1023 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LES AUTEURS DU X* SIÈCLE 1C24
sacrifice eucharistique non par l’identité de la victime de l’autel et de la croix, mais par l’unité du Verbe omniprésent à toutes les hosties, va se retrouver chez le pseudo-Primasius, Rémi d’Auxerre et Hériger de Lobbes. Au seuil du xi » siècle, Gérard de Cambrai utilisera les pensées d’Augustin, de Bède et de Paschase pour défendre la vérité du sacrement et du sacrifice eucharistique contre les cathares. Ces auteurs ne font guère progresser la théologie du sacrifice de la messe ; aussi suffira-t-il de signaler ce qu’ils peuvent avoir d’original.
1. Explication de l’identité du sacrifice de la croix et du sacrifice de l’autel par l’unité du Verbe omniprésent. — On la trouve dans le pseudo-Primasius, dans un commentaire de l'Épître aux Corinthiens, P..L., t. cxvii, col. 567-577, et dans Rémi d’Auxerre.
Ces différents auteurs, à la suite de l’anonyme de la lettre à Égil.ne se" contentent point d’aflirmer l’unité du sacrifice chrétien, l’identité du sacrifice de l’autel et de celui du Calvaire, de démontrer cette identité par l’unité de la victime toujours la même ; ils en cherchent l’explication dans l’unité du Verbe omniprésent : c’est cette unité du Verbe, possédant partout le même corps qui fonde l’unité de sacrifice. Voir Geiselmann, Die Eucharistielehre, c. ni ; §2, p. 171-176.
Telle est la pensée exprimée par l’auteur inconnu d’un commentaire publié sous le nom de Primasius : In Episiolam ad Hebrœos, P. L., t. lxviii, col. 685 sq. Aptissime ergo animadvsrtendum est, quia divinilas Verbi Dei, quæ una est, et omnia replet et iota ubique est ipsa facit ut non sint plura sacrificia, sed unum, licet a mullis ofjeratur, et sit unum corpus Christi cum illo quod suscepit in utero virginali, non multa corpora ; … proinde unum est hoc sacrificium Christi non diversa, sicut illorum erant. Nam, si aliter esset, multi essent Christi, quod absit. Llnus ergo ubiqu ; est, et hic plenus existais et illic ; plénum unum corpus ubique habens. Et sicut qui ubique offertur unum corpus est, non multa corpora, ita etiam et unum sacrificium. Col. 748 B. L’auteur semble déduire ici l’identité du sacrifice chrétien, et son unité, ainsi que l’omniprésence du même corps sur tous les autels de l’ubiquité du Verbe ; il n’est pas nécessaire de souligner ce qu’a de défectueux une telle déduction, puisqu’elle implique la confusion entre une propriété particulière à la divinité du Verbe, et le fait miraculeux de la multiplication du corps du Christ.
On retrouve la même idée chez Rémi d’Auxerre († 908). Son Expositio misses « vaut surtout par sa dépendance de celle de Florus dans la seconde partie. De plus, elle eut la fortune d'être comprise dans le De divinis officiis de pseudo-Alcuin dont elle forme le chapitre xl, et grâce à ce contexte, elle servit assez longtemps à défendre des idées qui perdaient la faveur. » Vv’ilmart, art. cit., col. 1206. La plupart du temps, cet auteur se contente de transcrire le texte de Florus ; c’est dans une de ses rares additions à ce texte, qu’il introduit sa théorie des rapports entre le corps eucharistique et le corps historique, même l’explication de ceux-ci par l’ubiquité du Verbe : Quia sicut divinitas Verbi Dei una est, quæ totum implet mundum, ita licet multis locis et innumerabilibus diebus illud corpus consecretur, non sunt tamen multa corpora Christi, neque multi calices, sed unum corpus Christi et unus sanguis cum eo quod sumpsit in utero Virginis et quod dédit apostolis. Divinilas enim Verbi replet illud quod ubique est et conjungit ac facit ut, sicut ipsa una est, ita conjungatur corpori Christi et unum corpus ejus sit in veritaie.De celebratione missæ, P. L., t. ci, col. 1260.
