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1015 MESSE DANS L ÉGLISE LATINE, LES ADVERSAIRES DE PASCHASE 1016

spirituel. Au terme de ce changement, il n’y a pas qu’un signe nu, mais un sacramentum, c’est-à-dire un signe salutaire. C’est un corps et sang spirituel : Sub velamento corporci partis, corporel vini, spirilalc corpus, spiritalisque sanyuis existit. 16, col. 135. C’est quelque chose d’invisible, d’impalpable, d’incorruptible, 63, col. 153 ; c’est une puissance du Verbe : Patenter osiendit secundum quod habeatur corpus Christi, videlicet secundum quod sit in eo spiritus Christi, id est divini potentia Verbi quæ non solum animam pascit, verum etiam purgat. 64, col. 153. Ce ne peut-être le corps historique ; car nous n’avons pas dans l’eucharistie la Veritas carnis, mais le sacramentum carnis ; ce sacramentum contient une similitude de la véritable chair ; c’est en réalité du pain ; en symbole, c’est -le corps du Christ : Hœc vero caro quæ nunc simililudinem illius in mysterio continet, non est specie caro, sed sacramento ; siquidem in specie panis est, in sacramento verum Christi corpus. 57, col. 151. Sur le sens de species dans Ratramne, voir Geiselmann, op. cit., p. 2Il sq. La chair qui a été crucifiée et qui est née de la vierge Marie était étendue, faite d’os et de nerfs, unie à une âme raisonnable ; la chair spirituelle qui est sur l’autel selon son aspect extérieur n’est point étendue, n’a pas d'âme, nulla rationali substantia vegetat’a ; selon qu’elle e ; -t source de vie, elle est une vertu, spiritualis est potentiæ, et invisibilis effictentiæ, divtnœque virtutis. 72, col. 159.

La chair eucharistique n’est point la chair ressuscitée : celle-ci était palpable, visible, celle-ci ne l’est pas. 89, col. 165. D’ailleurs le corps eucharistique n’est qu’un gage, qu’une image, annonciatrice de la vérité future. 87, col. 164. Les Juifs au désert ont mangé la même nourriture spirituelle que les fidèles ; ils ont été rassassiés de la même chair, mais qu’ont-ils reçue : une vertu du Verbe, spiritualis Verbi potestas. 22, col. 137. Dans l’un et l’autre cas, c’est le Christ qui nourrit les croyants par la vertu du Verbe : Non corporis gustu, nec corporali sagina, sed spiritualis virtute Verbi. 26, col. 139, D’où la différence totale entre le corps du Christ glorifié et le corps eucharistique : Apparet ttaque quod multa differentia separentur quantum est tnter ptgnus et eam rem pro qua pignus tradttur, et quantum tnter imagtnem et rem cujus est Imago, et quantum tnter speciem et verilatem. 89, col. 165.

Radbert n’a point mal compris son compagnon de cloître, ainsi que ses partisans, quand il leur a reproché leur symbolisme dynamiste : Volunt exlenuare hoc verbum corporis quod non sit vera caro Christi quæ nunc in sacremento celebratur. Nescio quid volenles plaudere ac fingere quasi quædam vtrlus stt carnis et sangutnis tn sacramento et non sit vera caro… Exp. in Matth., xxvi, P. L., t. cxx, col. 1356. Ce sera d’ailleurs pour cette erreur que le livre de Ratramne sera, deux siècles plus tard, brûlé à Verceil ; c’est dans ce sens que Bércmger se réclamera de lui. Sur l’interprétation de Ratramne, voir Schwane, Dogmengeschichte der miltleren Zelt, 1882, p. 633 ; Vacant, op. cit., p. 32 et 33, n. 2 ; Geiselmann, op. cit., p. 176 à 218. Dans un sens plus favorable à l’orthodoxie de Ratramne, voir Vernet, art. Eucharistie, col. 1222 sq. ; Lepin, op. cit., p. 112, 125 et 141 ; A. Nâgle, Ratramnus und die heilige Eucharistie, Vienne, 1903.

c. Conception du sacrifice. — Elle résulte des vues générales de Ratramne sur la consécration et l’eucharistie sacrement. Il ne peut y avoir qu’une conception symboliste et dynamiste du sacrifice de la messe.

