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MESSE. L’IMMOLATION VIRTUELLE : LESS1US
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ceci est mon sang, séparément pronom-ces sur les espèces sacramentelles, tendraient, par leur efficacité propre, à séparer réellement le corps et le sang ; c’est tout à /ait accidentellement, en raison de la loi de la concomitance des parties de l’humanité de Jésus-Christ, que le corps et le sang, qui devraient être séparés, en lait ne le sont pas. On le voit : un clément nouveau intervient ici, que nous n’avions pas trouvé chez les auteurs précédents. A vrai dire cependant, l’immolation virtuelle était une doctrine déjà enseignée avant l'épiique que nous étudions. Toutefois, ce n’est qu’après le concile de Trente qu’elle fut mise en relief par Lessius.

1. Lessius, S. J. († 1623), définit le sacrifice : Oblalio externa, pcr legitimum minislrum soli Deo exhibita, in qua subslantia aliqua sensibilis immutatur vcl eliam perimitur, in protestalionem divini principatus nostrseque servitutis. In divum Thonvtm… De sacramentis et censuris, Louvain, 1(545, III", q. lxxxiii, a. 1, n. 7. La destruction de la victime confère plus de perfection au sacrifice, mais il paraît suffisant que la matière offerte subisse en l’honneur de Dieu quelque immutation, par laquelle soit signifié le souverain domaine de Dieu sur toutes choses. Ibid. La doctrine de l’immutation réelle trouve, avec Lessius, son explication, même dans le sacrifice eucharistique.

Sans doute, dans les Prailectiones de sacramentis et censuris, la pensée de Lessius semble encore hésitante. Il oscille entre les thèses suarézienne et vasquézienne, ou plutôt il les unit, en y ajoutant certains éléments empruntés à Melehior Cano ou à Dominique Soto. A la messe, dit-il en substance, la consécration réalise le sacrifice ; elle apporte, en effet, un véritable changement dans la matière offerte en la transsusbtantiant au corps et au sang, changement qui, plus que tout autre, marque le domaine souverain de Dieu. Mais la consécration est aussi l’essence du sacrifice, parce qu’elle place séparément le corps et le sang sous les espèces sacramentelles et signifie l’effusion du sang à la croix. Le premier point de vue concerne le sacrifice comme tel ; le second concerne le sacrifice eucharistique en tant qu’il est représentatif du sacrifice de la croix. Ibid., n. 31-32. Cf. De jure et juslitia, Louvain, 1605, t. II, C. xxxviii, dub. n. Mais très probablement aussi la communion appartient au sacrifice. Ibid., n. 33.

Dans le traité De perfeclionibus moribusquc divinis, composé vers 1690, la pensée de Lessius évolue. Il abandonne Suarez et, retenant quelques expressions de Yasquez, dépasse ce dernier auteur dans le sens de l’immolation virtuelle. Le changement de la substance du pain et du vin au corps et au sang de JésusChrist ne retient plus son attention : il n’est plus question de la communion. La consécration y est envisagée, comme chez Vasquez, en tant qu’elle réalise la séparation sacramentelle du corps et du sang. Mais Lessius, dépasse Vasquez. Pour ce dernier, vi verborum, seul le corps se trouve sous l’espèce du pain, seul le sang sous l’espèce du vin. Dès lors, bien que par concomitance, le Christ soit tout entier sous l’hostie ou dans le calice, il n’en est cependant pas moins vrai que la séparation sacramentelle est une représentation de la mort de la croix, où fut réelle la séparation. Cf. Disp. CCXXIII, c. iv, n. 37. Pour Vasquez, la séparation sacramentelle est donc essentiellement représentative. Lessius va beaucoup plus loin et considère que par la force des paroles, la séparation serait effective, si la loi de concomitance ne s’y opposait. C’est par accident que la séparation effective n’est pas réalisée : le Christ est immolé mystiquement ; il est détruit virtuellement. Son obslat veritati luijus sacrifiai quod non fiai reipsn separatio sanguinis a carne ; quia in est quasi peu accidf.ns propter concomitanliam partium. Xam quun DICT. DE TIIÉOL. CATII.

lum est ex vi verborum, fit vera separatio, et sub specie panis solum ponitur corpus, non sanguis ; sub specie vini soins sanguis, non corpus… De perfeclionibus divinis, t. XII, c. xiii, n. 95. 97. Les paroles de la consécration sont comme un glaive qui sépare le Christ et le réduit à l'état de victime immolée. Ibid., n. 95.

