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MESSE, LE SACRIFICE-DESTRUCTION : BEELARMIN

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pourrait d’elle-même donner la mort, mais que l’état glorieux du corps du Christ empêche cette mort, c’est dire que cet état glorieux empêche le sacrifice. Sous l’ancienne loi, si un prêtre, dans le temple, avait porté à un animal un coup capable de l’immoler, mais qu’à raison d’un empêchement quelconque, l’animal n’eût pas été immolé, il n’y aurait pas eu accomplissement, mais seulement volonté du sacrifice. » Ibid. Bellarmin donne alors sa propre théorie. Dans la consécration, on trouve trois choses dans lesquelles consiste vraiment et réellement le sacrifice : 1° un objet profane devient sacré : ainsi, le pain est changé au corps du Christ : 2° cet objet, de profane devenu sacré, est offert à Dieu sur l’autel ; 3° enfin, « par la consécration, l’objet sacré, offert à Dieu, est ordonne à un changement, à une destruction vraie, réelle, extérieure, requise essentiellement pour le sacrifice. Par la consécration, en effet, le corps du Christ prend la forme d’une nourriture : la nourriture est faite pour être absorbée et, par là même, changée et détruite. Sans doute, le corps du Christ n’éprouve en lui-même aucun dommage, et ne perd pas son être naturel, lorsque l’eucharistie est consommée ; mais il perd son être sacramentel et cesse d’être réellement sur l’autel ; il cesse d’être une nourriture sensible. » Voilà pourquoi la communion du prêtre, elle aussi, est de l’essence du sacrifice, « car, dans toute l’action de la messe, il n’existe pas d’autre destruction réelle de la victime que la communion et une destruction réelle de la victime est requise pour qu’il y ait sacrifice. » Ibid. Cf. J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 435-437. Cette explication présente le grand avantage de répondre directement aux objections protestantes. On accepte leur notion du sacrifice, basé sur l’idée de destruction ; on établit qu’une destruction de l’hostie a réellement lieu à la messe. La théorie bellarminienne devait être appelée à un grand succès près des théologiens.

3. L’influence de Bellarmin.

a) A la fin du X71e siècle. — M. Lepin, op. cit., p. 387 sq., fait remarquer que les contemporains de Bellarmin n’adoptèrent pas sa thèse purement et simplement ; ceux qui en acceptent la substance y mêlent des considérations étrangères. Toutefois, on retrouve l’élément essentiel de la thèse bellarminiennc, la consomption de la victime par la communion, chez Henrique ? : († 1(308), Summa iheologiee moralis, Mayence, 1613, t. IX, c. i, n. 2-9. Cet auteur intercale entre la consécration et la communion un troisième élément essentiel, l’oblation vocale, n. 3-4.

D’autres auteurs se contentent de faire une allusion bienveillante à l’explication du grand controversiste : tel P. de Ledesma, cf. supra, col. 1147, op cit., c. xvii. D’autres enfin la considèrent comme une opinion recevable, sans s’y rallier explicitement : tel Azor († 1603), Institutions mondes, Lyon, 1625, t. X, c. xix.

Nous rattacherions plus volontiers à Bellarmin le jésuite Grégoire de Valencia († 1603), De rébus fidei hoc tempore controversis, Lyon, 1591 : De ss. missse sacrificio, t. I, c. n. Sans doute cet auteur se complaît dans l’opinion de ceux qui pensent que non seulement la consécration, mais la bénédiction, mais la fraction et la commixlio, la communion surtout sont nécessaires à l’oblation du sacrifice eucharistique. Toutefois, la consécration est la partie principale, qui constitue essentiellement ce sacrifice et lui donne son caractère spécifique, en tant que, par la transsubstantiation du pain et du vin au corps et au sang, elle fait que, d’une manière mystérieuse, que nous appelons sacramentelle, le Christ est contenu sous les espèces du pain et du viii, sic ut sumi possil. Toute la force de la thèse de Grégoire porte sur cette idée : la consécration opère la transsubstantiation en vue de la communion ; et c’est en cela que réside le sacrifice. Telle est bien la pensée

