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MESSE, L’IMMOLATION VIRTUELLE : LESSIUS


cum illius immutatione. Manuale thomislarum, Lyon, 1080. tract, iv, De eucharisties sacramento, c.xii, § 1. Et comment se réalise, à la messe, l’immutation ? Non certes par la mort réelle du Christ, mais peut-être par la communion, à coup sûr par la consécration : « L’action qui sépare le sang de la substance d’un être vivant y cause un changement et détruit cet être. Or, la consécration, en elle-même et par la vertu des paroles, sépare le sang du corps de Jésus-Christ ; car, par la consécration du pain, le corps seul est rendu présent, par la force des paroles, et le sang seul par la consécration du calice ; en sorte que, relativement à la consécration, ce n’est que par accident, dès qu’elle est faite, que le sang se trouve dans le corps de Jésus-Christ. Donc la consécration, autant qu’il est en elle, immole, tnactat, Jésus-Christ sacramentellement et mystiquement, et il s’y fait une certaine effusion mystérieuse du sang par le glaive des paroles, comme dit saint Cyrille. » Clypeus : De eucharistiee sacramento, disp. XI, a. 2, n. 45 ; cf. Manuale, loc. cit., §2.

b) Billuart définit aussi le sacrifice par l’immutation : De eucharisliæ sacramento, diss. VIII, a. 1. Mais il n’est pas nécessaire que la destruction s’opère complètement ; il suffit, pour qu’existe le sacrifice, que la victime offerte soit placée dans un état nouveau et amoindri, sufjïcit quod res novo et deleriori modo sistatur, reçoive un changement dans le sens de sa destruction ou de sa détérioration : Ibid., ad obj. 2 et ad obj. 3. Qu’on ne se laisse pas tromper ici par des expressions qui font songer à la thèse de Bellarmin et même de De Lugo. Billuart ne conçoit pour le Christ d’autre amoindrissement et d’autre destruction que la séparation sacramentelle. Mais il entend, à la façon de Gonet, son guide préféré, cette séparation sacramentelle, ui verborum, dans le sens de l’immolation virtuelle. Et, pour exposer son opinion, il emploie les expressions mêmes de Gonet.

5. L’école dominicaine semble avoir accueilli, dès le xvii c siècle, presque comme une doctrine de famille, l’opinion de l’immolation virtuelle. Citons : P. Labat († 1670), Cursus theol., Toulouse, 1661, De sacramentis, disp. V, dub. n ;.Contenson (| 1674), Theologia mentis et cordis, Paris, 1875, t. XI, part. II, dissert. II, c. n ; N. Alexandre († 1724), Theologia…, Paris, 1714, De eucharist., t. II, a. 1 ; le cardinal Gotti († 1742). Theologia scholastico-dogmalica…, Bologne, 1727-1735, tract, viii, q. i ; Drouin († 1740), 75e re sacramentaria contra perduelles hæreticos, Venise, 1757, t. V, t. i, p. 473 sq. ; et, au xixe siècle, Monsabré qui donne une description très oratoire en même temps que très théologique du sacrifice ainsi compris. Exposition du dogme catholique, Carême, 1884, 70e conférence, Le sacrifice.

Enfin, le R. P. Hugon, soit dans ses Tractatus dogmatici, t. iii, Paris, 1927, soit dans son livre, La sainte eucharistie, Paris, 4e éd., 1922, reprend et vulgarise la thèse de Gonet et de Billuart, la distinguant nettement, comme l’avait fait au xviie siècle Gaspard Hurtado, de la thèse de Vasquez. Pour le P. Hugon, la thèse vasquézienne de l’immolation purement représentative ne suffit pas. Comme la messe est plus qu’un sacrifice relatif, elle doit à la fois représenter la séparation, opérer la séparation virtuellement et appliquer les fruits de la passion. « Que la double consécration représente la séparation accomplie sur la croix et qu’elle applique les fruits du Calvaire, c’est accordé par toutes les écoles ; voyons comment elle renouvelle et produit virtuellement la séparation. Nous savons, d’une part, que les paroles sacramentelles réalisent uniquement ce qu’elles signifient, et, d’autre part, que les paroles de la première consécration signifient seulement la présence du corps, et les paroles de la seconde consécration seulement la présence du

