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MESSE, LE SACRIFICE-ANEANTISSEMENT : DE LUGO


Geschichte des Messopfer-Begrifjs, oder der alte Glaiïbe und die neuen Theorien ùber dus Wesen des unblutigen Opfcrs, Dillingen et Frisingue, 1902. Dans ce volumineux ouvrage, le professeur de Breslau entreprend un inventaire de la tradition patristique et théologique au sujet du sacrifice de la messe. Voici comment M. Lepin présente le système de Renz :

Appuyé sur la tradition, Renz critique, non moins vivement que Bellord, la thèse qui place l’essence du sacrifice dans une immutation ou une destruction de la victime, et met au ctmtraire en évidence le caraclère essentiellement relatif du sacrifice de l’autel par rapport à l’immolation sanglante de la croix. A l’entendre, il n’y a de vrai et réel sacrifice du Christ que celui de la croix. La messe n’en est qu’une représentation, parce qu’elle n’est qu’une figure de l’unique sacrifice sanglant. Néanmoins, elle est appelée justement un’vrai et propre sacrifice, à raison de la présence réelle du corps et du sang du Christ. Telle a été, d’après Renz, la seule notion admise dans l’antiquité chrétienne et au Moyen Age, et c’est aussi la seule juste. A son sens, comme à celui de Scheeben, de Gihr et de Schwane, la théorie du sacrifice-destruction a été inspirée aux théologiens catholiques par les besoins mal compris de la controverse protestante : elle est en désaccord avec l’ancienne doctrine traditionnelle.

Non content de souligner de la sorte la relativité du sacrifice de la messe, Renz prétend également justifier son caractère essentiel de sacrifice par sa qualité de banquet sacré. Toutefois, au lieu d’identifier purement et simplement le sacrifice avec la communion, comme Bellord, il le voit réalisé déjà dans la consécration, en ce que, par le consécration, l’hostie une fois immolée sur la croix et pourvue actuellement des signes sensibles de cette immolation passée, est apprêtée en nourriture pour le banquet qui doit suivre.

Autant qu’on peut préciser la pensée de l’auteur, ., le sacrifice de la messe consisterait donc, à la fois, dans la communion et dans la consécration, par la raison que l’une et l’autre servent à opérer la sancti /, cation ou la sacrification de l’homme, c’est-à-dire son union avec Dieu. — D’abord la communion. Car « il ne faut pas dire que le service eucharistique est le sacrifice non sanglant du Christ et qu’il se termine par un repas ; mais bien plutôt : le sacrifice eucharistique est de son essence un repas, qui a un caractère de sacrifice. Or, d’une façon générale, ce repas seulement a caractère de sacrifice, qui associe directement à la Divinité, par conséquent donne à celui qui ne vit pas encore dans une union parfaite avec la Divinité, de s’approcher plus près de cette perfection. Dans l’autre vie, la jouissance de la Divinité n’a plus la signification de sacrifice, puisqu’elle ne sanctifie plus les non-saints, mais garde et béatifie les saints dans la sainteté. Mais, sur terre, la participation à la table de Dieu est un acte sacrifical. Ce serait s’écarter des vues de l’ancienne Fglise de se représenter la communion comme étant avant tout une descente de Dieu vers les hommes ; elle est à concevoir beaucoup plutôt comme une ascension des hommes vers Dieu, comme une action par laquelle les hommes se sanctifient librement et spontanément. Ainsi le repas eucharistique se distingue d’un repas terrestre ordinaire, et aussi du repas céleste, précisément en ce qu’il n’est pas premièrement un acte de jouissance, mais un acte par lequel l’homme se sanctifie, et se sacrifie lui-même : un acte de sacrifice. » Op. cit., t. ii, p. 500.

De la communion ainsi entendue, la consécration est inséparable, car c’est elle qui rend présent le Christ sous la forme où il doit servir à l’alimentation sacrée des fidèles, c’est-à-dire, comme parle l’auteur, à leur sanctification et à leur sacrification. Ce n’est pas, dit-il, que la communion n ait aussi un caractère sacrificiel, ni que le sacrifice non sanglant ne soit essentiellement un repas sacré ; c’est simplement que, de par la volonté du fondateur, la préparation de ce repas, ou de ses éléments, constitue en fait la première partie du sacrifice. Mais si l’on demande pour qui la préparation de l’aliment, qui ne sera jamais regardée pourtant comme partie intégrante d’un repas, a été introduite ici dans le repas même, et de telle sorte que, sans elle, le repas porterait un autre nom, voici la réponse : c’est parce que ce repas est le sacrifice non sanglant du Christ et des chrétiens. Le sacrifice non sanglant suppose que la victime dont la chair et le sang doivent être mangée et bu, n’est pas immolée présentement, mais a dû être immolée

