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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LA THÉOLOGIE NOMINALISTE

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a) Leur appréciation de la valeur de la messe. — Tous s’entendent à proclamer qu’elle ne produit pas la rédemption opérée une fois pour toutes au Calvaire. Elle nous en applique les fruits.

Tous reconnaissent sa grande valeur pour nous réconcilier avec Dieu et nous unir à lui : « Elle est offerte à Dieu, dit Richard de Médiavilla, pour nous réconcilier avec lui ou nous unir avec lui plus fortement. » In /Vum se7rf., dist.XIII, a. l, q.n, t.iv, p. 161. C’est la doctrine traditionnelle exposée selon l’esprit de saint Augustin et de saint Thomas.

On retrouve aussi les mêmes idées et les mêmes termes que chez saint Thomas dans Durand de SaintPourçain : « En tant qu’elle est un certain sacrifice très agréab'.e.à Dieu, la messe a une vertu satisfactoire, pour remettre la peine due par celui pour qui elle est offerte, qu’il s’agisse de péché mortel ou de véniel, qu’il s’agisse des vivants ou des défunts. » In IVum sent., dist. XII, q. iv, n. 5, fol. 279.

Pour Biel, c’est un sacrifice qui ne peut qu'être agréable à Dieu en tant qu’il émane, par l’intermédiaire du lieutenant qu’est le prêtre humain, du Sauveur, prêtre principal. Lect. lxxxv, fol. 253 d.

Plusieurs, toutefois, déclarent que la valeur de la messe est limitée ; elle ne peut être infinie comme la valeur du sacrifice de la croix. Elle est limitée, d’après Durand de Saint-Pourçain, à la mesure de la dévotion du ministre qui offre, du bon plaisir divin et de la disposition de celui pour lequel elle est offerte. Ibid. Elle ne peut être infinie, déclare Biel, car la messe est un acte qui émane immédiatement de l'Église et de son représentant le prêtre, et à ce titre sa valeur est finie. Quant à la valeur qui lui vient de l’institution du Christ, elle est aussi finie : l’eucharistie contient sans doute la grâce infinie ; mais sa valeur satisfactoire reste finie. Le mérite de l’oblation du Christ à la messe est moindre que sur la croix : à la croix, le Christ s’est offert immédiatement à la mort rédemptrice ; à l’autel l’offrande du Christ est renouvelée, mais par nous ; son immolation n’est point renouvelée, mais seulement représentée. Qui douterait que sa mort effective ne soit d’un plus grand prix que la représentation de cette mort ? Longe minus est meritum oblationis Christi in sacramento missæ quam juerit ejus in cruce. In cruce enim Christus se immédiate oblulit…, in officio autem missæ idem sacrificium est et oblalio, non propler iteratam morlem, sed per mortis semel passée rememorativam reprœsenlationem. Quis aul ?m dubitat esse majoris efficaciæ morlem semel in sanguini.s effusione… Patris eonspectui ofjerre quam lantum mortis semel passæ memoriam. Lect. xxvii, fol. 54 d. Biel en conclut que, plus le fruit limité de la messe sera divisé entre un plus grand nombre, moindre sera ce fruit pour chacun. Ibid., fol. 55 c.

b) Les sources de cette valeur. — La messe tire sa valeur d’une part de l'œuvre accomplie, ex opère operato, d’autre part de la personne du célébrant, ex opère operantis.

a. Valeur ex opère operato. — En ce qui concerne l'œuvre accomplie : oblation, consécration et communion, Biel distingue encore deux sources de mérite, l’une qui tient à l’institution du Christ, l’autre, qui tient à la sainteté de l'Église qui offre.

En vertu de l’institution, le Sauveur s’est déterminé à attacher à la messe certains effets gratuits et salutaires : c’est-à-dire la rémission des péchés et la grâce sanctifiante. Dès lors, même si, par impossible, il n’y avait aucune sainteté dans l'Église, la messe garderait encore son utilité du fait de son institution. Lect. xxvi, fol. 50 d.

