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1189 MESSE, LE SACRIFICE-ANÉANTISSEMENT : FRANZELIN

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lement, soit parce que la consécration, autant qu’il est en elle et par la force des paroles, sépare le sang du corps du Christ et ainsi, bien qu’en réalité elle ne divise pas le Christ, elle tend cependant à sa destruction ; soit parce que le Christ est revêtu dans l’eucharistie d’un état de mort, privé qu’il y est des fonctions naturelles et de l’usage de ses sens externes. En conséquence, la communion, non celle du peuple, mais celle du célébrant est une partie essentielle du sacrifice. »

La théologie de Bossuet inspire également Pierre Collet († 1770), continuateur de Tournely ; mais la doctrine de Collet, prise dans son ensemble, est elle aussi un mélange d’opinions se juxtaposant sans grande cohésion. « La consécration, par elle-même et par la force des paroles, sépare le sang de Jésus-Christ d’avec son corps. En vertu des paroles, en effet, la consécration met le corps seul sous l’espèce du pain et le sang seul sous l’espèce du vin. De là les Pères reconnaissent dans le sacrifice de l’eucharistie une effusion mystique du sang qui se fait par le glaive de la parole, comme le dit saint Cyrille, ce que Bossuet a exprimé en termes énergiques… » Puis, Collet démontre que toute l’essence de la messe réside dans la consécration et la consécration se fait par immolation, soit que cette immolation consiste dans la séparation mystique du corps et du sang, comme nous l’avons dit jusqu'à présent, soit qu’elle consiste, suivant le sentiment d’autres auteurs, dans cette réduction de Jésus-Christ à un point, réduction grâce à laquelle il est mis sur l’autel en un certain état de mort. La consécration est faite pour témoigner que Dieu est auteur de la vie et de la mort, auteur de la vie en ce que Jésus reçoit par la consécration une existence ou mode d'être qu’il ne possédait pas auparavant ; auteur de la mort, en ce que, par la consécration, Jésus revêt un état de mort qui doit se terminer par une sorte de destruction de lui-même dans la communion. Inslii. theologicse, Paris, 1779, t. iv, p. 683. Les dernières paroles de Collet laisseraient supposer qu’il est partisan de la thèse bellarminienne : or, dans la concl. v (p. 679), il la réfute expressément : la communion ne fait pas partie de l’essence du sacrifice ; elle n’en est que partie intégrante, et il en apporte comme raison que la communion n’affecte la victime d’aucun changement : sumptio rem oblatam non immutat. Il accepte plus complètement l’opinion singulière de la reductio ad punctum. L’immolation mystique lui paraît insuffisante à produire une véritable et actuelle immutation, laquelle est précisément empêchée par l'état glorieux du Christ.

4. Une déformation de la thèse lugonienne : le cardinal Cienfuegos. — Une mention très particulière doit être réservée au cardinal Alvarez Cienfuegos († 1739), jésuite espagnol.

Cet auteur part de la définition du sacrifice adoptée par les Salmanticenses : Oblatio facta Deo per immulationem alicujus rei sen.sibilis in signum supremi illius in res omnes dominii uitæ necisque, ex légitima auctorilale. Mais, parmi toutes les thèses qui ont été proposées pour expliquer l’immutation dans le Christ eucharistie, Cienfuegos n’en trouve aucune pleinement satisfaisante. Aucune ne tient un compte suffisant de l’immutation réelle due au sacrifice. Vita abscondita…, Home, 1728, disp. V, sect. i, n. 1-23. Le cardinal croit avoir trouvé la vraie solution et la propose sous cette forme : Jésus-Christ, devenant présent par la consécration, ne jouit pas seulement en son âme d’un mode de connaissance supérieur, indépendant des sens, ainsi qu’on s’accorde à le reconnaître, mais, par un privilège extranaturel, dû à la puissance divine qui élève de la sorte son humanité, il jouit de l’exercice de ses sens externes eux-mêmes ; il entend nos gémissements, il voit nos larmes (sur la proba*

bilité théologique de cette hypothèse, voir art. Cienfuegos, t. ii, col. 2512 ; Franzelin, Tractatus

