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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LES GRANDS SCOL ASTIQUES


op. cit., p. 164 et 165. Ils font progresser l’analyse théologique de la messe, soit en approfondissant la notion du sacrifiée, soit en précisant l’idée d’oblation et d’immolation eucharistique.

1. La notion générale de sacrifice.

Alexandre de

Halès s’inspire à la fois de saint Augustin et de saint Isidore de Séville dans sa théorie du sacrifice.

De l'évêque d’Hippone il cite cette définition : Sacrificium ergo visibile invisibilis sacri ficii sacramentum seu sacrum signum est. Summa, III 11, q. lv, membr. 4, a. 1. A sa suite, il insiste sur le sacrifice intérieur ; de là cette belle formule tirée de saint Augustin : « L’homme consacré au nom de Dieu, en tant qu’il meurt au monde pour vivre à Dieu, est un sacrifice », p. IV", q. i, membr. G, a. 2 ; de là cette distinction d’un double sacrifice dans le mystère de la croix : Sacri ficium Christi ad nostram redemptionem duplex fuit spiriluale et corporale. Spiriluale fuit sacri ficium devotionis et amoris scdutis humani generis, quod sacri ficium obiulit in mente. Corporale fuit sacri ficium mortis quam sustinuit in cruce vel quæ rcprœsentatur in sacramento. P. II I a, q. lv, membr. 4, a. 8, ad 2um. Il reprend aussi la définition d’Isidore de Séville, mais pour la compléter. « Le sacrifice est une oblation qui à la fois devient sacrée par l’offrande et qui consacre ou sanctifie l’offrant pourvu qu’il soit bien disposé. » P. IID, q. lv, membr. 1, a 1.

Guillaume, évêque de Paris, dira à peu près dans les mêmes termes : sacrifier, c’est offrir pour rendre saint et le don offert, et celui qui offre, et celui pour qui on offre. De legibus, c. xxiv, Opéra, Paris, 1674, t. i, p. 72. « C’est donc l’offrande qui est la raison essentielle du sacrifice ; de la chose offerte, elle fait une chose sacrée, en la transférant au domaine de Dieu. » Lepin, op. cit., p. 174. L’idée n’est pas nouvelle ; nous l’avons trouvée chez saint Ambroise, saint Augustin et ses disciples ; mais elle va prendre, à partir du xiu 8 siècle, un relief nouveau dans la théologie de la messe et s’adjoindre plus intimement la considération de sanctification de l’offrant. Cette idée d’offrande va dominer de plus en plus jusqu'à Vasquez. Vacant, op. cit., p. 39.

Alexandre de Halès et Guillaume nous révèlent le sens qu’ils attachent à l’oblation sacrificielle surtout par leur interprétation des sacrifices anciens : « Ceux-ci ont été institués en premier lieu pour le culte et l’fconneur à rendre à la divine majesté. En second lieu, parce qu’ils signifient le véritable sacrifice, savoir le sacrifice universel du Rédempteur et le sacrifice spécial de l'âme fidèle. Troisièmement pour donner aux hommes une forte impression de la justice divine, car par cela même qu’ils offraient et égorgeaient des animaux, iis se reconnaissaient dignes de mort. Enfin, ces sacrifices étaient agréables à Dieu, parce qu’ils inspiraient confiance en la miséricorde divine par l’amour de la bonté. Les sacrifices faisaient pour ainsi dire des hommes les commensaux de Dieu, et la commensalité est bien la plus étroite des unions, le plus efficace moyen d’intimité. Aussi, comme Dieu ne pouvait communier à ceux qui lui offraient le sacrifice, envoyait-il parfois le feu du cie ; et celui-ci consumait et mangeait en quelque sorte, à sa place, la part qui lui était offerte. » P. III a, q. lv, membr. 4, a. 2. Guillaume de Paris expose les mêmes idées en des termes à peu près identique. De legibus, c. xxiv. t. i, p. 72. Il insiste sur le sens de l’immolation des victimes comme significatrice de la justice et de la miséricorde divine. « De même que cet animal est entre mes mains et que je peux, à volonté, le tuer ou l'épargner, ainsi nous sommes entre vos mains et par justice vous pouvez nous mettre à mort pour nos péchés, ou nous faire mis rico de. »

Plusieurs théologiens, après le concile de Trente, fonderont sur cette considération toute une théorie du

sacrifice-destruction. II faut remarquer, avec M. Lepin, que Guillaume de Paris, tout comme Alexandre de Halès, « énumère quatre fins du sacrifice : l’adoration, l’action de grâces, l’union. La réparation ou satisfaction à la justice n’en est qu’un élément partiel, non le principal, encore moins l’essentiel ». Lepin, p. 176. Le fait est que l'évêque de Paris ne fait point entrer cette considération dans la définition générale du sacrifice ; l'élément essentiel qui constitue d’après lui cette définition, c’est l’offrande.

