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1107 MESSE ; AFFIRMATIONS CATHOLIQUES EN FACE DE LA RÉFORME 1108

a vu plus haut, col. 1091, que Mélanchthon reprochait précisément aux apologistes de l'Église leur insuffisance à cet égard. Si ce reproche pouvait être justi lié pour les premiers controversistes, il ne le fut certainement plus dans la suite. Contarini reconnaissait tout spécialement l’importance de cette question, De sacram., t. II, c. ni, dans Opéra, Paris, 1571, p. 357 ; mais il devait avouer en même temps la difïiculté qu’il y avait à la résoudre : Paucos inverti aulhores qui bene prodidcrinl scriptis suis quidnam sil sacrificium. De fait, ni lui ni ses contemporains n’ont abouti à une notion uniforme. Si toutes les formules traditionnelles ont élé plus ou moins reproduites, on ne voit pas que l’une d’entre elles arrive à s’imposer, ni que ceux-là même qui lçs adoptent en fassent, en général, le critère régulateur de leur théologie.

Plusieurs, comme Contarini lui-même ou Hosius, Conf. cath. fidei, c. lxxxix, dans Opéra, Paris, 1562, fol. 112, s’en tiennent aux définitions classiques de saint Augustin. Mais dire de la messe qu’elle est un signe visible propre à rappeler le sacrifice invisible du Christ ou à réaliser notre union avec Dieu, ne pouvait en éclaircir beaucoup le concept et moins encore l'épuiser. De même en est-il chez A. de Castro, Adv. hser., art. Missa, dans Opéra, Paris ; 1578, p. 655, quand il se contente, avec Calvin, d’appliquer au sacrifice eucharistique l’idée tout à fait générale d' « œuvre bonne ». J. Fisher, Defensio régie assert., vi, 10, fol. lxiii v°, et J. Clichtoue, Anlilutherus, ii, 14, Paris, 1524, fol. 80 v°, en s’attachant à la définition étymologique de saint Isidore, facere aliquod sacrum, ne peuvent atteindre que l’acte de la consécration sans aucune nuance spécifique.

Mais on voit aussi apparaître quelques définitions d’une plus grande portée doctrinale. Driedo trouve la sanctification essentielle au sacrifice dans l’idée d’offrande : Sacrificium est oblaiio Deo sacrata, qua ofjerens prutestando recognoscit Dcum ut creatorem, aut conservatorem, aut omnium bonarum largilorem, aut propitiatorem. De captiv. et rcd. generis humani, c. i, dans Opéra, Louvain, 1572, t. ii, fol. 9 v°. Mis à part les compléments, qui énoncent les diverses fins du sacrifice, celui-ci reste caractérisé par l’acte d’oblation. Cf. ibid., c. ii, a. 5, fol. 49 v° : Omnis enim oblatio, id est omnis res, sive externa sit sive interna, spontanée data seu præsenlata Deo lanquam supremo omnium domino proprie sacrificium vocatur.

A cette notion générique d’offrande Ruard Tapper se préoccupe d’ajouter une note distinctive. Elle lui est fournie par saint Thomas, qui réclame une certaine action circa res oblatas. D’où cette formule : Sacrificium proprie diclum fit quando id quod offertur intrinsecus afficitur aliqua qualitate vcl nova dispositione. Expl. art., xvi, dans Opéra, Cologne, 1582, t. ii, p. 253. « Première manifestation, note Lepin, p. 291, d’une tendance qui portera bientôt les théologiens à chercher l’essence du sacrifice dans un changement véritable de la matière olTerte, par conséquent l’essence du sacrifice eucharistique dans une sorte de modification subie par la personne du Christ. » On doit également la supposer chez Cajétan, comme le principe latent qui le pousse, ainsi que nous le verrons, à caractériser l'état du Christ à l’autel comme un status immolalitius.

Malgré son importance reconnue, l’analyse de la notion générale de sacrifice n’a pas, en somme, fait beaucoup de progrès chez nos auteurs. « Les apologistes de la contre-Réforme font appel, un peu indistinctement, à toutes les définitions du sacrifice qui leur sont familières, en s’efforcant de les appliquer au sacrifice de la messe. » M. Lepin, ibid. Ce qui veut dre que leur explication du sacrifice eucharistique n’est pas commandée par une définition a priori :

c’est ailleurs qu’il faut en chercher les éléments.

