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MESSE DANS L’EGLISE LATINE, LA THEOLOGIE NOMINALISTE


niment, comment échapper à cette conclusion que le sacrifice de nos autels est coordonné et non pas subordonné à celui de la Rédemption, car enfin le Christ n’est pas au-dessus du Christ, ni ce qu’il ferait aujourd’hui moins digne que ce qu’il fit alors. » Ces paroles du P. de la Taille, Esquisse, p. 68, sont un écho fidèle du sentiment de Scot. Elles ne vont nullement à exclure le rôle sacerdotal du Christ à l’autel. Pour Scbt, le Christ y demeure sacrificateur médiat, en ce sens qu’il donne le pouvoir et l’ordre d’offrir. Mais, sous cette réserve que l'Église agit en dépendance du Christ, c’est à elle que revient le rôle d’of/rir immédiatement la victime jadis immolée sur la croix. Etant donnée la toute-suflisance de l’oblation unique offerte au Calvaire pour la rédemption du monde, le Sauveur n’a plus à agir « par une nouvelle démarche personnelle et propre procédant. de lui à son Père ». De la Taille, p. 70. Il ne reste plus à l'Église qu'à s’approprier pour l’offrir elle-même directement, en application de la vertu rédemptrice, la victime jadis offerte au Calvaire : elle le fait tous les jours en dépendance et en vertu de l’acte oblateur qui préside aux siens, « qui les domine, qui les contient et les pénètre, et les complète leur donnant l’efficace, et ce qu’il ont d’unité à travers le temps et l’espace. » De la Taille, Esq., p. 69.

De la conception de Scot sur la nature du sacrifice eucharistique découlent naturellement des conséquences touchant la valeur et la validité de la messe.

b) Valeur et validité de la messe. — Parce qu’offerte immédiatement par le Christ au Calvaire, l’oblation de la passion a une valeur infinie. Parce qu’offerte par l'Église et acceptée en raison du mérite général de celle-ci, la messe n’a pas la même valeur que le sacrifice de la croix : cette valeur est finie. Quodl., xx, n. 22, p. 515. Elle correspond au mérite de l'Église : Palet ex dictis quia virtus sacriftcii non adse-quatur valori ejus qui continetur in sacrificio, sed corresponde ! merito in Ecclesia, non adœquatur mcrito passionis Christi, sicut diclum est inferius, sed pro tanlo ad illud plus accedit pro quanlo illam passionem speeialius représentât, et ita virtute illius speeialius Deum plaçât et bonum impelrat, quantum ad mcritum commune. Ibid., p. 535.

En conséquence, una missa dicta pro duobus non tantum valet hoc modo isti quam valcret si pro eo solo diceretur. Quodl., xx, n. 51, p. 517.

Quant à la validité de la messe, elle dépend essentiellement de la volonté de l'Église au nom de laquelle le sacrifice est offert. Que vaut alors la messe d’un hérétique ou d’un schismatique dont la volonté est séparée de l'Église ? Pierre Lombard avait soutenu qu’un tel prêtre ne consacre pas validement, puisqu’il n’offre point au nom de l'Église. Saint Thomas, critiquant à juste titre cette opinion, au nom de l’inamissibilité du pouvoir d’agir in persona et in virtute Christi attaché à l’ordination, en avait conclu à la validité des messse dites par les hérétiques et les schismatiques. Duns Scot distingue : « Les prêtres séparés de l'Église, dit-il, consacrent, mais ils n’offrent pas vraiment, car consacrer et offrir sont choses séparables et séparées. L’oblation n’est pas de l’essence de la consécration. L’eucharistie, en effet, peut être consacrée sans qu’elle soit nécessairement offerte. Ainsi on offre l’eucharistie non consacrée à l’offertoire et c’est le sacrifice, non le sacrement, de même que l’hostie consacrée gardée dans la pyxide est sacrement, sans être là pour le sacrifice. In IVum sent., dist. XIII, q. ii, n. 5, t. viii, p. 811. Ainsi l’hérétique pourra consacrer validement, car il peut avoir l’intention de faire ce que fait l'Église, par là qu’il veut faire d’une façon générale ce qu’a fait le Christ. Il n’offre point cependant le sacrifice, puisqu’il est séparé de l'Église en la dépendance de laquelle il

devrait offrir. — Cette opinion subtile de Scot sur l’invalidité du sacrifice des prêtres séparés de l'Église n’aura point d’avenir et sera éliminée de la théologie.