2. L’oblation eucharistique.

a) Son objet. Le

sacrifice eucharistique, pour nos auteurs, consiste essentiellement dans une oblation, l’oblation du Christ jadis immolé, et offert actuellement en union avec son corps mystique sur l’autel. C’est là ce qui le constitue différent de tous les autres symboles salutaires, c’est là ce qui en fait l’efficacité.

a. Elle est l’offrande de Jésus lui-même. — Collatio gratiæ majoris effwaciæ vel minoris non est causa quare corpus Christi est præsentialiter in hoc sacramento, sed repreesentatio divinæ passionis cum iteratione oblalionis qua ipse præsens corporalitcr Palri offerebatur ; quoniam non posset oblatio iterari, nisi præsens esset in sacramento cujus oblatio in ipso iteratur. Alexandre de Halès, Summa, p. IV a, q. x, membr. 7, a. 3.

Guillaume, de son côté, établit qu’une âme exempte de péché, pleine de vertu, serait un sacrifice parfait, parce qu’elle serait comme un parfum d’agréable odeur, et un brasier de charité offert à Dieu. De legibus, c. xxviii, p. 100. Telle fut l'âme de Jésus sur la croix. Ibid., p. 101. Or, c’est cette même victims jadis immolée qui est offerte par le prêtre à l’autel pour la sanctification du peuple : « De tous les sacrifices que le prêtre peut offrir, Jésus-Christ, prêtre souverain, est lui-même le plus digne d'être agréé de Dieu et de l’apaiser : le Christ est en effet tout consumé des feux de sa charité et pour l’excellence de sa sainteté même très agréable à la majesté divine. » De sacrum, ewhir., c. ii, p. 435. Selon la définition générale du sacrifice, l’oblation du Christ faite à la messe sanctifie tout le peuple chrétien. « L’oblation de la victime jadis immolée sur la croix reste la seule oblation convenable de la Loi nouvelle », dit saint Bonaventure, Breviloquium, art. VI, c. ix, édit. de Quaracchi, t. v, p. 274 a. En tant que la messe contient cette oblation, elle est un mémorial vivant. Comm. in Lucam, c. xxii, n. 27, t. vii, p. 547.

Albert le Grand insiste lui aussi sur l’offrande eucharistique de Jésus-Christ à Dieu, mais surtout en la distinguant de l'état d’immolation où Jésus a été constitué sur la croix par l’iniquité des Juifs. Il le fait en répondant à la question classique : Est-ce que le Christ est immolé en chaque sacrifice ? « Le Christ, dit-il, est très véritablement immolé chaque jour en ce sens qu’il est offert en sacrifice. Car l’immolation signifie l’acte d’oblation du côté de la chose offerte, et le sacrifice signifie le même acte du côté de l’effet produit. D’où, comme du côté de la chosa offerte, l’oblation jadis faite demeure toujours capable d'être renouvelée, en renouvelant l’acte de cette oblation nous immolons et sacrifions toujours. Il n’en va pas de même de la crucifixion. Celle-ci ne signifie point l’acte d’oblation du côté de la chose offerte, mais plutôt l’horrible forfait des Juifs, et il n’y a pas lieu de le renouveler. On comprend dès lors dans quel sens notre immolation n’est pas purement représentative, mais réelle. L’immolation vraie implique deux choses : une chose immolée et son oblation. L’oblation n’est pas purement représentative, mais renouvelée en toute vérité ; pour la mise à mort et la crucifixion il n’en va pas de même ; elle n’est que rappelée, que figurée, i /n IV 11 '", dist. XIII, a. 23, édit. Vives, Paris, 1894, t. xxix, p. 369.