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MESSE, THÉORIE DU SACRIFICE REPRÉSENTATIF

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II. — Première conception générale : la messe,

SACRIFICE EN RAISON D’UN ACTE REPRÉSENTATIF DU SACRIFICE DE LA CROIX. - I. FOJi V CLKS ENCORE

u£yÊR.iLES. — 1° Rite de la fraction. — Melchior Cano († 15(50) reconnaît que la consécration appartient essentiellement au sacrifice eucharistique. Seule, en effet, elle réalise la chose offerte à Dieu. L’oblation qui suit (, l’nde et manores) est également indispensable, car tout sacrifice implique l’offrande. Mais, puisque d’après saint Thomas, à l’offrande doit s’ajouter, pour constituer le sacrifice une certaine action (aliquid) exercée à l’égard des choses offertes, il faut chercher en quoi consiste cette action : Ejus verba non obscura surit, écrit Cano, sacri/icium proprie dici cum circa res oblatas aliquid fit. Quam rem. illo eliam confirmât, ut quum panis frangitur et comeditur. L’exemple apporté par saint Thomas, « le pain qu’on rompt et qu’on mange », suggère à Cano la solution suivante : le rite accompli par le prêtre après le Pater, lorsqu’il rompt l’hostie consacrée et en détache une parcelle qu’il mélange au précieux sang paraît bien représenter le corps du Christ brisé sur la croix. La fraction est donc le rite symbolique, spécifiquement constitutif du sacrifice. Sans doute, la consécration et l’oblation sont nécessaires au sacrifice eucharistique… Bien plus, la communion elle-même achève de perfectionner ce sacrifice, moins parce qu’elle détruit la victime que parce qu’elle est, surtout en ce qui concerne l’espèce du viii, représentative du sang répandu au Calvaire. Aussi, la « consomption » des espèces constitue-t-elle l’achèvement du sacrifice. Seule, cependant, la fraction de l’hostie constitue le rite mystique qui ajoute le caractère sacrificiel à l’oblation du corps et du sang du Christ à la messe. De locis, t. XII, c. xiii.

Prise dans son intégrité, la théorie de.Melchior Cano lui est restée personnelle..La place qu’il accorde à la fraction de l’hostie dans le sacrifice n’est plus agréée par aucun théologien moderne. Estius et Grégoire de Valencia feront mention de la fraction comme d’un élément sacrificiel à la messe ; mais ils ne le considéreront pas comme acte distinct de la consécration.

Rite de la communion.

Dominique Soto

(† 1560) abandonne la considération de la fraction. Le sacrifice de la messe étant, avant tout, l’offrande de Jésus-Christ à son Père, suppose comme fondement la présence réelle parla consécration et implique l’oblation du corps et du sang consacrés. Mais consécration et oblation ne suffisent pas. L’aliquid circa res oblatas n’existe pas encore. Retenant, lui aussi, l’un des exemples proposés par saint Thomas : « pain béni, rompu et mangé », D. Sota insiste sur la manducation. La communion lui paraît constituer l’élément proprement sacrificiel de la messe ; seule, en effet, elle réalise parfaitement la représentation de l’immolation du Christ. In IVum Sent., dist. VIII, q. ii, a. 1.

Qu’on remarque le point de vue exact de Soto. Xous entendrons, certes, d’autres théologiens placer dans la communion, soit l’essence, soit une partie essentielle du sacrifice eucharistique. Mais l’identification de leur opinion avec celle de Soto n’est pas possible. Ces autres théologiens — tel, par exemple, Bcllarmin — considèrent la communion comme un acte tendant de soi à la destruction de la victime. Soto considère simplement la communion comme un rite représentatif de la passion et de la mort du Sauveur sur la croix et, à ce titre, apportant à l’oblation de la messe, un caractère spécifiquement sacrificiel.