2. Sylvius († 1649) pose en principe que le sacrifice requiert une immutation réelle de la chose offerte a Dieu. Comment l’immutation se retrouve-t-elle dans la consécration du pain et du vin ? La réponse est assez éclectique. A. l’analyser dans ses détails, on y trouverait d’abord l’explication de Suarez : « une chose profane y devient sacrée, car le pain est changé au corps du Christ ; » celle de Bellarmin : « celui-ci, présent sous l’espèce d’un aliment, est ordonné à la manducation ; » celle de Ruard Tapper et de Hessels : « le corps et le sang du Christ commencent d'être sacramentellement en un lieu et sous un mode d'être où il n'étaient pas auparavant. » Mais finalement notre auteur ajoute l’explication de Lessius : Quia quantum est ex vi verborum consecralionis, corpus et sanguis sisluntur et cxhibentur ut seorsum, unum ab allero, sicut in cruce separatus fuit sanguis a corpore, alque ila Christus mystice et incruente immolatur. In ///"", q. i.xxxiii, a. 1, quæst. ii, concl. 3 a. Cf. q. i.xxiv. a. 1, concl. 2. Malgré les flottements de sa pensée, Sylvius paraît devoir être inscrit à l'école de Lessius. Cf. Lamiroy. op. cit., p. 453, note 3.

3. Le dominicain Thomas Léonardi († 1668) admet la distinction vasquézienne du sacrifice relatif et du sacrifice absolu. Mais sur l’essence même du sacrifice de la messe, sa pensée reproduit le système de Lessius. Brevis seu methodica refutatio totius operis Dorscheeani, Bruxelles, 1661, thèse ix. Même note, plus accentuée encore, chez le jésuite Gaspard Murtado († 1646), qui insiste sur le point essentiel par où la thèse de l’immolation virtuelle se différencie de l’immolation mystique représentative, telle que l’a proposée Vasquez : « Par la force des paroles de la consécration, le Christ est immolé comme une victime, mais d’une façon mystique et non sanglante… La consécration est réellement une immolation mystique, non parce qu’elle représente simplement la mort sanglante du Sauveur (quoiqu’il soit vrai en fait qu’elle la représente), mais elle est dite une mise à mort mystique du Christ, parce que, sans être une immolation physique, elle existe d’une façon cachée et mystérieuse, en tant que réalisée en Jésus-Christ par la force de la signification des paroles consécratoires. » Traclalus de sacramentis et censuris, Anvers, 1664 ; Tractatus de sacrificio missæ, disp. I, diffic. viii. On cite également le capucin Louis de Caspe de Saragosse († 1647), dans son Cursus théologiens, Lyon, 1643, tract, xxiii, disp. I, sect. n. La même thèse se retrouve encore et très expressivement chez Gabriel de Henao, S. J. († 1704), De missæ sacrificio divino…, Salamanque, 1658, part. I, disp. III, sect. iii, n. 48. Cet auteur explique que la séparation sacramentelle est suffisante pour constituer le sacrifice, car « bien qu’elle ne soit en réalité qu’un simple changement local, la signification des paroles et l’action qui en résulte tendent à la division du corps et du sang, et, eonséquemment, de l'âme d’avec le corps et le sang, sous les espèces du pain et du vin. Or, cette division causerait la mort physique et naturelle, si, en vertu de la loi de la concomitance, le sang ne devait se trouver avec le corps sous l’espèce du pain, et pareillement l’aine. »

4. Gonct, au xviie siècle († 1681), et Billuart, au xviue († 1767). ont attaché leur nom à la thèse de l’immolation virtuelle.

a) Gonet, avec l’universalité des thomistes de son époque, définit expressément le sacrifice par l’idée d’iinmutation : Sacrificium est oblalio rei sensibilis.

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