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MESSE, LE SACRIFICE-IMMUTATION : SUAREZ


Christ que doit porter directement l’acte d’immutation, s’il est proprement l’acte sacrificiel. Cette induction est cependant jugée par l’auteur contraire à la réalité des faits. » Ne pouvant se résoudre à abandonner le concept de sacrifice-immutation, Van der Galen fait appel à une donnée complémentaire : « Le sacrifice de la messe consisterait, non uniquement dans l’immutation substantielle du pain et du viii, mais aussi, et même principalement, dans ce qui termine cette immutation : savoir l’oblation du Christ lui-même, rendu présent sous les espèces du pain et du vin transsubstantiés, avec représentation sensible de son immolation passée, par le fait de la distinction des deux espèces. » Cf. Van dcr Galen, op. cit., c. vu. On remarquera, présupposée à ce système, la doctrine de l’immolation mystique du Christ, par le fait de la distinction sacramentelle du corps et du sang sous les deux espèces.

2. La thèse proprement suarézienne.

Le véritable initiateur de la thèse est Suarez († 1617), Commentaria in III dm partem D. Thomee, q. lxxxiii, a. 1, disp. LXXV, De essentia sacrificii missæ, édit. Vives, t. xxi, p. 648 sq. A l’exposé de la question de l’essence du sacrifice de la messe, il consacre six sections, dont nous condenserons la doctrine.

a) Le Christ tout entier est-il la chose offerte dans le sacrifice de la messe (sect. i) ? — On pourrait croire que l’oblation porte sur le seul pain et le seul viii, matière du sacrifice, n. 1. Mais la doctrine certaine et commune est que le Christ est la chose tout d’abord et principalement offerte en ce sacrifice, n. 6. Les paroles prononcées par le Christ à la cène suffisent à elles seules à prouver la vérité de cette assertion. Mais le Christ est offert à la messe, non sous son apparence propre, n. 7, mais sous les espèces sacramentelles, n. 8. C’est ici que Suarez commence à développer son explication. Le Christ existant sous les espèces sacramentelles est la chose offerte à la messe, comme le terme du sacrifice, non comme la matière présupposée au sacrifice. C’est la consécration qui constitue le sacrifice ; or, le Christ n’est présent sous les espèces sacramentelles qu’en vertu de la consécration. Les espèces font donc intrinsèquement partie de la chose offerte dans ce sacrifice. La victime doit être visible. Or, le Christ n’est visible que par les espèces, n. 9. Enfin, le pain et le vin sont offerts comme la matière du sacrifice et quant à leur substance et quant à leurs accidents, la substance, matière disparaissant, les accidents, matière demeurant après la consécration. Ne faut-il pas d’ailleurs dans tout sacrifice une matière qui reçoive quelque changement de l’action sacrificielle ? n. 11.

b) Suarez étudie ensuite (sect. n), par quelle action Noire-Seigneur a accompli le sacrifice à la dernière cène. — Il en compte six : oblation du pain et du viii, consécration du corps et du sang, distribution du corps et du sang à ses apôtres, oblation à Dieu du corps et du sang, fraction et commixlio, enfin, communion du prêtre lui-même.

c) De toutes ces actions, on peut se demander (sect. iii), si l’oblation qui précède et si celle qui suit la consécration, si la fraction, si la distribution de l’eucharistie appartiennent à l’essence du sacrifice. Et la réponse est négative.

d) Suarez en arrive (sect. iv) a établir la doctrine commune : la consécration appartient essentiellement au sacrifice. De multiples raisons obligentà l’admettre, tirées de la volonté du Christ, lequel institua le sacrifice en consacrant le pain et le vin et en imposant à ses disciples le précepte de renouveler cette consécration en mémoire de lui ; et cette raison ex natura rei est confirmée par ce fait que la consécration est la représentation la plus expressive de la passion du

Christ, dum corpus et sanguis ex vi verborum separala consecrantur ; — du sacerdoce de la nouvelle Loi, dont le principal pouvoir concerne précisément la consécration du pain et du vin au corps et au sang du Christ ; cf. Conc. Trident., ; ess. xxiii, can. 1 ; — du témoignage unanime des Pères ; de la nature même de la consécration, acte sacré par excellence, et bien propre à constituer le sacrifice ; du prêtre principal qui est à la messe le Christ ; de la comparaison avec les autres rites de la messe : si la consécration n’appartenait pas à l’essence de la messe, quel autre rite constituerait donc le sacrifice essentiellement ? La communion seule ne saurait être l’essence du sacrifice, car il deviendrait impossible de distinguer le sacrifice du sacrement ;

— enfin si l’action sacrificielle était indépendante de la consécration, et si la consécration n’était que prérequise à l’action sacrificielle sans lui appartenir intrinsèquement, on pourrait à la rigueur séparer l’un de l’autre ; or, cette séparation n’est pas même concevable : la messe des présanctifiés n’est pas un véritable sacrifice.

e) Du moins la communion appartient-elle à l’essence du sacrifice (sect. v) ? — Suarez se prononce nettement : Sola consecralio est sufficiens et de se apta, ut possit imponi, ut in ea tota essentia alicujus sacrificii consistât. Et cette réponse lui paraît très certaine : « La consécration fournit un fondement suffisant à toute la signification tant mystique que morale requise pour le sacrifice. » Et de plus, « on peut y trouver une reconnaissance suffisante du culte souverain dû à Dieu, comme à l’auteur de toutes choses. » L’explication de cette deuxième raison touche de très près au système particulier de Suarez : « Par cette action, dit-il, il se produit une immutation de choses, admirable et surnaturelle, et cette immutation a pour fin d’offrir à Dieu, et mieux, de rendre présente sur l’autel en son honneur, une chose très noble et particulièrement agréable pour lui, c’est-à-dire le Christ lui-même, Homme-Dieu », n. 4. Mais il faut admettre que la consécration est faite en vue de la communion, qui complète ainsi le sacrifice. En conséquence, la participation du prêtre à l’oblation, est très probablement de droit divin, n. 16.

Dans cette sect. v, Suarez revient sur l’assertion qui spécifie sa thèse et y insiste à plusieurs reprises. Parmi les raisons qu’on apporte pour comprendre dans l’essence du sacrifice la communion elle-même, on dit qu’il est de l’essence du sacrifice que la victime soit livrée à la destruction ou tout au moins à une mutation. Donc, la communion semblerait requise, dans le sacrifice eucharistique, pour atteindre ce but. Et Suarez répond que « seule la consécration suffit à l’immutation requise dans le sacrifice. Mais comment ? On peut répondre en premier lieu qu’à la messe se produit le changement réel de toute la substance du pain et du vin. Mais ce n’est pas dire assez. D’une part, en effet, la principale chose offerte n’est pas le pain, mais le Christ ; d’autre part, le pain lui-même n’est pas complètement détruit par ce changement puisque les espèces demeurent ; ainsi l’Holocauste ne paraît pas entièrement consumé. Enfin, le changement qui affecte le pain et le vin n’est pas sensible, alors que l’immolation de la victime dans le sacrifice extérieur doit être sensible. Aussi d’autres donnent-ils une solution différente. Dans l’eucharistie, disent-ils, il ne se produit aucune immutation réelle ; on y trouve une immolation mystique, en tant que, par la force des paroles, le corps et le sang sont consacrés séparément représentant ainsi la mort sanglante du Christ, laquelle fut un véritable holocauste ; or, l’immolation mystique n’est pas une immutation réelle, une destruction de la victime, mais seulement un signe, une représentation de la réelle destruction »,