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MESSE, LE SACRIFICE-ANÉANTISSEMENT : DE LUGO


sanctifiés n’est pas un sacrifice, mais un complément de sacrifice, n. 69. Donc, à la messe, le sacrifice dure jusqu’à la communion, tout comme les holocaustes duraient après l’occision des victimes jusqu’à leur combustion, n. 72.

La messe est le sacrifice offert par le Christ, prêtre principal ; mais il n’est pas nécessaire que le Christ concoure hic et nunc et d’une façon physique à l’action du sacrifice : le Christ ofire vraiment son corps et son sang à l’autel, en ce que le prêtre son ministre, en vertu de l’institution, ofïre le corps et le sang au nom du Christ, dont il n’est que le délégué et le substitut. Sect. vii, n. 93. D’après cette doctrine, la validité du sacrifice olïert sous une seule espèce serait assurée, et la consécration, valable. Cependant jamais on ne peut se dispenser’de consacrer sous les deux espèces, parce que l’Église n’a pas le pouvoir de changer le précepte du Christ. Or, le Christ a voulu que la messe comportât la consécration sous les deux espèces, afin de représenter ainsi sa passion et sa mort. Sect. viii, n. 106 ; cf. n. 112.

3. L’influence de De Lugo, les théories composites des xvw et xviiie siècles. — Aux xvii » et xviii c siècles, 1’ « école » de De Lugo à proprement parler, n’existe pas, mais l’influence de ce théologien.est considérable. Les innombrables auteurs qui proposent à cette époque des explications composites et éclectiques du sacrifice de l’eucharistie, insèrent, pour la plupart, dans leur système, l’idée maîtresse du système de De Lugo, le status declivior.

a) Mêlant les explications de Lessius, Bellarmin et De Lugo, le cardinal de Richelieu († 1642), dans son ouvrage : Les principaux points de la foij catholique défendus contre l’escrit adressé au roy par les quatre ministres de Charenton, Paris, 1629, p. 130-131, s’exprime ainsi : « Le changement qui se fait en l’eucharistie consiste en ce que Jésus-Christ, qui subsiste au ciel en sa propre espèce, est estably en terre sous l’espèce estrangère du pain et du vin et sous l’apparence de la mort. Qu’en cet estât, il soit sous l’apparence et l’espèce de la mort, il paroist en ce qu’il est privé d’apparence de vie en plusieurs sens, et par ce qu’on ne voit aucune action, en luy, et par ce que, par la force des paroles sacramentelles, son corps et son sang sont establis sous des espèces séparées, ainsi que, par la mort qu’il a souffert en croix, ils ont été réellement séparez : par ce enfin que les espèces qui le voilent sont comestibles et que, d’ordinaire, on ne mange aucune chair qui ne soit morte… »

b) Martinon, S. J. († 1662), semble se rallier d’abord à la thèse du sacrifice représentatif de Vasquez, expliquée par l’immolation mystique dans la séparation sacramentelle, Disput. théologies, Bordeaux, 1645, disp. XXXVIII. sect. iv, n. 44. Mais, à la thèse vasquézienne, il ajoute un complément d’explication : mortuo quodam modo posilum et lendente ad destruclionem. Et, pour expliquer cet état de mort, tendant à la destruction, il adopte pleinement la thèse lugonienne. « C’est en ce sens que nous disons que le corps et le sang du Christ sont moralement détruits dans l’eucharistie, en tant que, par la force des paroles, ils sont placés sous les espèces du pain et du vin en un état d’amoindrissement, in statu decliviori, état d’inaptitude quant à leurs fonctions naturelles et humaines, état de tendance à la consomption et à la destruction… Enfin, il y a immolation mystique du Christ lui-même, en tant que, par la force des paroles, le corps est placé sous l’espèce du pain et le sang sous l’espèce du viii, pour représenter la séparation faite de l’un et de l’autre à la croix dans la mort du Christ. » Sect. i, n. 7.

c) L’explication de De Lugo se retrouve — jointe à celle de Lessius - — chez Georges de Rhodes, S. J. († 1661), Disput. théologies scholasticee, c. ii, Lyon,