sang ; nous concluons que les paroles de la première consécration ne réalisent par elles-mêmes que la présence du corps et que les paroles de la seconde consécration ne réalisent par elles-mêmes que la présence du sang ; en vertu des paroles, il devrait y avoir sur l’autel le corps sans le sang, et le sang pareillement sans le corps, et le corps sans l’âme principe de vie. Donc, les paroles, par elles-mêmes, comportent la séparation, et, si la séparation n’a pas lieu, c’est qu’elle est empêchée par la loi de la concomitance… » La sainte eucharistie, p. 313-314. Cf. Tractalus : De sanctissima eucharistia, q. ix, a. 2, n. 13.

6. En dehors de l’école dominicaine, la thèse de Lessius-Gonet-Billuart est encore défendue par un certain nombre d’auteurs.

Citons, parmi ceux dont la tendance est le plus accentuée, Frassen († 1711), Scotus academicus, Paris, 16721677, t. iv : La messe est un sacrifice, parce qu’elle est l’immolation non sanglante de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette immolation « consiste, premièrement, en ce que Jésus-Christ est rendu présent dans l’eucharistie comme s’il était mort… ; deuxièmement, en ce que, en vertu des paroles, le sang de Jésus-Christ est mis séparément de son corps, et que, dans le sacrifice non sanglant de la messe, il se fait une effusion mystérieuse du sang par le glaive des paroles, comme dit saint Cyrille… parce que, en vertu des paroles, le sang est placé seul sous l’espèce du vin séparé du corps, et il en serait très réellement séparé, si Jésus-Christ, dans son état d’immortalité, n’était incapable de souffrir et de mourir. » Appendix de sacrificio missæ, p. 599-602.

On pourrait allonger cette liste de quelques noms, notamment de ceux de Huygens de Louvain († 1702), Con/erentise… part. II, Louvain, 1690, De eucharistia, c. ii, n. 1 ; de Gervais Pizzurne de Gênes, Cursus theologieus, Milan, 1682, part. IV, q. xxiii, concl.vi ; de Habert († 1718), Compendiumtheologiee dogmaticee et moralis…, Venise, 1770, tract, de eucharistia, q. m. Mais, pour montrer combien la thèse de Lessius était alors communément admise, il suffira de citer l’autorité de deux catéchismes, celui d’Aix. publié par M. deBrancas, en 1738, et celui de Mâcon, publié par M. Moreau, en 1755. Le premier explique que l’immolation de l’autel est représentative de la séparation réelle qui fut faite sur la croix, « en ce que par la consécration séparément faite du corps de Jésus-Christ sous l’espèce du pain et du sang de Jésus-Christ sous l’espèce du viii, Jésus-Christ est rendu présent sur nos autels, comme dans un état de mort, pour être immolé ; en sorte qu’en vertu des paroles de la consécration prononcées par les prêtres, le corps seul de Jésus-Christ se trouverait sous l’espèce du pain, et son sang seul sous l’espèce du viii, si Jésus-Christ pouvait encore mourir réellement… » Le second, pour caractériser l’immolation de l’autel, emploie les expressions : immolation vraie, mais commencée ; et il les explique ainsi : « Le corps et le sang de Jésus-Christ devant se trouver séparés par la force des consécrations séparées, s’il n’y avait une autre vertu, ces deux consécrations ont dé leur part toute la vertu de l’immolation et en ont tout l’effet requis pour le sacrifice, qui est de témoigner par le glaive auquel la victime est soumise, le pouvoir et le domaine de Dieu sur la vie de toutes créatures. » Au xixe siècle, parmi les disciples de Lessius, M. Lepin, op. cit., p. 602, range Wilmers, S. J., Précis de la doctrine catholique, Tours, 1896, p. 389, et E.-P. Bourceau, La messe, étude doctrinale, historique et liturgique Paris, 1912, p. 18,

3e Théorie de la séparation sacramentelle, plaçant le Christ sous une apparence externe de mort et réalisant ainsi par l’immolation mystique, la signification symbolique propre au sacrifice. — Trois nuances parti