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MARONITE (ÉGLISE), PATRIARCHES, YIIIe SIÈCLE


p. 390-395 ; Biographie du patriarche, p. 69-72, 128-134. Joseph Estéphan lui-même nous met au courant— de la méthode d’information du délégué apostolique : Celui-ci, dit-il, qualifie de voix publique celle de deux ou trois évêques et de quelques religieux et appelle vérité le produit de leur imagination. Lettre au préfet de la Propagande, 10 nov. 1780, dans’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 389.

Les rapports de Pietro da Moretta transmettaient à Rome l’écho fidèle de toutes les accusations colportées contre Estéphan. Il suffit de les lire pour sentir que leur auteur accueillait sans critique les histoires les plus étranges. On racontait, par exemple, que le patriarche se prosternait devant Hendiyé pour demander sa bénédiction et se faire réciter des prières sur la tête. Et le délégué enregistre la chose comme authentique ; sans remarquer combien elle cadrait mal avec le tempérament du personnage incriminé. Estéphan ne manqua pas, d’ailleurs, de protester contre de telles absurdités. Lettre à la Propagande, dans’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 514 sq. Veut-on mieux ? Voici un fait attesté par un témoin oculaire et non suspect, le P. Tian (plus tard patriarche), qui, ayant terminé ses études à Rome, fut désigné pour accompagner Craveri dans une seconde mission dont nous parlerons plus loin. Un jour, lorsque Joseph Estéphan était privé de l’exercice de ses fonctions, Tian se trouvait à Békorki, chez le vicaire patriarcal. Celui-ci lui dit que le portrait de Hendiyé était exposé près du maître-autel, à l’église de Saint-Joseph de Ghosta. C’est l’église du couvent où Estéphan avait fixé sa résidence. Tian s’y rendit aussitôt pour vérifier lui-même l’étrange affirmation qu’il venait d’entendre. 11 ne trouva à l’église aucune image qui pût offrir la moindre ressemblance avec la visionnaire. Voir la relation du cardinal Antonelli dans’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 592-593. Le fait serait à peine croyable, s’il n’était raconté par un personnage tel que Tian. Or le vicaire patriarcal était l’homme de confiance du délégué apostolique et sa principale source d’information. Voir le rapport du supérieur du couvent franciscain de Harisa dans’Abboud, Biographie du patriarche, p. 53. Un tel détail peut édifier sur la facilité avec laquelle on chargeait le patriarche.

Quoi qu’il en soit, les rapports du délégué produisirent les plus fâcheuses conséquences. Le 25 juin 1779 la congrégation particulière chargée par le pape d’examiner et de juger cette question, faisant état des renseignements fournis par l’ablégat, suspendit le patriarche de tout pouvoir d’ordre et de juridiction, sauf celui de la prêtrise, et lui enjoignit de venir à Rome pour y rendre raison de ses actes. Un vicaire patriarcal était nommé, qui gérerait les affaires à la réserve des élections et des consécrations épiscopales. Ce décret fut confirmé par lettres apostoliques du 17 juillet 1779. Texte dans Jus pontificium, t. iv, p. 244. De toute évidence, la responsabilité de cette décision pèse lourdement sur le P. Valeriano di PratoetleP. Pietro Craveri da Moretta, qui fournirent aux juges des informations erronnées.

Que le patriarche Estéphan ait été trompé dans l’affaire de Hendiyé, ce n’est pas douteux. Mais de là à le rendre responsable des singulières extravagances de la visionnaire et surtout à faire de lui le complice des scandales commis au couvent de Békorki, il y a loin. En tout cas, Estéphan ne se départit jamais de la soumission qu’il devait au chef de l’Église. Pietro da Moretta lui-même dut l’avouer dans sa lettre au secrétaire de la Propagande du 10 janvier 1779. Dans’Abboud, Biographie de Hendiyé, p. 264-265. Cf. aussi diverses lettres d’Estéphan dans’Abboud, Biographie du patriarche, p. 148-152 ; cf. aussi ibid., p. 60, 61, 73 et 78-80 ; Relazioni, t. ii, p. 482-491, 503-539 ; cf. ibid..

la relation du cardinal Antonelli, 18 sept. 1781, t ii, p. 401-402.

