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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, SAINT THOMAS

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2° Les chefs d'écoU de la théologie et de la liturgie. — La seconde moitié du xiiie siècle, l'âge d’or de la scokistique, voit fleurir deux chefs d'école dont l’influence fut immense, saint Thomas († 1274) et Duns Scot († 1308). A côté d’eux vers la fin du siècle paraît un grand liturgiste qui lui aussi, dans son domaine, exerça sur les âges suivants une maîtrise incontestable'.

1. Saint Thomas d’Aquin.

En ce qui concerne l’eucharistie, il est surtout le théologien de la transsubstantiation, et le poète de l’office du très SaintSacrement ; du sacrifice de la messe, il ne s’est occupé qu’en passant. Mais ce qu’il en a dit résume avec bonheur l’enseignement traditionnel, porte la marque de la précision et de la clarté de son génie, et de plus offre un thème très suggestif aux théologiens qui l’ont suivi.

On trouvera sa pensée sur le sacrifice de la messe exprimée surtout dans son commentaire de la l'e Epitre aux Corinthiens, dans celui des Sentences, et dans la Somme théologique. Pour la saisir, on peut analyser d’abord son enseignement direct sur le sacrifice eucharistique, l’interpréter ensuite à la lumière de sa doctrine sur le sacrifice en général et sur les sacrifices historiques en particulier.

a) Enseignement direct sur le sacrifice eucharistique. — La pensée de saint Thomas sur la messe gravite autour des deux idées suivantes : l’idée de représentation ou de commémoraison de la passion d’une part, l’idée d’oblation d’autre part. En cela saint Thomas continue le point de vue complexe de Pierre Lombard.

L’eucharistie, dit-il, a le caractère de sacrifice, parce qu’elle est une représentation ou une commémoraison de la passion du Seigneur dans laquelle fut le vrai sacrifice : Hoc sacramentum habet triplicem significutionem : unam quidem respectu prateriti in quantum est commemorativum dominicæ passionis in qua fuit verum sacrificium et secundum hoc nominatur sacrifïcium. III a, q. lxxiii, a. 4, corp. et ad 3um ; et q. lxxix, a. 7.

L’eucharistie a aussi le caractère de sacrifice en tant qu’elle est offerte : Hoc sacramentum simul est sacrificium et sacramentum : sed rationem sacrificii habet in quantum offertur ; rationem autem sacramenti in quantum sumitur. Ibid., q. lxxix, a. 5.

a. La messe est une représentation de la passion. — Saint Thomas recherche à quel titre elle l’est et comment.

a) A quel titre ? — Elle l’est doublement, comme image expressive de la véritable immolation réalisée au Calvaire, et comme participation aux fruits de cette immolation.

Elle est d’abord l’image expressive de la passion. « Selon la parole de saint Augustin à Simplicianus, on a coutume de donner au » images les noms des objets qu’elles représentent : ainsi en contemplant un tableau ou une fresque nous disons : voilà Cicéron et voici Salluste. Or la célébration de ce sacrement, on l’a dit plus haut, q. lxxix, a. 1, est une image représentative de la passion du Christ qui est la vraie immolation : Imago quædam est repraoscnlativa passionis Christi, quee est vera ejus immolatio. C’est pourquoi la célébration de ce sacrement est appelée immolation du Christ. De là ce que dit saint Ambroise sur l'Épître aux Hébreux : « Dans le Christ a été offerte une seule fois l’hostie qui a puissance pour nous sauver a jamais. Et nous donc, n’offrons-nous pas tous les jours ? Oui, mais en souvenir de sa mort. » I II-', q. lxxxiii, a. 1. De ce point de vue la messe est figurative de l’immolation du Christ comme les sacrifices anciens.

