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1147 MESSE, LE' SACRIFICE REPRÉSE NT ATIF : LES PRÉCURSEURS 1148

et de mort. Ainsi en est-il, en ellet, du Christ toujours immortel… » Ibid., tract, xxxi.

2. Salmeron interprète largement la pensée de saint Thomas touchant l’action sacrificielle : uliquid circa res oblatas. D’autres auteurs tiennent pour la nécessité d’une immutation réelle et physique, qui cependant, en ce qui concerne la messe, adoptent la thèse de l’immolation purement représentative dans la séparation sacramentelle.

Pierre de Ledesma, O. P. († 1616), présente la définition de Bcllarmin comme le reflet de la doctrine communément admise. Et cependant, il recourt à l’immolation figurative, résultant de la double consécration. Il rappelle d’abord que « l’hostie consacrée est offerte, avec une certaine immutation, par le prêtre… et que plusieurs autres rites sacrés sont exercés autour des espèces eucharistiques ». Mais, quand il s’agit de rendre raison de l'élément proprement sacrificiel, il ne parle pas d’autre manière que Salmeron. « Le Christ s’est offert à son Père sur la croix d’une façon douloureuse et sanglante. Sur l’autel, il s’offre, non pas en souffrant réellement, mais d’une façon non sanglante. Son sang n’est pas réellement séparé de son corps, sinon par mode de représentation et de signe, marquant (par la séparation sacramentelle) la séparation réelle qui s’est effectuée à la croix entre le corps et le sang. » Theologia moralis, Cologne, 1630, Tractatus de auguslissimo eucharistie sacramento, c. xvii.

3. C’est encore dans le même sens que Guillaume Allen († 1594) développe son explication. Ce théologien définit le sacrifice : Exhibitio seu oblatio alicujus rei sensibilis per aliquam ejus rei confeetionem, conversionem aut mutationem, ipsi Deo, ad nature tributum persolvendum, in agnitionem supremi in nos dominii summique beneficii, facta. Opus aureum : de sacramentis in génère, de eucharistie sacramento, de sacrificio eucharistie, Douai, 1693, 1, II, tit. i, c. i, p. 508. Mais, lorsqu’il doit appliquer la notion du sacrifice à la messe, il en parle comme Ledesma, comme Salmeron. fl conçoit, non une immutation physique de la victime, mais une simple immolation sacramentelle, rappelant le modum immolai itium de Cajétan. Dans la consécration seule se trouve toute l’essence du sacrifice. Allen avait écrit au c. xiii, p. 554, cette phrase significative : In eorum duorum, hoc est carnis et sanguinis separatione… consistil vis hujus mysterii, ut in eo solo cernatur dominice passionis reprseseniatio. Ainsi donc, « ce n’est que sacramentellement que les parties de l’humanité de Jésus, corps et sang, sont séparées et, à l’instar d’un corps mort, peuvent être mangées, portées, touchées, rompues, répandues ». Id., ibtd.

4. Jacques de Bay († 1618) propose, lui aussi, sa définition du sacrifice. Oblatio facta Deo per immulationem alicujus rei, in signum légitime institution divine excellentie et reverentie. Ou bien encore : Oblatio externa, per rei alicujus sensibilis immutationem, immédiate Deo in ejus supremi dominii nostreque subjectionis pro/essionem, facta. De ven. eucharistie sacram. et sacrif., Paris, 1626, t. III, c. n. La messe est un sacrifice parce que « le Christ impassible y daigne souffrir et être immolé derechef d’une manière sacramentelle et non sanglante, en tant que son corps est placé par Dieu sur l’autel, vraiment et réellement, mais séparément, sous l’espèce du pain et sous l’espèce du viii, et que son sang, par une consécration distincte, est placé sous l’espèce du vin. Car cette séparation du corps et du sang sous des espèces propres à la nourriture, et au breuvage constitue une oblation vraie et réelle du Christ et un renouvellement non sanglant de la passion. » Ibid., c. xv. II y a donc ici figure d’immolation réelle : Vi verborum consecrationis ipse Christus exhibetur incruento ritu

disseetus, muctatus, et ad cibum polumque idoneus, ac proinde incruente immolalus… En somme, malgré l’allusion à la destruction de la victime (destruction toute figurative dans la théorie de Bay), nous sommes encore en face de l’explication de Salmeron ; sous les espèces d’emprunt, l’immolation de la victime ne saurait être que mystique et figurative.