Conclusion sur la conception scolisle du sacrifice eucharistique. — On admirera sans doute la logique de cette conception qui explique si bien tout ce qui est impliqué dans la tradition augustinienne sur l’eucharistie comme sacrifice de V ïiqlise.

Il faut reconnaître cependant que les vues de Scot sur la messe n’enveloppent point d’une façon adéquate et explicite tout le champ de la tradition. On n’y trouve point interprétées les affirmations si nettes de saint Ambroise, de Paschase, d’Hincmar sur l’activité permanente du Christ à l’autel et au ciel où il continue à « s’offrir » d’une certain façon, et à présenter à son Père son humanité comme victime glorifiée. Tout un courant de la tradition demeure de ce fait en dehors de sa synthèse.

De même cette synthèse dans son appréciation de ta messe tient uniquement compte du sentiment de celui qui offre (l'Église), et non du prix de ce qui est offert. Incomplète de ces différents chefs, elle a du moins le mérite de mettre en excellent relief le caractère subordonné, relatif du sacrifice de l'Église, par rapport au sacrifice unique du Christ : Celui-là perpétue celui-ci en le représentant, en le commémorant, en l’appliquant.

X. Les continuateurs des grands scolastiques aux xjve et xve siècles. — La longue période qui va du commencement du xive à la fin du xv » siècle est, pour le sujet de la messe, une époque de transition ; elle offre dans son ensemble peu d’originalité, peut-être parce qu’elle est moins connue que les précédentes. Les théologiens de cette époque se contentent ordinairement de transmettre les idées traditionnelles qu’ils trouvent présentées chez Pierre Lombard, saint Thomas et Duns Scot. La théologie de la messe n’offre point pour eux un intérêt nouveau ; aussi leur suffit-il d’exposer la doctrine courante. A l’occasion cependant, ils émettent sur la nature ou la valeur de la messe des vues fragmentaires qui précisent heureusement. telle ou telle idée antérieure.

Les sources.

On serait tenté d’aller chercher

leur pensée dans les nombreux commentaires édités ou manuscrits du livre qui contiuue à être le manuel des écoles : les Sentences de Pierre Lombard. Voir la liste de ces commentaires, Lepin, op. cit., p. 214-221, et Hurter, Nomenclator litterarius, 3e édit., 1906, t. ii, p. 442 sq. C’est là en effet, t. IV, dist. XII, que le maître s’occupe du sacrifice eucharistique.

En fait on sera étonné de constater la pauvreté des renseignements fournis sur la messe par les commentateurs de ce passage. Plusieurs de nos auteurs n’expliquent point la partie du texte où il est spécialement question du sacrifice. Les questions relatives au sacrement les préoccupent uniquement. « La plupart ont leur attention si absorbée par ces dernières questions que l’on ne trouve dans le reste même de leur œuvre aucun renseignement utile sur le problème, qui nous occupe. Tels Henri de Gand, Pierre de la Palu, Pierre d’Auriol, François de Meyron, Michel de Bologne, Pierre d’Ailly, Jean Capréolus, Tartaret. Les autres, c’est-à-dire Noël Hervé, Durand de Saint-Pourçain, Thomas de Strasbourg, Adrien VI, dans les articles qu’ils consacrent à l'étude directe du sacrement touchent transitoirement à la question du sacrifice. » Lepin, op. cil, p. 217. Parfois, ils n’en disent qu’un mot. Ainsi, Richard de Médiavilla, Super IV libros sent., Brescia, 1591, t. iv, p. 158 : Circa lilteram… quolidie immolatur id est ejus immolatio reprœsentatur.

On trouvera un meilleur écho de la doctrine enseignée à cette époque dans d’autres ouvrages composés, soit par ces mêmes commentateurs des Sentences,