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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, SAINT THOMAS

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dans la consécration au nom du Christ, mais nous savons qu'à ses yeux l’oblation du sacrifice est liée étroitement à la consécration. On peut en conclure que le Christ en donnant au prêtre par les paroles : i laites ceci en mémoire de moi » le pouvoir de poser par la consécration la présence réelle de la victime immolée, lui donne par le fait la possibilité, bien plus l’ordre et le pouvoir de l’offrir.

Pour jouir de ce pouvoir, il suffit d'être ministre du Christ par l’ordination ; quiconque l’a obtenu ne peut le perdre. Saint Thomas trouve, dans une meilleure connaissance des exigences du caractère sacerdotal, la réponse définitive à la qpstion de la validité des messes des hérétiques ou des schismatiques. La messe dite par un prêtre légitimement ordonné est toujours valide : > Le sacrifice suit la condition du sacrement ; par le fait que la consécration pose sur l’autel la présence réelle, elle pose l’oblation ; car il suffit qu’il y ait consécration valide, pour qu’il y ait, du même coup, vrai sacrifice, fût-il offert par un hérétique, un schismatique ou un excommunié, auquel cas il serait seulement privé de ses fruits. » Lepin, op. cit., p. 210. En d’autres termes, d’après saint Thomas, tout ce qui est fait par un ministre hors de l'Église au nom du Christ dans la célébration du sacrifice, est valide ; tout ce qui est fait au nom de l'Église dont il est séparé, est nul. III a, q. lxxxii, a. 6 ; a. 7. ad 3um.

y) Valeur de l’oblation eucharistique. — Saint Thomas ne traite point ex professo de la valeur du sacrifice de la messe : il se contente d’en dire quelques mots dans l’exposé de la q. lxxix : Lie eflectibus sacramenti eucharislias.

Ce sacrement, déclare-t-il, produit dans l’homme l’effet que la passion a produit dans le monde, c’està-dire la rémission des péchés : Per hoc sacramentum reprœsenlatur, quod est passio Christ i, et ideo efjectum quem passio Christi fecil in mundo, hoc sacramentum facit in homine unde et ipse Dominus dicit, Matth., xxvi : « Hic est sanguis meus qui pro mullis effundetur in remissionem peccatorum. » Ibid., a. 1.

La messe comme sacrifice a une valeur satisfactoire pour la peine due aux péchés, proportionnelle à la dévotion de ceux qui l’offrent ou de ceux pour qui elle est offerte. A. 5. Elle est utile comme sacrifice non seulement à ceux qui communient, mais à tous ceux pour qui elle est offerte. A. 7. Multiplier les messes, c’est multiplier les oblations du sacrifice, c’est par conséquent multiplier l’effet du sacrifice. A. 7, ad 3um. Pas plus que la passion dont il est le mémorial, le sacrifice de la messe n’opère magiquement ; il n’a son effet que chez ceux qui sont de l'Église, et cela dans la mesure de la dévotion de chacun. A. 7, ad 2um.

b) Interprétation de cet enseignement à la lumière de l’ensemble de la doctrine thomiste sur le sacrifice. — Saint Thomas est augustinien dans sa définition du sacrifice : la sacrifice est un acte de religion qui tend à honorer Dieu. Cet acte a deux aspects, l’un intérieur, l’autre extérieur. Le sacrifice extérieur signifie le sacrifice intérieur qui est au fond le vrai sacrifice, celui par lequel l'âme s’offre à Dieu ; il a pour but de nous unir à Dieu comme à notre principe et à notre fin. Contra Génies, t. III, c. cxx.

L’oblation spirituelle est ainsi au cœur du sacrifice ; celui-ci se range dans le genre oblation, mais toute oblation n’est pas un sacrifice. Il faut déterminer ce qui est nécessaire pour qu’une oblation soit sacrifice. Saint Thomas le fait dans cette définition : Sacrificia proprie dicuntur quando circa res Deo oblatas aliquid fit sicui quod animalia occidebuntur et comburebantur, quod punis /rangitur et comeditur et benedicitur. Et hoc ipsum nomen sonat : nam sacrificium dicitur ex hoc quod homo facit aliquid sacrum. II B -II », q. lxxxv, a. 3, ad 3um.

