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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LES GRANDS SOLASTIQUES


Le sacrifice de la messe ne consacre pas seulement l’offrande mais sanctifie ceux pour lesquels il est offert. Par rapport aux sacrifices anciens, Albert appelle la messe « le seul sacrifice de vérité, parce que seule elle produit et contient en elle-même par la grâce du corps et du sang de.Jésus-Christ ce qu’elle signifie, et parce que seule elle renferme la source d’une abondante sanctification. » De sacrant, euchar., dist. V, iv, t. xxi, p. 350.

b. Le sacrifice eucharistique est aussi l’offrande du corps mystique du Christ. — C’est la pensée de tous nos auteurs.

Albert le Grand la fait valoir tout spécialement. « C’est encore la merveille du plan divin, dit-il que l’iiostie de no.tre sacrifice ne fasse qu’un avec ceux pour qui elle est offerte, car en s’offrant à son Père, le Christ offre tous ceux dont il a pris la nature, qu’il a purifiés de son sang et qu’il s’est incorporés. » De sacram. euchar., dist. V, iii, t. xxi, p. 90.

A la suite de Cyprien et de ses successeurs, avec ses contemporains, Albert rappelle dans ce sens le symbolisme du pain et du vin : c’est cette idée mère de l’union de l’Eglise à l’oblation du Christ qu’il montre impliquée dans les prières de la messe. Ainsi voit-il dans les trois prières du début du canon ce qu’il appelle une triple communion de l'Église à la victime offerte, dans l'élévation non seulement l’offrande du corps du Christ, mais aussi l’offrande de tous ceux qui lui sont unis, dans la prière Jubé hœc perferri, cette demande « que l'Église militante, corps mystique du Christ, étant unie à ce vrai corps qui est contenu dans le sacrement, monte vers l’autel de la majesté divine pour lui être offerte dans la gloire, comme elle est offerte ici dans la grâce du sacrement. » Id., dist. VI, i, n. 6, p. 103 ; voir Lepin, op. cit., p. 181 et 182.

On comprend que, dans cette perspective, la communion joue un rôle très important dans le sacrifice puisqu’elle réalise parfaitement l’incorporation de l'Église à son chef. Elle est, selon Alexandre de Halès, « le complément du sacrifice ». Summa, p. IV a, q. i, membr. 2, a. 4. Telle est l’oblation sacrificielle qui sera offerte ici-bas aussi longtemps que durera le monde ; d’ailleurs, selon la doctrine augustinienne, Alexandre ajoute : « Ce sacrifice demeurera au ciel, là où ne cessera pas l’action de grâces ; là se perpétuera l’universel sacrifice qu’est l’assemblée des saints, offerte par le grand prêtre à Dieu le Père. » P. IV a, q. i, membr. G, a. 2.

c. Le prêtre. — Le prêtre principal de la messe c’est le Christ. Mais, tandis que Guillaume et Albert le Grand aiment à voir à la messe principalement l’office du Christ, Alexandre de Halès préfère, à l’exemple de Pierre Lombard, montrer le Christ « offert » par l'Église, c’est-à-dire par le prêtre au nom de l'Église. Tel est aussi le langage habituel de saint Bonaventure. Lepin, op. cit., p. 180.

Le prêtre visible a un rôle dépendant et subordonné à l’autel. De sa dépendance à l'égard de l'Église Guillaume d’Auvergne tire une conclusion contestable : les apostats et les hérétiques ne consacrent pas validement, nihil agunt ex parte Ecclesiee catholicæ cujus ncque mintios, neque ministros se gerunt, neque ex parte perfida' factionis. De sacram. ordinis, c. vi. En quoi il ne fait que rester fidèle à une opinion depuis longtemps reçue. Voir M. de la Taille, Alysteriam fidei, c. vi, p. 395-425. Albert le Grand au contraire, In IV am, dist. XIII, q. xi, a. 30, et saint Bonaventure, In IV nm, dist. XIII, a. 1, q. i, vont faire prévaloir le principe que tout prêtre consacre validement s’il en a l’intention et observe la forme de l'Église.

d. La râleur. — L’oblation eucharistique n’a qu’une valeur dérivée de l’oblation du Calvaire ; mais elle

possède toute l’efficacité de celle-ci. Du premier point de vue, Alexandre de Halès dira : « L’immolation de la passion a été plus excellente que celle de l’autel » : du second, il ajoutera : « L’oblation de l’autel doit avoir une efficacité aussi grande que celle de la croix, puisqu’elle tire son efficacité de celle-ci. » Sum., p. IV a, q. x, membr. 7, a. 3.