de ss. eucharisiiiv sacramento et sacrifîcio, Borne, 1879, p. 179 ; Hugon, La sainte eucharistie, p. 181, et Tract, dogm., Paris, 1927, t. iii, p. 380, 385). « Le Sauveurdonc aussitôt après la consécration, commence à exercer quelques actes de cette vie sensitive, puis, par un acte libre de sa volonté humaine, suspend ces actes vitaux, sacrifie par conséquent la vie sensitive qui en dépend, pour les reprendre de nouveau à la communion du pain et du viii, laquelle symbolise la résurrection. Et c’est dans cette suspension provisoire de ses actes sensitifs que réside la raison formelle du sacrifice non sanglant. » Sect. iii, n. 37.

Dans la discussion des opinions, nous ne reviendrons pas sur la thèse de Cienfuegos, laquelle, par sa singularité même échappe à toute classification. M. Lepin, à qui nous en avons emprunté l’exposé (op. cit., p. 524), apprécie ainsi cette hypothèse : Arbitraire et invérifiable. Cf. Franzelin, op. cit., p. 402, note 1 ; Hurter, Theologise dogmalicsc compendium, Inspruck, 1893, t. iii, p. 377 ; Billot, De sacramentis, Home, 1924, t. i, p. 622.

Ajoutons que Cienfuegos applique son hypothèse au sacrifice du Christ dans le ciel, sacrifice qu’il estime réel dans toute la rigueur du terme. Ce sacrifice consisterait dans la suppression volontaire de toute vie actuelle dans le corps physique de Jésus-Christ. Disp. VII, sect.i, § 2, n. 9.

5. Le renouveau de la thèse lugonienne au XIXe siècle : Franzelin. — La thèse de De Lugo, laissée dans l’ombre depuis le xvin 6 siècle, reparaît soudain à la fin du xixe, avec grand éclat, dans l’enseignement du Collège romain, renouvelée et mise en relief, par le cardinal Franzelin, S. J. († 1886).

De.son traité De ss. eucharistiæ sacramento et sacrifîcio, 3e édit. Borne, 1878, le cardinal a consacré la deuxième partie au sacrifice en général et au sacrifice de l’eucharistie en particulier. L’ordre même des thèses mérite de retenir l’attention, parce qu’il fait voir le lien intime qui existe entre le sacrifice de la croix et celui de l’eucharistie. Le Christ s’est sacrifié au Calvaire, se substituant à l’humanité pécheresse (th. v). Dès l’incarnation, il a été constitué prêtre pour s’offrir à Dieu comme victime pour nos péchés ; mais sur la croix, il s’est offert actuellement en un sacrifice véritable et proprement dit (th. vi). La consommation du mérite et de la satisfaction du Christ pour nous a été réalisée au Calvaire (th. vu) ; et pourtant ce sacrifice unique et sanglant, consommant le mérite du Sauveur, n’exclut pas un sacrifice perpétuel destiné à appliquer les mérites de la croix (th. viii). Ainsi, très naturellement, Franzelin passe du sacrifice de la croix au sacrifice de l’eucharistie, dont il démontre la vérité, par la perpétuelle et universelle tradition (th. ix), par la prophétie de Malachie (th. x), par les paroles de l’institution (th. xi). Il étudie ensuite la valeur propitiatoire de la messe, et montre la raison de la valeur propitiatoire et impétratoire (th. xiixiii). Il aborde enfin, en trois thèses (xiv-xvi), le problème de l’essence du sacrifice de la messe.

a) Dans la thèse xiv, Franzelin se demande comment, dans l’eucharistie, se vérifie la définition du sacrifice en général, afin de démontrer la vérité du sacrifice de l’autel. Or, dans la thèse ii, il avait ainsi défini le sacrifice : Oblatio Deo facta rei sensibilis per ejusdem realem mit seq’uivalentem destructionem légitime instilula, ad agnoscendum supremum Dei dominium simulque pro statu lapso ad profilendam divinam justiliam hominisque reatum expiandum. La thèse xiv est proposée pour délimiter, dans la question de l’essence du sacrifice de la messe, le point de vue dogmatique et le point de vue simplement théologique.