On retrouve des idées semblables dans le commentaire de la première aux Corinthiens, P. L., t. cxvii, col. 567-575, qui figure dans P. L., sous le nom d’Haymon d’Alberstadt, mais pourrait être de Rémi.
Même souci en effet de mettre en relief la vérité du corps qui est offert sur l’autel, Cum jam licet panis videatur, in veritate corpus Christi est, col. 572 D ; même conception, mais plus explicitement affirmée, de la constitution du corps eucharistique fait de pain et d’une vertu divine : Panis quem quotidie consecrant sacerdotes in Ecclesia, cum virtute divinitatis quæ illum replet panem, verum corpus Christi est, col. 572 C ; même conception de la divinité omniprésente comme principe d’unité entre le corps eucharistique et le corps historique : Divinitatis enim plenitudo quæ fuit in illo, replet et istum panem, et ipsa divinilas quæ implet cœlum et terram, ipsa replet corpus Christi quod a multis sacerdolibus per universum orbem sanctificatur, et facit unum corpus esse, col. 564 C ; même conception enfin de l’unité du corps mystique, fruit de la communion au corps eucharistique. Ibid.
Cette théorie, loin d’expliquer comme la tradition le faisait, l’unité du sacrifice chrétien par l’identité absolue de la victime présente sur l’autel avec la victime du Calvaire, présuppose la différence du corps eucharistique et du corps historique, se fonde sur une théorie dynamiste qui supprime en fait la présence du vrai corps du Christ à l’autel, pour n’admettre comme victime du sacrifice chrétien qu’un pain pénétré d’une vertu divine : c’est la divinité même du Verbe qui, immanente par son ubiquité jadis à la victime du Calvaire et maintenant à tous les pains consacrés, unifie par sa vertu omniprésente toutes les hosties du sacrifice chrétien.
2. Explication de l’unité du sacrifice chrétien par l’identité du corps du Christ offert sur la croix et à l’autel. — Cette théorie est surtout présentée par Rathier, évêque de Vérone († 974), à la fin de son ouvrage : Excerptum ex dialogo confessionali. Rathier y recommande et y transcrit quædam excerpla ex opusculis cujusdam Paschasii Radberti. P. L., t. cxxxvi, col. 444 A.
C’est bien, en effet, la doctrine paschasienne de l’identité du corps du Christ à l’autel et à la cène qui se dégage de l’ensemble de ses écrits. Præloquiorum, t. III, 16, P. L., t. cxxxvi, col. 231 ; Synodica ad presb., iv, ibid., col. 557A : Qui ergo panis, ipse est agnus, qui agnus, ipse Christus, qui Christus, ipse est Pascha, qui Pascha, ipse pro nobis immolatus. Il faut noter cependant les hésitations de sa pensée sur l’objectivité du sacrilice des indignes. Touchant l’objectivité du sacrifice dignement offert, point de doute : Nam de digno oblato sacrificio, quod caro sit nihil hœsito. Sur l’objectivité du sacrifice des indignes, il avoue sa perplexité. Cependant, appuyé sur les témoignages de saint Jean Chrysostome et de saint Augustin, il conclut dans le sens traditionnel à une objectivité identique dans les deux cas : Hoc itaque sensu mihi videtur idem esse hoc sacrificium bono quod malo, digno quod indigno, sed non idem præstare. De contemptu canonum, i, 21, P. L., t. cxxxvi, col. 510.
On retrouve chez l'évêque de Vérone un écho de la pensée amalarienne sur l’importance du Pater, dans la consécration eucharistique : Cum vero illa specialissime oratione censeretur oblatio populo porrigenda, ubi Deo dicitur : Pater noster. Ibid., col. 5Il A.
Quoi qu’il en soit de ces deux derniers points, il reste que Rathier est un excellent témoin du réalisme sacrificiel de la messe au xe siècle. Voir dans le même sens Gézon de Tortone, dans le traité cité plus haut.
3. Explication ultra spirilualisle des rapports du sacrifice de la croix et de celui de l’autel : Thèse de la distinction entre le corps historique du Christ et le corps eucharistique. — Comme représentant de cette idée, il faut citer Aelfric (t vers 1020).
Cet auteur se fait l'écho, à la fin du x° siècle, de la pensée de Ratramne sur la non-identité du corps