D’après M. Lepin, on trouve un écho de l’opinion de Soto dans les Méditations du P. Louis du Pont († 162-1) : « En ce sacrement, Jésus-Christ luy-mesmc représente sa mort et sépulture, quand il est mangé et divisé avec les dents et quand il est avalé dans l’estomach, en souvenir de ce qu’il fut haché et deschiré des

! dents de ses persécuteurs et engloutiz de la mort qu’Ile rangea dans le tombeau, t Méditations des mystères de nostre saincte foy, Paris, 1610, part. VI, médit, xil, 3° point, t. ii, p. 652. On rencontre des pensées analogues chez le P. Colon, Institution catholique, Paris, 1610, c. l, t. ii, p. 1233. Cf. Lepin, op. cil., p. 351.

Rite de la double consécration.

Quelles que

soient leurs préférences pour les systèmes particuliers, la plupart des théologiens catholiques considèrent la double consécration comme l’acte essentiel du sacrifice eucharistique. Nous étudierons le développement de cette doctrine, d’abord chez ceux qui, fidèles à la conception traditionnelle des anciens scolastiques ne voient dans le sacrifice eucharistique qu’une représentation du sacrifice du Calvaire, immolant mystiquement Jésus-Christ. En général, ces théologiens restent fidèles à l’explication de Cajétan, voir col. 1 109, et se contentent de la développer ou de l’interpréter. Mais les interprétations accusent souvent des divergences accentuées et donnent naissance à des systèmes différents. Relevons ici ceux qui, les premiers d’ailleurs selon l’ordre chronologique, se tiennent encore dans des généralités et n’accusent pas encore de système bien déterminé. Disons qu’ils proposent, comme raison du sacrifice eucharistique, la séparation sacramentelle du corps et du sang, symbolisant la mort réelle du Christ sur la croix.

1. Salmeron († 1586) définit le sacrifice : Actio mystica, a Deo instiluta, et per ejus sacerdotem ministrata, rem sensibilem Deo soli sacrum faciens, atque ei offerens, ad fructus… percipiendos. Comment, in evang. hislor…, Madrid, 1601, tract, xxix. Pour lui, la consécration seule réalise l’action mystique, constitutive du sacrifice. En effet, dès l’instant que le pain et le vin sont consacrés, le Christ existe sur l’autel à titre de victime, eo ipso quod fit consecratio, Christus immolatitio modo (remarquons l’expression empruntée à Cajétan) ibi existit. Et voici la solution du problème : « Le sacrifice de l’autel, en soi, ne consiste pas dans le changement qui donne au Christ le mode d’être sacramentel, mais dans ce fait que le Christ s’y trouve à la façon d’une victime immolée, non pas simplement dans sa présence sacramentelle, mais dans cette présence sacramentellement divisée par la différence des espèces. Le Christ est immolé, parce qu’il existe sous des espèces différentes… Dans la consécration est réalisée l’action mystique qui sacrifie le Christ véritablement. .. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs que la mort réelle de la victime intervienne dans tout sacrifice : le Christ s’offre présentement dans le ciel et il s’est. offert pendant toute sa vie mortelle, et cela citra mortem… Mais, même en admettant que la mort de la victime soit de l’essence du sacrifice, elle ne manque pas dans l’eucharistie, puisqu’elle s’est produite antérieurement, à la croix… Certains théologiens résolvent la difficulté en disant que, par la force des paroles, la consécration sépare le corps du sang, et que la mort devrait s’ensuivre, si la loi de concomitance naturelle ne s’y opposait. (Salmeron, fait ici allusion à l’explication fournie au concile de Trente par Cuesta, évêque de Léon, voir col. 1124.) Mais cette réponse n’ajoute rien de nouveau à ce qu’on a déjà répondu : la séparation n’est qu’apparente et représentative. Ce qu’il faudrait plutôt dire, c’est que la mort d’une victime vivante et animée, offerte à Dieu sous son espèce propre, doit être effective et réelle pour qu’existe le sacrifice ; mais il n’en est plus de même quand la victime immolée est offerte sous une espèce d’emprunt, sub aliéna specie, inanimée et dépourvue de vie, comme le Christ l’est sous l’espèce du pain, et surtout si la victime offerte sous l’espèce d’emprunt, ne peut être capable d’immolation réelle-