fondamentale de Bellarmin. Toutefois, ’Grégoire se

sépare radicalement de Bellarmin sur un point tout aussi fondamental. Pour lui, l’idée de destruction n’entre ni dans la définition du sacrifice, ni dans l’application qu’on doit en faire à la messe. La consécration est la partie essentielle, qui donne à la messe son caractère sacrificiel, parce qu’elle rend présents, sous les espèces sacrame itelles, le corps et le sang du Christ, d’une manière qui les rend aptes à être pris en nourriture et en breuvage. Mais d’autres éléments sacrificiels, moins importants, existent dans le sacrifice : fraction, communion. En ce qui concerne la communion, la raison en est évidente, puisque selon le XII" concile de Tolède, le prêtre doit participer à la victime.

b) Au XVII° siècle, Bellarmin fait école. — Citons comme partisans de la communion, partie essentielle du sacrifice de la messe : Nicolas Coëffeteau, O. P. († 1623), Apologie, Paris, 1622, article Du sacrifice de la messe, n. 7 (voir les textes dans Lepin, op. cit., p. 392393) ; Fabricius Pignatelli, S. J. († 1656), De monte propitialorio, sive de sacrosancto Ecclesiæ sacrificio, Paris, 1660, t. III, q. v, n. 1 ; Bonacina († 1631), Opéra de morali theologia, Venise, 1706 : De eucharistie/, q. ult., punct. n (à la consécration et à la communion, cet auteur ajoute n. 6, l’oblation vocale) ; G. Mahler († 1701), Theologia doctoris subtilis D. Scoti.., Zug, 1702, t. IV, De eucharistia, q. ix. Plus tard, le scotiste Mastrius, O. M. († 1673), suit pas à pas Bellarmin, Disput. theol. in IV Sent., Venise, 1675, t. IV, disp. IV, q. iv, et dans sa définition du sacrifice, n. 4, et dans la conception du sacrifice eucharistique". La consécration est partie essentielle, « plus principale » magis principalis. La communion est partie essentielle, nécessaire pour expliquer l’immutation dont doit être affectée la victime.

Ysambert († 1612), Disput. in IIL- iii, Paris, 1(539. ad q. lxxxiii, disp. I, propose du sacrifice une définition analogue à celle de Bellarmin : nécessité d’une immutation réelle de la victime pour attester la toute-puissance de Dieu sur la vie et la mort et maître de l’existence comme de la non existence. De là, en ce qui concerne l’eucharistie, il proclame la nécessité de la destruction de l’hostie pour réaliser cette signification essentielle du sacrifice. La consécration est donc de nécessité essentielle, mais il est indispensable d’y joindre la commu lion du prêtre qui seule réalise l’immutation réelle en consommant la victime offerte. Disp. III, a. 2, 4.

L’évêquede Bodez, Abelly(† 1691), admet lui aussi que l’idée de destruction est incluse dans la notion du sacrifice : l’essence du sacrifice eucharistique suppose donc et la consécration qui amène la victime sur l’autel, et la communion qui l’y détruit et l’y consume en quelque façon. Medulla theologica, Paris, 1662, sect. xi, § 1.

Il convient de s’arrêter sur le Cursus theologicus des Salmanticenses. Le traité De eucharistiasacramento (Cursus, Paris, 1882, t. xviii) a pour auteur Jean Lianes de l’Annonciation († 1701). Cet auteur définit le sacrifice, disp. XIII, dub. i, n. 2 : Oblatio fada Deo per immutationem alicujus rci, in signum supremi super omnes res dominii ex légitima institutione. Il s’agit de prouver dans le sacrifice de la messe l’existence d’une immutation. Au n. 9, Jean Lianes écrit : < A la messe convient la définition du sacrifice… L’immutation de la chose offerte s’y trouve, car ta consécration comportece changement. Le changement opéré dans le Christ par la consécration, c’est l’existence sacramentelle doublée de la séparation mystique vi verborum. Mais le théologien de Salamanque est trop bon thomiste pour trouver là un mode réel d’être affectant intrinsèquement le Christ. Aussi se