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1017 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LES ADVERSAIRES DE PASCHASE 1018

tout fidèle doit croire Indubitablement que le corps du Christ placé sur l’autel est la vraie chair du Christ ; il le fait eu ternies empruntés à Paschase et attribués à saint Augustin. Op. cit., 1, col. 1511-1512. Sur ce problème des extraits de Paschase, voir Lepin, op. cit., p. 759-783.

Sa pensée profonde est cependant loin de celle de Paschase : Il repousse d’abord la thèse chère à Paschase de l’identité du corps du Christ à l’autel et au Calvaire ; il le fait en s’appuyant sur saint Ambroise et saint Augustin. Il s'étonne de voir mise la thèse paschasienne sous le nom de saint Ambroise. 2, col. 1513. Elle serait d’ailleurs opposée à saint Augustin : celui-ci distingue trois corps du Christ, l'Église, le corps eucharistique et le corps assis à la droite de Dieu. Ce faisant, le grand docteur discute comme si la pensée d’Ambroise ne lui agréait point, ita disputât beatus Augustinus quasi non ci placuerit quod sanctus dixit Ambrosius. 3, col. 1513. Ces paroles révèlent chez l’anonyme, pour la première fois à notre connaissance, le sentiment d’une diversité de doctrine entre Ambroise et Augustin.

Il critique ensuite, comme étant d’un réalisme exagéré, les passages où Paschase semble affirmer l’existence d’une réelle souffrance dans la victime de l’autel : Quoties missarum solemnia celebrantur, toties Dominum pâli prædicat. 6, col. 1516 et 1517. Il rejette cette thèse comme inviaisemblable : de nouvelles souffrances du Christ ne pourraient venir en effet que du prêtre qui sacrifie, du Père qui sanctifie les choses consacrées, du Fils qui vivifie les communiants, de l’Esprit par lequel Dieu crée et consacre, du peuple ou de l'Église, toutes choses inadmissibles. 6, col. 1516, 1517. De telles souffrances d’ailleurs seraient inutiles : une seule passion suffit pour détruire tous les péchés des élus. Point n’est besoin d’imaginer de nouvelles passions pour sauver les réprouvés : le Christ n’est pas mort pour eux. 6, col. 1516. La célébration de la messe ne comporte pas plus de souffrances que la cène. 6, col. 1517. Bien moins encore qu’alors elles sont possibles aujourd’hui : le Christ est impassible. Il n’a soutTert vraiment qu’une fois ; bref, notre auteur rejette avec ironie l’idée d’un renouvellement de la passion à l’autel, chaque fois que ! e sacrement du corps du Christ y est offert. G, col. 1517.

b. Conception positive de la messe. — Toute la conception sacrificielle de notre auteur repose sur la distinction qu’il croit augustinienne du triple corps du Christ, corps eucharistique, corps né de Marie et corps mystique à savoir l'Église. 3, col. 1513.

Le corps eucharistique est l'œuvre du Christ glorifié, souverain prêtre. Par les paroles : « Ceci est mon corps », les éléments eucharistiques deviennent le corps du Christ, 4, col. 1514, sont divinement consacrés.

3, col. 514. Le Christ, s’il ne souffre pas sur l’autel, veut exercer néanmoins son activité dans la consécration, consecrando venil verterc, 7, col. 1517, verum corpus creare, consecrare. 6, col. 1517. Au terme de cette activité divine se trouve sur l’autel le corps eucharistique sumplibile, qui entre au moment de la prière Jubé hœc perjerri en relation très intime avec le corps glorifié inconsumplibile : Ad illa verba Hoc est corpus meum fil corpus Domini, et supplicante sacerdole, corpus Domini sumplibile transjertur in corpus Domini nalum de Virgine quod est penitus inconsumplibile.

4, col. 1514.

Par le fait de cette relation, une vertu du corps du Christ qui vit au ciel est communiquée à son corps qui est sur l’autel pour sanctifier les fidèles qui forment son corps mystique. Voir Vacant, p. 32. Ce n’est point le corps céleste qui nous est donné, mais ce qui est en lui, ce qui vient de lui, tout en le laissant dans son intégrité absolue. 4, col. 1514. C’est, en

d’autres termes, un fruit qui vient de lui et qui est réservé aux seuls élus : Dat electis tantummodo suis fructum suum. 3, 4, 5.