Pas plus que le peuple croyant, la victime du Calvaire n’est substantiellement sur l’autel ; nous n’avons là qu’une pure similitude de la passion. Ratramne prétend l'établir par deux textes de saint Augustin : celui du De doctrina christlana et la Lettre à Bonlface Le premier écrit, en commentant l’ordre de manger I

la chair du Fils de l’homme, avait dit : Figura est prœcipiens passioni Domini communicandum et fideliter recondendum in memoria quod pro nobis ejus caro (Tucifixa et vulnerata sit. Ratramne en conclut que les mystères du corps du Christ sont une commémoraison purement figurative de la passion. 33, 34, col. 141. Il tire la même conclusion de la Lettre à Boni/ace. 3', col. 143. Ces paroles interprétées à la lumière du contexte montrent que seul le corps dans lequel le Christ a souffert est vérité ; le corps eucharistique n’est que symbole ou image. 36, 37, col. 143

Ainsi, vide de la présence corporelle du Christ qui a souffert, image salutaire, pleine seulement de la vertu du Verbe et non de la substance de son corps, le sacrifice de pain et de vin qu’offre l'Église ne peut être qu’une action de grâces, une commémoraison du sacrifice passé, un rappel de l’unique oblation du Calvaire. Cꝟ. 39, col. 144 ; 90, col. 166. Les sacrifices anciens étaient la figure du sacrifice à venir de la croix, celui de l’autel est la figure de ce sacrifice passé. 91, col. 166. Ce sacrifice de l’autel a pour but de nous rappeler à la mémoire ce qui a eu lieu au Calvaire, et dans ce souvenir de nous faire participer à la grâce rédemptrice méritée par la passion : In figuram sive memoriam dominicæ morlis ponantur, ut quod gestum est in præterito, præsenti revocet memoriæ ; ut illius passtonts memores efjectt per eam effîctamur divini muneris consortes, per quam sumus a morte llberatl. 100, col. 170. Par cette conception symboliste-dynamiste du sacrifice de l’autel, Ratramne s'écarte nettement du réalisme traditionnel exposé par Paschase.

b) Raban Maur. — Hériger de Lobbes classe l’abbé de Fulda parmi les adversaires de la thèse paschasienne de l’identité de la chair historique du Christ et de celle qui est aujourd’hui offerte sur l’autel. De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxxxix, col. 179 D.

C’est à bon droit puisque Raban Maur rejette dans le Pœnitentiale ad Hertbaldum la thèse centrale de Paschase, et renvoie à sa propre lettre à Égil pour l’expQsé de sa doctrine. Possédons-nous encore cette lettre ? Mabillon l’avait conjecturé et avait cru pouvoir l’identifier avec l’opuscule trouvé sans suscription dans un ms. de Gembloux sous ce titre : Dicta cujusdam sapientis de corpore et sanguine Domini adversus Radbertum. Toutefois Mabillon ne présentait cette identification que comme une conjecture. C’est sur la foi de cette identification problématique que cet opuscule figure parmi les œuvres de Raban, P. L., t. cxii, col. 1510-1518. Déjà A. Vacant avait rejeté d’un mot cette identifidation : « Cette lettre a été attribuée à Raban Maur, mais ce dernier n’a émis aucune théorie semblable dans la partie authentique du traité de la messe qu’il nous a laissé. » Op. cit., p. 32, n. 1. Geiselmann, par une analyse serrée du style, de la doctrine prédestinatienne de l’auteur opposée à celle de Raban, du caractère spéculatif de l’ouvrage, différent de la manière impersonnelle et toute positive de l’abbé de Fulda, semble bien avoir établi l’inauthenticité de cette œuvre. Op. cit., p. 223-240. Il n’y faut donc plus chercher la doctrine positive que Raban opposait à Paschase dans sa lettre à Égil et se contenter de reconnaître notre ignorance sur ce point.

c) L’auteur anonyme des Dicta cujusdam sapientis

DE CORPORE ET SANGUINE DOMINI ADVERSUS RAD pertum. — Cet opuscule anonyme contient une critique de la doctrine paschasienne et, un exposé positif de la pensée de l’auteur sur le sacrifice de la messe. P. L., t. cxii, col. 1510-1518.

a. Critique de Paschase. — L’auteur commence par rendre un hommage éclatant à la foi traditionnelle :