Pour mieux comprendre la situation, il faut se rappeler que Rome se fondait, dans la question de droit, sur le texte latin du synode du Liban, tandis que le patriarche n’en possédait que l’original arabe. Or, les deux textes, nous l’avons déjà dit, présentent de notables variantes. D’où divergence de vue dans l’appréciation juridique des faits. Mais il n’empêche, qu’en tout le patriarche ne cessait de déclarer qu’il soumettait son jugement à celui de Rome. La meilleure preuve, c’est qu’il n’hésita pas, dès qu’il reçut la sentence portée contre lui, à se conformer à l’ordre pontifical. Relation du cardinal Antonelli, 18 sept. 1781, dans’Abboud, op. cit., t. ii, p. 398 et 401, 402 ; Lettre d’Estéphan au préfet de la Propagande, . Il juin 1780, ibid., p. 425-426, partie arabe, p. 386-389.

Quant à Hendiyé, elle reçut la récompense que méritaient les trouvailles de son imagination. Rome la déclara victime d’illusions, la condamna à rétracter ses prétendues révélations et à désavouer ses doctrines, qualifiées de fausses, téméraires et sentant l’hérésie. Puis on la relégua dans un monastère de tout repos. Quant à la congrégation et à la confrérie du Sacré-Cœur, elles furent définitivement supprimées. Décrets de la Propagande, 25 juin 1779, confirmés par Pie VI, dans Jus pontifie, t. iv, p. 243-244. Les maronites obéirent aux ordres de Rome. Mais la conduite du P. da Moretta et du vicaire patriarcal, à cette occasion, fut d’une injustice tellement criante que le Saint-Siège dut la blâmer. Lettre du cardinal Antonelli au vicaire patriarcal et relation du même, dans’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 408-416, 450-452, 477, 540-546 ; Biographie de Hendiyé, p. 299-313. Hendiyé, transférée au couvent de Saïdat-El-Haqlah (N.-D. du Champ), y termina ses jours dans des sentiments meilleurs et passa de vie à trépas le 13 février 1798. P.’Abboud, Biographie de Hendiyé, p. 313-320 ; Biographie du patriarche, p. 141-142.

L’Église maronite avait courbé le front sous le coup qui frappait son chef. Ce dernier, malgré les pénibles infirmités qui l’accablaient, se mit en route pour Rome. A bout de forces —, quand il arriva à Beyrouth, il s’y-alita pendant 45 jours, sans pourtant renoncer à son voyage. Relation du cardinal Antonelli, dans’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 416 ; lettres du patriarche à la Propagande, ibid., p. 386-389 de la partie arabe ; Biographie du patriarche, p. 128-134. Avant de reprendre sa route pour se rendre à Sidon, il se fit délivrer par le pacha de cette ville un laissez-passer. A propos de ce permis, délivré uniquement pour donner à sa personne toute facilité de passage, le P. Pietro da Moretta et l’archevêque Michel El-Khazen, vicaire patriarcal, trouvèrent moyen d’attribuer au patriarche des intentions perverses. Mais le cardinal Antonelli fit justice de leurs calomnies. Cf. P.’Abboud, Relazioni, t. ii, p. 417. L’infortuné patriarche poursuivit donc sa route jusqu’à Sidon ; à, il s’embarqua avec quatre prêtres qu’il avait choisis pour compagnons. Avec sa santé délabrée depuis longtemps, particulièrement ravagée par les derniers événements, il ne put résister à la fatigue du voyage : demi-mort lorsque le navire s’amarra dans le port de Caïffa, le 8 juin 1780, il lui fut impossible d’aller plus loin. II descendit à l’hospice des carmes qui témoignèrent à son endroit de beaucoup d’égards. Mais ils n’étaient pas organisés pour recevoir de tels malades. Le lendemain, soutenu par quatre hommes, Estéphan fut conduit à cheval au monastère du Mont-Carmel. Les certificats donnés par trois médecins français, par le vicaire du Mont-Carmel et deux de’ses religieux mirent le Saint-Siège au courant de l’état lamentable de sa santé. Au mépris de l’évidence, le vicaire pa-