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MESSE, LE SACRIFICE-IMMUTATION : SUAREZ


n. 2. La véritable explication a déjà été donnée, et Suarez la reprend, n. 6.

Dans notre sacrifice) réalisé par une action surnaturelle et divine, bien que la substance du pain et du vin soit détruite, cependant ce qui est principalement voulu, c’est 1’i elïection », et pour ainsi dire, la « présentai ion. du corps et du sang du Christ sur l’autel et en l’honneur de Dieu. Aussi la chose olïerte en ce sacrifice est-elle principalement et surtout le Christ lui-même, terme de l’action sacrificielle. Il n’est pas nécessaire que la matière soumise au changement soit toujours la chose offerte, quand le terme de l’action sacrificielle est recherché principalement et en vertu même de l’action sacrificielle, et dans l’intention de celui qui offre le sacrifice ; surtout lorsque ce terme est en soi plus digne et plus apte à rendre à Dieu le culte qui lui est dû, n. 0.

Sans doute, l’immutation n’atteint pas le Christ lui-même, mais ici l’action productrice du corps et du sang du Christ, par rapport à l’objet du sacrifice, joue avantageusement le rôle de la destruction dans les autres sacrifices. L’objet du sacrifice n’est-il pas avant tout de manifester la soumission et l’amour de l’homme à l’égard de la majesté de la bonté divine ; la destruction, la combustion de la victime n’étaient qu’un moyen propre à atteindre ce but, n. 8.

I) En dernier lieu (sect. vi), Suarcz examine si la consécration d’une seule espèce serait suffisante pour constituer le sacrifice, ou si les deux consécrations sont requises. — Après avoir rappelé les diverses solutions, Suarez donne son avis. Jésus-Christ aurait pu certes instituer une consécration sans l’autre ; en fait, il a voulu les deux consécrations. Leur union est-elle, d’après l’institution du Christ, requise pour qu’existe le sacrifice’? Suarez répond : La consécration est un sacrifice en tant qu’elle comporte une destruction mystique et, par la force des paroles, la séparation du corps et du sang. Tout cela est requis pour l’essence du sacrifice ; il semble donc que le corps ne puisse être consacré séparément du sang, n. 0. Donc, pour que ce mystère soit absolument et simplement un sacrifice véritable, tel que Jésus-Christ l’a institué, la double consécration est essentiellement requise, n. 7. Et, comme troisième conclusion, Suarez en revient à sa thèse sur l’essence du sacrifice : l’action essentielle de ce sacrifice inclut dans la consécration, en tant qu’elle contient la transsubstantiation du pain et du vin au corps et au sang du Christ, ces deux termes : 1° la destruction du pain et du vin dans leur substance, et 2° la présence du Christ sous les espèces sacramentelles, qui, tous deux, appartiennent à l’essence du sacrifice, n. 12.

3. L’école de Suarez.

a) A la fin du xvie siècle, le cardinal Tolet, S. J. († 1596), présente de réelles affinités avec Suarez. Dans sa définition du sacrifice, il se préoccupe de traduire exactement la pensée de saint Thomas : le sacrifice, dit-il, est la présentation e.rhibitio, d’une chose sensible en l’honneur de Dieu, propler Deum. Trois éléments le constituent : la chose sensible ; un certain changement affectant cette chose, en vue de rendre honneur à Dieu : destruction, bénédiction ou tout autre acte accompli sur la victime ; enfin l’oblation de cette victime à Dieu. Si aucun changement n’afîecte la chose offerte, il n’y a plus sacrifice, mais simple oblation. In 7// am part., q. lxxxiii, controv. i. En ce qui concerne la messe, la consécration des deux espèces forme le sacrifice entier et parfait, tout au moins dans son essence. Il n’y manque, en effet, rien de ce qui est requis pour le sacrifice : la chose sensible est ici le pain et le vin ; il y a changement dans cette chose, la transsubstantiation ; enfin ce changement est opéré en l’honneur de Dieu, parce que mémorial de la passion du Sauveur. La consécration

sous une seule espèce ne constituerait pas le sacrifice parfait de l’eucharistie. Ibid., controv. v.