déjà auparavant, donc qu’elle existe déjà comme aliment formel, et a seulement besoin d’être rendue présente d’une façon qui témoigne de son immolation sanglante antérieure. Rendre présente la matière du repas sous une forme qui figure ou reproduit sensiblement sa sacrification antérieure : voilà en quoi consiste la préparation du repas ; voilà ce que signifie l’acte de la consécration. La consécration n’est donc pas formellement la mise à mort de l’Agneau de Dieu qui doit être mangé ; elle rend seulement présent cet Agneau déjà mis à mort auparavant ; et c’est pourquoi elle est un élément essentiel du repas lui-même ; elle est un acte de repas. » Ibid., p. 501.

Ainsi, « consécration et communion sont, de par leur essence, des actes d’union, l’accomplissement du sacrement de l’union, et pour autant des actes sacrificiels ». « Dans l’une et l’autre, nous voyons le Christ, unissant ses membres avec lui, et par là même les sacrifiant. Seulement, dans la consécration, le Christ est rendu présent à l’état de nourriture devant l’homme : la sanctification de l’homme par le Christ est objective. Dans la communion, elle est subjective, parce que le Christ entre dans l’homme lui-même pour le nourrir et le sacrifier. » Ibid., p. 502.

Dès lors, « l’essence de l’acte sacrificiel en ce qui regarde l’eucharistie doit se définir ainsi : l’essence formelle du sacrifice non sanglant du Nouveau Testament consiste en l’accomplissement objectif et subjectif du sacrement de la communion, par le moyen du corps et du sang de Jésus-Christ, réellement présents sous les apparences du pain et du vin. > « Et si l’on demande quel est, dans ce sacrement sacrificiel, ou dans ce sacrifice sacramentel, l’acte essentiellement sacrificiel, nous répondrons : il est objectivement dans la consécration ; subjectivement, dans la communion à la chair et au sang du Seigneur. » Ibid., p. 503. — Lepin, op. cit., p. 620-623.

2° Le sacrifice consiste essentiellement dans la consécration, en tant qu’elle place le Christ lui-même en un état d’amoindrissement : Thèse dite de De Lugo. — La thèse de Bellarmin suppose toujours dans une certaine mesure que l’immutation requise par le sacrifice n’atteint pas le corps réel du Christ, mais simplement le corps, en tant que placé sous les espèces sacramentelles. Ou mieux, les espèces seules sont directement affectées par l’immutation. La catégorie de théologiens que nous allons étudier prétend que l’immutation doit atteindre directement le corps du Christ lui-même. A partir de la deuxième moitié du xviie siècle, en France surtout, les théories cartésiennes appliquées à l’eucharistie viendront donner à cette opinion un complément de relief.

1. Avant De Lugo.

a) L T n précurseur de De Lugo est Gaspard Casai († 1585) évêque de Leiria. En regard de la définition vague que saint Thomas donne du sacrifice : Aliquid circa res oblatas, il place une autre définition du même théologien, III a, q. xlv, a. 3 : Aliquid factum in honorera proprie Deo debitum, ad eum placandum. L’idée de sacrifice expiatoire et propitiatoire requiert une destruction réelle. Pendant toute sa vie, Jésus dans chacune de ses actions a pu offrir un sacrifice véritable, mais le caractère sacrificiel de l’expiation du Christ apparaît surtout et sans conteste possible à la dernière cène, « institution admirable et inouïe, par laquelle le Christ place son propre corps sous les espèces du pain et son propre sang sous celles du viii, cherchant toujours… a rendre honneur à Dieu et à apaiser sa justice à notre endroit ». De sacrificio missse, Venise, 1563, t. I, c. xix. Il faut que l’eucharistie, continuation de la cène et mémorial de la croix, s’accomplisse modo immolatitio, c.xii, ce qui se fait par la séparation sacramentelle du corps et du sang. Il s’agit maintenant d’expliquer comment cette séparation sacramentelle produit l’immolation et le sacrifice. C’est ici que Casai prélude à De Lugo : « Le Christ, dit-il, avait dans son être naturel la faculté de voir, d’entendre, de sentir, de goûter, de toucher, comme chacun sait. Or, tel qu’il est dans le sacrement, il n’a plus rien de cela, au jugement de Scot : il ne voit, ni n’entend, ni ne sent, ni ne