5. Estius († 1613) demeure dans le même sillage, tout au moins dans son Commentaire sur les Sentences et dans celui sur la Première Épître aux Corinthiens. Il définit le sacrifice : Oblatio rei externa in agnitionem divine majeslalis nimmique dominii, certo ritu, cum ipsius rei immulatione facta. In I Vum Sent., disp. XXII, § 12, Douai, 1616, p. 167. Bien que l’immutation de la chose offerte entre dans la notion qu’il retient du sacrifice, il adopte, en ce qui concerne la messe, l’interprétation large du texte de saint Thomas : aliquid circa res oblatas. « L’offrande du Christ à la messe sous les espèces du pain et du vin doit être appelée sacrifice, à cause de certaines actions qui sont faites à son égard, et dont la première et la principale est la consécration. » Pourquoi la consécration est-elle l'élément principal du sacrifice ? Parce que, répond Estius, « par la consécration nous obtenons la représentation du Christ sur la croix, en tant que le corps et le sang sont consacrés séparément, ou même l’un sans l’autre. » Bemarquons en passant l’hypothèse du sacrifice réalisé dans la consécration sous une seule espèce.

Sur ce point particulier il s’explique nettement dans le commentaire sur I Cor., xi, 26 : « Bien que la représentation de la mort du Seigneur soit plus expressive dans les deux espèces sacramentelles séparées, elle existe d’une façon suffisante, si l’espèce du pain est présentée sans l’espèce du vin ; le corps du Seigneur y apparaît en effet exsangue, et, en cela, réside assez clairement une représentation de la mort du Calvaire. » Dans le commentaire du ꝟ. 24, il admet que la fraction soit aussi, conjointement avec la consécration, une représentation du sacrifice sanglant et, partant, qu’elle constitue un élément secondaire, mais réel, du sacrifice. Cf. In IV am Sent., loc. cit.

Dans son Commentaire sur l'Épitre aux Hébreux, Estius semble rapporter l’action du Christ dans l’eucharistie au sacrifice éternel qu’il offre dans le ciel. Voir plus loin, col. 1194.

6. Il faut passer rapidement sur un certain nombre de théologiens et d’auteurs spirituels qui s’en tiennent à l’affirmation générale de la représentation sacramentelle du sacrifice sanglant. Citons, d’après M.Lepin, op. cit., p. 450 sq. : Denys Petau, S. J. († 1682), Theologica dogmata, De incarnatione Vcrbi, Bar-leDuc, 1867, t. XII, c.xii, n. 3, 6 ; c. xiv, n. 5, 14-15 ; François de Harley, archevêque de Bouen († 1653), La manière de bien entendre la messe de paroisse, Paris, 1685, p. 162 ; P. Laymann, S. J. († 1664), Theologia moralis, Lyon, 1703, t. V, tract, v, c. i, n. 1 ; Louis Mairat, S. J. († 1664), Disputationes in Sum. S. Thome, Paris, 1633, disp. XXXV f, sect. iv.

Mais il faut faire une place à part, en raison de sa haute valeur théologique, à Jean de Saint-Thomas, O. P. (t Î644), qui clôt dignement la série des auteurs qui s’en tiennent encore à la formule générale de l’immolation mystique constituée par la séparation sacramentelle du corps et du sang. C’est dans son Cursus théologiens, au commentaire de la III a, q. lxxxiii, disp. XXXII, à la fin de l’a. 2, n. 40, que ce théologien expose in qua actione consistit sacrificium eucharistie in quantum sacrificium. Après avoir rapporté diverses opinions, qu’il critique, il prend position et opte pour la consécration seule. « Je dis que la raison essentielle du sacrifice consiste dans la consécration considérée non absolument, mais en tant qu’elle sépare sacra-