2. Notion générale du sacrifice de la messe.

Pour faire face aux objections du protestantisme, nos apologistes reprennent tour à tour, avec souvent de très heureuses précisions, les principes essentiels du donné chrétien au sujet de la messe.

Ils mettent d’abord en relief ce point fondamental que l'économie chrétienne comporte un seul et unique sacrifice, celui du Christ sur la croix, que la messe ne fait que renouveler sous une autre forme. Una eademque per commemorationem oblatio, qux a Christo in cruce semel peracla est, déclare Jean Cochlée, Quadruplex concordise ratio, I a p. : De missa, n. 9, Ingolstadt, 1544, fol. B 5. Cf. Driedo, De eccl. script, et dogm., t. IV, c. v, dans Opéra, t. i, fol. 251 r° : Non aliud sacrificium nunc offerimus, non aliam hostiam, sed idem quod olim semetipsum in ara crucis obtulit. Et si l’on peut, en raison de ce renouvellement, parler de « deux sacrifices », c’est à condition de prendre garde qu’ils sont, en réalité, eadem secundum subslantiam. P. Boulenger, Inst. christ., t. VI, Paris, 1561, fol. 185.

Entre ces deux états du sacrifice chrétien toute la différence consiste dans la manière dont le Christ y est offert. Christum duas et valde diversas fecisse oblationes : alteram incruentam in cœna, alleram cruentam in cruce. A. de Castro, Adv. hær., art. Missa, Anvers, 1565, fol. 293 r°. Cf. Cajétan, tract, n : De err. in euch. sacram, c. ix, dans Opuscula, Turin, 1582, t. ii, p. 231a : Differentia autem est in modo offerendi, quia tune oblatum est corporaliter, modo offertur spirilualiter, lune est oblatum in re mortis, nunc offertur in mysterio morlis.

Ce qui entraîne pour le sacrifice de la messe un caractère doublement relatif. Au lieu que le sacrifice comporte normalement l’immolation effective de la victime, il n’y a plus ici, suivant la remarque du même Cajétan, qu’une immolation secundum quid. De missas sacrificio, c. vi, dans Opuscula, t. iii, p. 428 v°. En second lieu, la messe est nécessairement le mémorial d’un sacrifice déjà offert en réalité, et ee caractère ne s’oppose pas à ce qu’elle soit néanmoins un véritable sacrifice, cum hœc duo nequaquam ad invicem pugnent esse sacrificium et esse memoriam sacrificii, sed ratione habita ad diversa ma g no inter se consensu conveniant. J. Clichtoue, Anlilutherus, ii, 13, fol. 78 v°.

A ce titre de commémoraison, la messe fait donc intervenir un double élément, savoir tout d’abord le Christ dont l’oblation y est renouvelée. En effet, le sacrifice du Christ ne s’est pas terminé au Calvaire : il dure toujours, de manière à constituer oblatio illa unica, continua, semperque vivens. Nie. Durand de Villegaignon, De ven. Eccl. sacrificio, Paris, 1562, p. 10. Deux docteurs de Louvain, Lindanus et Ruard Tapper, reprennent à ce propos l’idée médiévale du sacrifice céleste, suggérée par l'Épître aux Hébreux, en des termes qu’on a pu rapprocher de Bossuet et de l'école oratorienne. Lepin, p. 277.

Mais cette oblation éternelle du Christ ne devient notre sacrifice que lorsque l'Église le renouvelle. A la rigueur, il ne serait pas besoin pour cela d’un décret divin spécial : étant donné le trésor de la présence réelle, rien ne nous empêcherait de l’offrir à Dieu de notre propre initiative, au jugement de R. Tapper, Explic. art., xvi, dans Opéra, t. ii, p. 253, et nous pourrions nous tenir pour assurés qu’aucune offrande ne saurait lui être plus agréable. Mais nous avons de plus l’institution du Christ à la dernière Cène, qui nous garantit ses intentions positives : Christi passionem… ex Christi mandate, coram Deo statuimus. J. Fabri, De missa evang., Paris, 1558, fol. 148. Cf. Kling, Sum. docl. christ., ciii, Cologne, 1562, p. 107 : Missa est