1661, tract, x, disp. II, q. ii, sect. I et sect. n ; chez le frère du cardinal, I-’rancois De Lugo († 1652), De missa, Venise, 1653, c. ii, q. ii, n. 34 ; chez Thomas Muniessa († 1696), Disput. scholasticee, Barcelone, 1689, t. ii, disp. XXXIII, sect. iv, n. 40 ; ces deux auteurs également jésuites ; et, au xviiie siècle, chez le jésuite Paul Antoine († 1743), Theologia universa…, Paris, 1712 : De eucharistia, c. m ; jointe à celles de Suarez et de Lessius, chez Platel, S. J. († 1681), Synopsis cursus theotogici. Douai, 1706, part. V, c. iv. Une mention spéciale doit être accordée au jésuite Théophile Raynaud, qui renchérit encore sur De Lugo pour décrire l’abaissement du Christ dans l’eucharistie : « Dans l’eucharistie, quel abaissement ! le Christ s’est humilié et a choisi un état de si profonde abjection, qu’à moins de miracle, il doit y demeurer inanimé à l’instar d’un tronc ou d’une souche : pour lui, plus d’acte d’intelligence en raison des idées précédemment acquises ; plus de vouloir consécutif à la connaissance antérieure ; plus même de sensation ; impossible de se mouvoir ; il est là, comme s’il ne jouissait plus d’aucune faculté intellective, sensitive ou même motrice. Jésus y est réduit à un état pire que celui de la croix, puisqu’au milieu des tourments du Calvaire, il jouissait du moins de ses facultés. L’état eucharistique est donc d’une extrême misère et d’un anéantissement plus profond encore que celui de la croix. » Candelabrum sanctum…, dans Opéra, Lyon, 1775, t. vi, Eucharistica, sect. iii, c. v, n. 19, 23 ; cf. n. 5.

d) Dans l’exposé de son système, Platel, au xviie siècle, avait indiqué un point de vue particulier, qui se ressent des théories cartésiennes sur l’essence des corps. « On peut comprendre, écrit-il, l’annihilation ou l’immutation réelle du Christ dans l’eucharistie, en ce sens que le Christ acquiert un nouveau mode d’être, qui paraît tendre à l’annihilation, puisqu’e/i vertu de ce mode, le Christ est réduit à un point », loc. cit. Voir Descartes, t. iv, col. 555-560. Cette idée est acceptée par nombre de théologiens, qui la juxtaposent aux explications du cardinal de Lugo. Citons François Henno († 1713), Theologia dogmatica et scholastica, - Douai, 1705-1713, t. ii, tract, iv, disp. XI, q. m ; Jean de Ulloa († 1725), Theologia scholastica, Augsbourg, 1719, disp. VIII, n. 8, 9 ; cf. disp. II, c. i. On pourrait inscrire parmi ces théologiens tous ceux qui ont expliqué l’eucharistie d’après les principes cartésiens, encore qu’ils n’aient pas parlé explicitement du sacrifice de la messe. Voir Eucharistiques (Accidents), t. v, col. 1433 sq.

e) Au xvine siècle, une place à part doit être faite à Tournely et surtout à son continuateur Collet.

Tournely († 1729) reprend en substance l’opinion de Bellarmin, à laquelle il ajoute des considérations relevant de la pensée de De Lugo. Sa définition du sacrifice implique la destruction ou tout au moins l’immutation de la victime. De eucharisties sacramento, Paris, 1729, q. vin. Tout d’abord Tournely s’approprie la doctrine exposée par Bossuet dans l’Explication… de la messe, et dans l’Exposition de la doctrine catholique : immolation mystique par la séparation sacramentelle vi verborum. Mais il y ajoute le point de vue de Bellarmin : « Il se fait dans la consécration une. immutation de l’hostie, en ce que le corps du Christ est placé en manière d’aliment, et son sang en manière de breuvage ; or, la nourriture est ordonnée à la manducation et, conséquemment, au changement et à la destruction. » Ibid., concl. v, p. 239. Mais ce n’est pas encore assez. Tournely s’empare de la thèse de De Lugo pour l’appliquer au sacrifice eucharistique. « D’autres répondent enfin, et leur sentiment me plaît davantage, que le Christ est immolé, mis à mort dans le sacrement de l’eucharistie mystiquement et mora-