élus son humanité propre et ses blessures. Enfin, en raison de l’effet obtenu par le sacrifice jadis offert une fois sur la croix, le Christ a été constitué à tout jamais cause de notre rédemption et de notre salut ; sous cet aspect, le sacrifice de la croix lui-même peut être appelé éternel.

On le voit, Estius arrête le sacrifice céleste à la fin du monde. Ce sacrifice, pour lui, r.e semble pas devoir se prolonger dans l'éternité, puisque l’effet que Jésus en attend est obtenu : la réunion des prédestinés dans le royaume des cieux. Mais ce n’est pas tout : « Sur la terre, le Christ encore mortel avait offert un don et une victime à Dieu, le don de lui-même dans l’eucharistie à la dernière cène, l’hostie de son humanité mise à mort sur la croix. Aujourd’hui qu’il est immortel, il continue d’offrir le même don de l’eucharistie depuis le levant jusqu’au couchant par ses vicaires, les prêtres, et il continue d’offrir au ciel la même victime, en tenant toujours sous les yeux du l'ère et pour notre propitiation son humanité, autrefois attachée à la croix, blessée et mise à mort. »

II. au xviie siècle. - La thèse du sacrifice-oblation prend définitivement corps, surtout parmi les théologiens de l'école française. M. Lepin rattache à l’idée du sacrifice-oblation ta grande autorité de Bossuet. Voir ci-dessus, col. 1158 sq. Quant aux autres auteurs cités en faveur de cette thèse, il convient d’examiner ici et la doctrine qu’ils ont défendue et les