Mais la messe comme sacrifice tire principalement sa valeur de la sah-teté de l'Église qui l’offre. Biel, à la suite de saint Thomas et de Duns Scot, part

de ce principe que dans tout sacrifice Dieu tient davantage compte du sentiment de celui qui offre que du prix de ce qu’il offre. C’est ainsi que le sacrifice de la croix fut très agréable à Dieu, parce qu’il émanait du cœur de son Fils. Il en eût été au rement si les Juifs l’avaient offert. C’est ainsi que l’eucharistie n’est pas précisément accueillie comme sacrifice, à raison de son contenu d’une valeur d’ailleurs incomparable, mais à raison de la sainteté de son oblation par l'Église : Eucharistia non præcise ratione rei contenta plene acceplatur sed oporlel quod sit oblata. Hoc enim bonum in eucharistia conlentum quantum reservatur in pyxide et quantum ofjertur in altari sed tantum non œquivalet Ecclesiæ reservalum in pyxide et oblalum in officio missæ. Ultra igitur bonum contentum in eucharistia ad hoc quod proficiat Ecclesiæ, requiritur oblalio, et ad hoc quod oblatio sit placita et accepta, requiritur quod of/erens sit placens et acceptus. Ibid.

A ce titre d’oblation de l'Église universelle, le sacrifice de l’autel sera toujours agréable à Dieu ; car la sainteté de l'Église qui olîre par le prêtre est indéfectible, malgré ses inévitables fluctuations. Dans la mesure où variera cette sainteté, variera aussi, à un moment de l’histoire ou à l’autre, la valeur de la messe. Lect. xxvi, fol. 51.

Adrien VI († 1523) soutient les mêmes principes sur la source principale de la valeur du sacrifice, en examinant la question de la messe d’un mauvais prêtre. Il distingue entre la valeur du sacrifice en lui-même ou de l’oblation, et celle des prières adressées à Dieu au cours de la cérémonie pour les vivants et pour les morts. Le sacrifice eucharistique tient une valeur propre du fait qu’il est offert au nom de l'Église universelle et de la part de cette Église : Aliud est de valore sacrificii seu oblationis quæ ibi fit, et aliud de valore orationum quæ Domino porriguntur pro vivis et defunctis. Primum enim valet ex opère operato… Omnis missa fil vice universalis Ecclesiæ et ejus commissione, et ideo ipsius missæ alius est valor ministri exsequentis, et alius ex parte Ecclesiæ commitlentis. In /Vum sent., Paris, 1528, fol. 28 b.

b) Valeur ex opère operantis. — A côté du rôle indéfectible de l'Église dans l’oblation du sacrifice, il y a le rôle du célébrant. Selon le degré de ferveur de celui-ci, la messe sera plus ou moins agréable à Dieu. Il est évident que la messe d’un bon prêtre est meilleure que celle d’un mauvais prêtre. Mais quelle que soit la malice de celui-ci, il restera toujours que l'Église offre par lui. Du fait que la messe demeure le sacrifice de l'Église universelle, elle sera toujours agréable à Dieu. Biel, Expos., lect. xxvi, fol. 50 ; xxvii, fol. 53.

c) Utilisation de cette valeur. — Bien que la valeur essentielle de la messe ne vienne point du mérite personnel du célébrant, c’est à celui-ci pourtant d’appliquer, de dispenser ses fruits, à raison de la place qu’il tient dans l'Église et de l’ordre qu’il a reçu. Le célébrant non est tantum nuncius et organum sed etiam minister et dispensator. Lect. xxvi, fol. 50 b.

C’est à lui que tout d’abord revient d’une façon 1res spéciale une part du sacrifice : cette part lui appartient plus qu'à personne : elle est à lui avant de pouvoir être communiquée aux autres par charité. Ibid.. fol. 51a Mais, d’une façon très générale, la messe profite à toute l'Église ; le célébrant ne peut exclure personne, mais doit renfermer tous ceux qui appartiennent à l'Église dans son intention habituelle. L'Église seule peut restreindre l’ampleur de la prière du prêtre. En retranchant du corps mystique ceux qu’elle excommunie elle les retranche de la participation aux grâces du corps eucharistique. Encore faut-il reconnaître que, s’ils sont excommuniés injus-