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MESSE D’APRÈS LES THÉOLOGIENS


V. LA MESSE CHEZ LES THÉOLOGIENS POSTÉRIEURS AU CONCILE DE TRENTE. —

    1. ESSENCE ET EFFICACITÉ##


ESSENCE ET EFFICACITÉ. — L’existence du sacrifice de la messe est une vérité de foi consacrée par Ja définition du concile de Trente. Bien que les théologiens postérieurs au concile reprennent à la base de leurs traités du sacrifice de la messe la démonstration de l’existence de ce sacrifice, à l’aide des preuves tirées de l'Écriture et des Pères, nous n’avons pas à reproduire ici leurs démonstrations dont on trouvera les matériaux abondamment rassemblés dans les articles précédents.

La théologie catholique, en effet, est définitivement constituée sur ce point ; le progrès s’affirme désormais dans le domaine des opinions. Il s’agit de savoir, non plus si la messe est le sacrifice de la Loi nouvelle, mais comment la messe peut renfermer un sacrifice. La plupart des théologiens traitent le problème en deux temps. Tout d’abord, ils établissent que l’essence du sacrifice réside dans la consécration. Ensuite ils cherchent à expliquer comment et sous quel aspect la consécration réalise l’action sacrificielle. Cette méthode peut et même doit être retenue en principe, à condition qu’on fasse précéder la discussion ainsi conduite de l’exposé intégral et loyal des systèmes. Dans l’esprit des théologiens qui ont étudié l’essence du sacrifice eucharistique, le choix de telle ou telle partie de la messe comme élément constitutif du sacrifice implique souvent déjà la solution de la deuxième question. A commencer par rejeter en bloc tous les systèmes qui ne se rallient pas au choix de la seule consécration, on s’expose à méconnaître et à mutiler des opinions qu’on a le droit de ne pas admettre, que peut-être même on a le devoir de rejeter, mais qu’il faut étudier objectivement.

On observera toutefois que dans la multitude et la divergence des opinions, un grand nombre d’explications présentent entre elles de réelles affinités. Il n’est donc pas impossible de les grouper par catégories. C’est ce que les théologiens ont fait de tous temps. C’est ce que nous ferons ici, nous rencontrant en cela avec le catalogue très complet que M. Lepin a dressé dans son bel ouvrage, L’idée du sacrifice de la messe, Paris, 1926. Pour quelques théologiens, dont il nous a paru utile de rapporter l’avis, nous avons comblé les rares lacunes que présente ce travail ; mais plus souvent nous avons cru devoir passer sous silence des noms aujourd’hui parfaitement oubliés et sans intérêt réel.

I. Principes directifs adoptés pour la classification des opinions. IL Première conception générale : la messe, sacrifice en raison d’un acte représentatif du sacrifice de la croix (col. 1145). III. Deuxième conception générale : la messe, sacrifice en raison d’un changement apporté dans la matière offerte ou dans la victime (col. 1168). IV. Troisième conception générale : la messe, sacrifice en raison de l’oblation, faite à l’autel, du sacrifice passé de Jésus-Christ (col. 1192). V. Critique des systèmes et essai de synthèse théologique (col. 1246). VI. Efficacité du sacrifice eucharistique (col. 1289).

I. Principes de classification des opinions. — D’une manière générale, la théologie catholique postérieure au concile de Trente accepte la formule de saint Thomas relative au sacrifice. Le Docteur angélique, on le sait, distingue le sacrifice de la simple oblation : Sacrificium proprie dicitur quando circa res Deo oblatas, aliquid fit… Unde omne sacrificium est oblatio, sed non converlitur. Sum. theol., Il a -II ! E, q. lxxxv, a. 3, ad 3, , m. Les termes dont se sert saint Thomas pour exprimer la différence spécifique (sacrifice) par rapport au genre (oblation) sont vagues à dessein : circa res Deo oblatas aliquid

fit, Cette imprécision permet une grande liberté.

Quelques auteurs se contentent de reprendre les termes du Docteur angélique, sans y rien ajouter. En ce qui concerne le sacrifice eucharistique, cet aliquid pourrait n'être et n’est, en réalité, qu’un rite expressif symbolique, représentatif, mystique. D’autres entendent cet aliquid circa res d’une immutaiion réelle, affectant la matière offerte. L’initiateur de cette précision théologique paraît être Ruard Tapper († 1559). qui écrit : Sacrificium proprie dictum… fit quando id quod ofjertur intrinsecus afficitur aliqua qualilate vel nova dispositione. Explicatio arliculorum… a. 16, dans Opéra, Cologne, 1582, t. ii, p. 233. Cf. Lepin, op. cit., p. 731-732. Cette idée d’immutation réelle, accentuée dans le sens de la destruction de la victime par Gaspard Casai, lequel invoque l’autorité de la Somme, III a, q. xlviii, a. 8 ; par Jean Hessels et par François Torrès, entre désormais dans la définition classique du sacrifice et reçoit la consécration des plus grands théologiens de l'époque : Suarez, Hellarmin, Vasquez, Grégoire de Valencia, P. Ledesma. Ce dernier auteur donne même la définition de Bellarmin comme reflétant la doctrine commune. Voici cette définition, qui est comme le type classique sur lequel se modèlent les autres : Sacrificium est oblatio externa jacta soli Deo, qua, ad agnilionem humanæ infirmilalis et professionem divinse majestatis, a legitimo ministro res aliqua sensibilis et permanens ritu mysiico consecratur et transmutatur. Le rite « mystique », loin d'être exclusif d’une transmutation physique, la suppose et l’implique. De missa, t. V, c. ii, dans Opéra, éd. Vives, Paris, 1872, t. iv. p. 300.

Le grand nombre des théologiens accepte, dans la définition du sacrifice, l’idée d’une transmutation, voire d’une destruction de la victime. Mais beaucoup, pour ne pas dire la plupart, se refusent à appliquer à l’adorable victime de l’autel le concept de transmutation, d’immolation, de destruction réelles. Ils ne retiennent, dans leur explication, qu’une immolation mystique, représentative de l’immolation sanglante de la croix. Et par là, ils rejoignent en vérité les théologiens interprétant le terme aliquid circa res oblatas dans le sens d’une simple action mystique autour de la chose offerte. Nous sommes donc en face de deux grands courants : le premier se refuse à admettre, dans le sacrifice eucharistique, une immutation réelle ou physique de la victime ; le second veut trouver, soit dans la matière du sacrifice, soit dans la victime elle-même, un changement réel, une immutation, une sorte de destruction s’ajoutant à l’immolation mystique pour constituer l’action proprement sacrificielle. Toutefois immolation purement mystique, immutation mystique doublée d’une sorte d’immutation réelle, ces deux tendances retiennent encore l'élément immolation réalisée à l’autel même comme le constitutif du sacrifice de la messe. En regard de ce concept du sacrifice-immolation, et sans doute en raison des difficultés qu’on y trouve et des objections qu’il soulève, un certain nombre de théologiens proposent une autre explication, fondée sur le concept du sacrifice-oblation, dans lequel l’immolation mystique de l’autel, pure représentation sensible du. sacrifice de la croix, joue le rôle de simple condition : l’essence du sacrifice résidant dans l’oblation ellemême que Jésus a faite depuis son incarnation de sa vie, de sa mort, et de ses mérites.

Encore que ces courants et tendances ne sauraient présenter — on le verra par la suite — des explications adéquatement distinctes de l’essence du sacrifice de la messe, et qu’on ne puisse retenir d’une façon exclusive aucun d’entre eux, ils constituent un mode de classification commode, auquel, pour plus de clarté, il convient de s’arrêter.