L’expression choisie l’indique, circa res oblatas aliquid fil, l’action exercée sur la chose offerte, est quelque chose d’indéterminé. En ce qui concerne l’eucharistie, l’action qui est faite sur la chose offerte, à savoir le pain et le vin destinés à devenir le corps et le sang du Christ, c’est la fraction, la communion et la consécration. Toutes ces actions concourent à faire passer la matière offerte de l'état profane à l'état sacré de victime divine. Voir J. Rivière, Sur la définition du sacrifice dans saint Thomas, dans Revue des Sciences religieuses, 1921, 1. 1, p. 228-332.

Il n’est pas besoin de souligner ici que saint Thomas n’envisage nullement une immutation physique, une modification intrinsèque du Christ glorifié ; cette vue irait contre l’ensemble de sa doctrine. Cependant ses commentateurs partiront de cette formule pour affirmer une modification physique de la victime eucharistique. « Trois siècles plus tard, la question principale agitée dans l'École sera de savoir quelle est l’action physique accomplie sur la victime qui constitue l’essence du sacrifice de la messe. » Vacant, p. 46.

On trouve un peu plus loin, chez saint Thomas, une autre définition du sacrifice qui semble favoriser l’idée que l’objet offert doit être consumé et détruit : Si aliquid exhibeatur in cullum divinum quasi in aliquid sacrum, quod inde fieri debeat consumendum, et oblatio est et sacrificium. IIa-IIæ, q. lxxxvi, a. 1.

Cependant, < à y regarder de près, on remarque que la destruction dont il s’agit n’est pas précisément voulue pour elle-même et en tant que telle ; elle est ordonnée à une sorte de production qui en résulte. C’est plutôt un acte de transformation intrinsèque de la matière offerte, la faisant passer à un état supérieur, un acte de sublimation, si l’on peut ainsi dire, en vertu duquel elle devient une chose sacrée, transférée ainsi au domaine de Dieu : Consumendum… in aliquid sacrum quod inde fieri debeat. » Lepin, op. cit., p. 195. Saint Thomas ne s’arrête point d’ailleurs à creuser ses définitions et à en montrer les applications aux différents sacrifices. Il s’inspire cependant de l’idée d’oblation spirituelle pour montrer que la passion est un vrai sacrifice. III a, q. xlviii, a. 3, ad 3um. Le caractère sacrificiel de celle-ci consiste en ce que le Christ s’est offert volontairement sous la pression d’un immense amour. L’immolation sanglante est un forfait des Juifs. C’est en tant qu’acte d’oblation plein d’amour que la passion de Jésus a été un véritable sacrifice.

Dans la logique vivante de cette doctrine, on verrait l’essence du sacrifice de la messe qui est une commémoraison vivante de celui de la croix, dans le renouvellement des mêmes dispositions d’amour et d’obéissance qui constituaient l’oblation du Calvaire. Mais, reconnaissons-le, saint Thomas n’a point tiré cette conséquence ni appliqué sa définition au sacrifice de l’autel. Sa synthèse de l’idée de sacrifice est ébauchée, mais non achevée ; il a du moins posé les grandes lignes de l'édifice définitif.

Conclusion sur l’idée de la messe dans saint Thomas. — En éclairant son enseignement direct sur l’eucharistie, comme oblation et comme représentation de l’immolation du Calvaire, par ses principes généraux touchant le sacrifice, on sera, semble-t-il, dans la logique immédiate de sa pensée en formulant les conclusions suivantes :

Le sacrifice de la messe consiste essentiellement dans une oblation : celle du pain et du vin destinés à devenir par le fait de la consécration, l’Hostie sainte, le corps et le sang du Christ, infiniment dignes d'être offerts à Dieu.

Cette offrande que la prêtre fait à l’autel d’une part sur l’ordre et en la personne du Christ par la vertu duquel il consacre, d’autre part au nom de l’Eglise, est un sacrifice identique à celui de la croix, car il