Mais elle est de plus une participation aux fruits de l’immolation du Calvaire. La messe est aussi appelée immolation « sous le rapport de l’effet de la passion

DICT. DE THÉOL. CATH.

du Christ, en ce que par ce sacrement nous sommes faits participants du fruit de la passion. De là ce qui est dit dans une secrète d’un dimanche : « Chaque fois qu’est célébrée la mémoire de cette hostie, s’exerce l'œuvre de notre rédemption. » Sous le premier rapport, on peut dire que le Christ était immolé même dans les hosties figuratives de l’Ancien Testament. Mais sous le second rapport, il est propre à ce sacrement que le Christ soit immolé dans sa célébration. «  Ibid.

(3) En quoi consiste à la messe cette représentation commémorative de la passion '? — Tandis qu’Albert le Grand n’avait cherché ce rappel figuratif que dans l'élévation, et avait critiqué avec force le mouvement allégorique venu d’Amalaire jusqu'à lui, voir Ad. Franz, op. cit., p. 470-473, saint Thomas, à la suite d’Amalaire, d’Innocent III, et de ses successeurs, cherche dans l’ensemble des cérémonies de la messe comme un tableau de la passion. Tout en effet à la messe concourt à nous donner de la passion une vive impression ; les paroles prononcées, les gestes, la matière du sacrifice, le prêtre, l’autel, le calice. Les paroles n'évoquent point évidemment les gestes des Juifs à l'égard du Christ : le Sauveur n’est point crucifié à l’autel ; elles rappellent seulement les actes de Jésus-Christ vis-à-vis de son Père ; l’oblation sacrificielle, voilà ce qui dure, car l’hostie offerte est éternelle ; elle a été offerte jadis par le Christ, elle est offerte maintenant par ses membres. In I V nm, dist. XII. exp. textus. A côté des paroles, les gestes eux aussi sont représentatifs : ainsi les multiples signes de croix faits sur l’hostie et le calice, les inclinations, l’extension des bras après la consécration, tous ces symboles sont expliqués d’après la tradition allégorique, non seulement dans les écrits de jeunesse, mais dans la Somme, IIP. q. lxxxiii, a. 5. Saint Thomas résume l’explication des signes de croix par ces mots qui marquent bien la relation profonde de la messe au calvaire : Potest autem brevius dici quod consecratio hujus sacramenti et acceptalio hujus sacrificii et fructus ipsius procedit ex virtute crucis Christi, et ideo ubicumque fit mentio de aliquo horum, sacerdos cruce signatione utitur. Ibid., ad 2um.

La double matière du sacrifice, d’abord en elle-même, et aussi dans son oblation, dans sa consécration et à la communion, évoque elle aussi la passion : Oportuit ergo ad dominicam passionem repriesentandam, seorsum proponi pancm et vinum, quie sunt corporis et sanguinis sacramentum. Catena aurea in Matth., xxvi, 8. Même idée, III 11, q. lxxiv, a. 7, ad 2um ; voir aussi In /V UI ". dist. XI, q. ii, a. 1 : Et ideo separatim in hoc sacramentu offerri débet signum corporis et signum sanguinis, duplici materia existenti.

Saint Thomas déclare cependant, comme le remarque M. Lepin, cette représentation réalisée plus essentiellement dans la consécration, en tant que le corps et le sang du Christ y apparaissent rendus présents séparément l’un de l’autre. Lepin, op. cit., p. 186. Il s’agit bien, en effet, de la consécration comme telle, comme partie précise et distinctive de la messe. dans les textes suivants : Reprœscntatio dominicic passionis agitur in ipsa consecratione hujus sacramenti. in qua non débet corpus sine sanguine consecrari. III', q. lxxx, a. 12, ad 3um ; q. lxxvi, a. 2, ad l"" 1 : Hoc valet ad repriesentandam passionem Christi, in qua seorsum fuit sanguis a corpore separatus, unde et in forma consecrationis sanguinis fit mentio de cjus cfjusione. Le calice représente le san^' à l'état répandu et séparé. IIP, q. lxxxiii, a. 2, ail 2°"'.

L’importance reconnue à la double consécration comme image expressive de la séparation du corps et du sang du Christ, n’empêche pas le Docteur angélique de montrer dans le rite de la fraction et dans celui

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