b) Becanus († 1624), ou, de son nom flamand, Van der Beeck, part aussi de la notion du sacriliceimmulation ; De essentiel sacrifiai est ut res oblata nul destruatur totaliter aut immutetur : « Le sacrifice de la messe ne contient pas seulement une immolation mystique ; il faut l’envisager aussi comme conversion réelle du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ. La raison en est que ce sacrifice est réel ; donc il requiert une réelle action sacrificatoire, laquelle ne peut consister dans un simple signe ou une simple représentation. La raison de sacrifice à la messe est donc dans la consécration en tant que telle et qu’elle est représentative de la mort et de la passion du Christ. » Summa theol. schol. : de sacramentis, Lyon, 1055, part. III, tract, ii, c. xxv, q. ii, n. 17.

c) Bon nombre de théologiens présentent des explications analogues : le carme François de Bonne-Espérance († 1677), Commentarii très in unicersam theologiam scholasticam, Anvers, 1602, tract, vi : De sacramentis, disp. IX, dub. iii, resol. 5, n. 53 : Consecratio habet rationem sacri/ïcii præcise. sub ratione conuersionis, sive prout est deslructiva substantiæ punis et vini, ac corporis Christi sub speciebus panis et sanguinis sub speciebus vini constitutiua. Il admet pleinement la nécessité d’une immutation, mais avec cette restriction pour l’eucharistie, qu’elle ne se rapporte pas à l’hostie principale, mais à une matière annexe. Même thèse chez J.-B. du Hamel († 1706). Theologiæ clericorum seminariis accommodata summarium, Paris, 1694, dissert, ult., c. i ; chez Jean Wiggers, S. J. († 1639), Comment, in /// am : De sacramentis, Louvain, 1040, q. i.xxxv, dub. i (on retrouve jusqu’à la terminologie de Suarez : Immutatio victimse… non deslructiva… sed productiva) ; chez le théatin Quarto († 1655), Rubricæ missalis romani commentariis illustratae. .. cum appendice quæstionum de sacrifteio missæ, Borne, 1674, appendix, q. i ; chez Gilles de Coninck, S. J. († 1033), Comment, et dispul. in universam doctrinam D. Thomw, De sacramentis et censuris, Anvers, 1016, t. i, q. i.xxxiii, a. 1, dub. i et v. Sur ces auteurs, voir Lepin, op. cit., p. 442-445.

Il semble qu’on puisse rapprocher également de Suarez, au xviie siècle, le scotiste Antoine Hicquey, O. M. (11041), qui s’exprime ainsi : « La raison du sacrifice consiste essentiellement dans la consécration même… Le sacrifice exige l’immutation de la chose offerte. Or, dans l’eucharistie, l’immutation se produit doublement parce que les substances du pain et du vin cessent d’exister par la consécration et sont changées au corps et au sang du Christ ; ensuite parce que le Christ acquiert l’existence sacramentelle sous les espèces. » La communion, plus probablement, fait partie intégrante du sacrifice. In I Vum Sent., dist. XIII, q. iv, n. 75, 88.

d) A la fin du xvii 8 siècle et pendant tout le xviii", la doctrine de Suarez subit une véritable éclipse ; il faut arriver jusqu’au xixe siècle pour la retrouver rajeunie et complétée, sous la plume de Scheeben († 1888), Mijslericn des Christentums, 3’édit., Fribourg-en-B., 1912, § 72. et Handbuch der kalh. Dogmatik, Fribourg-en-H., 1873, 1887, t. m. De la doctrine de Suarez, Scheeben conserve les traits caractéristiques. Sa définition du sacrifice comporte l’immutation qui n’est pas nécessairement une destruction. Dans le sacrifice eucharistique, l’immutation c’est la transsubstantiation elle-même du pain au corps, du vin au sang, considérée non comme la destruction du pain et du viii, mais comme le changement de ces substances en une substance surnaturelle, infiniment plus digne, l’humanité sainte de Jésus-Christ, qui est la chose vraiment offerte à Dieu.