Aussi la messe est-elle au centre d’un grand organisme surnaturel : au ciel, le corps glorifié, source de grâces, sur l’autel, le corps eucharistique, moyen et canal de grâces, dans l'Église, le corps mystique, nourri et fortifié par la chair vivifiante ; en haut, la chair inconsumptibilis, dans, invescibilis, sur l’autel, la chair sumplibilis, data, vescenda, sumenda, dans l'Église, la chair corruptibilis, accipiens, vescens, sumens. Ces trois chairs forment une naturelle unité. 7, col. 1518. Mais cette unité organique est semblable à celle des deux natures dans la personne du Christ, à celle de l’homme et de la femme, qui dans le mariage ne forment qu’une seule chair. C’est dire qu’elle laisse subsister une grande différence entre le corps glorifié du Christ, et le corps eucharistique. Celui-ci n’est pas homme : Istud non est homo, tandis que le Christ glorifié est Dieu et homme. Nous aurions ainsi deux grandeurs différentes au ciel et à l’autel : Aliud specialiter corpus Christi quod sedet ad dexteram Dei, et aliud spccialiter istud quod diuinitus creatur. Ces deux choses cependant formeraient une unité dont le principe serait dans la divinité du Verbe qui pénètre à la fois le corps glorifié et le corps eucharistique : Ob id, non duo sont corpora sed unum, licet aliud specialiter illud, aliud istud ; quia prorsus adeps Me jrumenti id est divinilas Verbi facit ut unum sit corpus agni. 7, col. 1517. Cf. Geiselmann, op. cit., p. 222-239. Ainsi donc, malgré ses formules réalistes du début, l’anonyme est bien, comme Ratramne, un adversaire de Paschase et de son réalisme sacrificiel. Comme Ratramne, il aboutit, en prétendant s’autoriser de saint Augustin, à une conception symboliste-dynamiste qui vkle le sacrifice de la messe de la présence substantielle du corps glorifié, et ne laisse sur l’autel qu’un sacramentum pénétré de la vertu du Verbe.

d) Jean Scot Érigène. — Le grand spéculatif, disciple du pseudo-Denys, néoplatonicien de tendance, appelé en France par Charles le Chauve pour être mis à la tête de l'École du palais, a certainement écrit sur l’eucharistie de façon 'à donner prise à là critique. Voir art. Érigène, t. v, col. 402-434, spécialement, 405, 406 ; art. Eucharistie, col. 1213.

Hincmar, vers 860, lui reproche entre autres choses sa conception purement figurative de la messe. De prsedestinatione, xxxi, P.L., t. cxxv, col. 296 1). Un autre contemporain, Adrewald de Fleury, écrit un traité De corpore contre ses « inepties ». P. L., t. cxxiv, col. 947-954.

Point n’est besoin pour expliquer ces jugements que Scot ait écrit un traité spécial De corpore et sanguine Domini. L’opinion au xie siècle, sans doute, lui en attribuait un. Mais « le livre qui circule sous son nom au xie siècle est certainement le traité de Ratramne ». Voir la preuve de cette identification dans Heurtevent, Durand de Troarn, appendice, p. 253-285. Ce que nous lisons dans les œuvres existantes de l'Érigène, particulièrement dans ses commentaires sur l’Exposition de la hiérarchie céleste et sur l’Exposition de la hiérarchie ecclésiastique, ce que nous savons de l’orientation générale de sa pensée, ce que nous trouvons dans ses passages eucharistiques suffit à légitimer le jugement d’Hincmar. Sa conception générale de la religion et du salut, une sorte de monophysisiiK' dont il a trouvé le germe dans pseudo-Denys, le porte à minimiser l’importance de l’humanité et par conséquent de la chair du Christ dans l'œuvre rédemptrice, à faire évanouir en quelque sorte l’humanité glorifiée dans la divinité. In cœlest. hier., c. iii, P. L., t. cxxii, col. 175 D. Cf. : Carnem Christi versam jam in spirilum, jam in ipsum Deum, De divis. naturse,