Guillaume de Paris voit dans l’immolation du Calvaire le paiement du prix du rachat du monde entier, dans l’oblation quotidienne de l’hostie qui nous a rachetés l’application de ce prix à ceux-là seuls que le Prêtre éternel veut gratifier de ce don. De sacram. euchar., c. v, t. i, p. 427 b.

e. L’immolation eucharistique. — Comme leurs prédécesseurs, les précurseurs de saint Thomas sont d’accord à reconnaître que l’immolation du Christ dans l’eucharistie est d’ordre figuratif. Ainsi Alexandre de Halès. Sum., p. IV a, q. x, membr. 8, a. 1.

Albert le Grand écrit, il est vrai : Immolalio nostra non tantum est reprœsentativa sed immolatio vera id est rei immolatæ oblatio per manus sacerdotum, In 7Vum, dist. XIII, q. xi, a. 23, t. xxix, p. 371. Il parle de spiritualis mactatio et immolatio : il dit : Devocamus ad aram Ecclesiæ omni die mysterialiter mactandum et immolandum manibus sacerdotum. De sacram. euchar., dist. VI, tract, i, c. i, n. 3, t. xxi, p. 93. Mais le contexte nous révèle que l’immolation vraie, l’immolation mystérieuse, la mise à mort spirituelle de la messe ne comporte rien autre chose que l’oblation de la victime jadis immolée, sous un signe représentatif de la passion.

Nos théologiens sont moins unanimes dans la désignation des signes sensibles qui figurent l’immolation passée. Alexandre de Halès cherche ces signes dans la consécration, particulièrement dans la consécration du sang. « Pourquoi, se demande-t-il, le sacrement de l’eucharistie est-il consacré sous deux espèces'.' Il y en a, dit-il, plusieurs raisons. La première est le double motif de l’institution de ce sacrement. Il a été institué d’abord pour l’accroissement de la charité, et cela est signifié par le sacrement du corps du Christ sous l’espèce du pain… En second lieu pour la mémoire du bienfait de la rédemption laquelle s’est accomplie par l’effusion du sang du Christ. » Sum., p. IV a, q. x, membr. 2, a. 2. Ainsi la consécration du sang est-elle mise en rapport symbolique avec la passion du Sauveur. Il ne s’agit point ici de montrer dans la séparation comme telle des deux espèces l’image de la séparation du corps et du sang du Christ, mais de présenter la consécration du vin comme une image du sang répandu. A la suite de saint Grégoire, de Lanfranc, Alexandre voit le signe de l’acte même d’immolation dans la communion « Lorsque l’hostie est rompue, lorsque le sang coule » du calice dans la bouche des fidèles, qu’est-il signifié, sinon l’immolation du corps du Christ en croix et l’effusion du sang de son côté. » Sum., p. IV a, q. xi, membr. 2, a. 4.

Albert le Grand expliquera la présence d’un double élément sur l’autel par la nécessité de figurer l’alimentation spirituelle complète. De sacram. euch., dist. VI, tract, ii, c. i, p. 102. Comme signe représentatif de la passion, il signale seulement l'élévation de l’hostie : « Parce signe est rappelé sans cesse à notre souvenir comment il a été élevé sur la croix et a attiré tout à lui. » Id., dist. VI, tract, i, n. 3, p. 93.

En résumé, les précurseurs de saint Thomas s’accordent à trouver le trait essentiel de la messe dans l’oblation du corps et du sang du Christ jadis immolé. « Fermes sur le caractère purement figuratif ou commemoratif de l’immolation du Christ à l’autel, ces théologiens paraissent aussi incertains que leurs devanciers de ce qui constitue à la messe cette figuration ou commémoraison sensible. » Lepin, op. cit., p. 166.