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MESSE DANS L’EGLISE LATINE, WALAFRID STRABON


4° Walafrid Slrabon († 849), disciple de Rabari, s’inspire comme son maître dans sa doctrine sur la messe surtout de saint Augustin : avec Raban, il aime à envisager la messe comme mémorial salutaire de la rédemption. De rébus eccl., xvt, P. L., t.'cxiv, col. 936 ; In Luc, xxii, 19, col. 338 ; In I Cor., xi, 23, col. 539. Voir Geiselmann, op. cit., p. 122-126.

Il faut souligner ici le souci et le sens de l’histoire vraiment extraordinaire pour son époque qu’apporte Walafrid dans l'étude du sacrifice chrétien. Sa réflexion théologique porte d’une part sur la messe primitive et son évolution, d’autre part sur la messe telle qu’on la célèbre au milieu du ixe siècle.

1. La messe primitive. — La reproduction de la cène, telle est la partie essentielle de la messe. De rébus eccl., xvi, t. cxiv, col. 639.

Aussi les apôtres et ceux qui les suivent offraient-ils la messe sans toutes les cérémonies extérieures et prières que nous avons aujourd’hui. D’après la tradition des anciens, cette messe ressemblait à ce que nous voyons aujourd’hui le jour du vendredi saint avec cependant en plus le commémoraison de la passion : elle comprenait ainsi i ette commémoraison, l’oraison dominicale, la fraction et la communion. Ibid., xxi, col. 944 AB. A ces prièreset cérémonies essentielles les Grecs et les Latins ajoutèrent ensuite ce qu’ils jugèrent convenable.

Après l’assertion de Walafrid concernant le noyau central de la liturgie primitive, on ne peut voir dans l’intervention d’Alexandre I er au sujet du canon, telle qu’il la comprend, qu’une prescription spéciale pour mieux ordonner la partie de la messe qui commémore la passion et non une insertion absolument nouvelle de cette commémoraison dans le canon. Ibid., xxii, col. 949.

2. La messe contemporaine.

Walafrid décrit au c. xxii de son œuvre la messe telle qu’il l’a sous ses yeux. C’est la messe romaine. L’action ou canon en est la partie essentielle. On appelle cette partie action, parce qu’on y fait les sacrements du Seigneur, canon, parce qu’on y trouve la norme régulière de la confection de ces sacrements, xxii, col. 950 A. La messe légitime est celle où assistent le prêtre, le répondant, l’offrant, le communiant : la composition des prières de la messe l’implique et le démontre. Notre auteur connaît cependant des messes dites par le prêtre seul, sans servant, sans assistant ; on peut penser, dit-il, que dans ces messes, que l’on appellera plus tard solitaires, il y a comme coopérateurs ceux pour qui le sacrifice est offert, ou les fidèles censés présents dont le prêtre tient la place lorsqu’il dit certaines réponses, xxii, col. 951.

Mais la réflexion théologique de l’auteur se concentre sur deux problèmes que pose la pratique de l'époque : la multiplication des oblations et des messes.

Multiplication des oblations. — - Le mouvement de piété qui entraînait depuis longtemps les fidèles à demander qu’on célébrât des messes à leur intention spéciale paraît s'être amplifié encore à l'époque de Walafrid Strabon. Celui-ci nous apprend, en effet, que de son temps certains fidèles plus attentifs au nombre des oblations qu'à leur valeur salutaire, passaient d’une messe à l’autre pour présenter autant d’offrandes qu’ils voulaient recommander d’intentions, xxii, col. 948. Il blâme ceux qui font ainsi leurs oblations inordinate, et rappelle qu’il vaut mieux assister à la messe tout entière que d’y faire une offrande et partir sans attendre la fin : agir ainsi, c’est laisser son offrande inachevée.

Multiplication des messes. — La multiplication des oblations entraînait la multiplication des messes ; plusieurs prêtres se mirent, en effet, à dire deux ou trois messes par jour pour satisfaire aux demandes

des fidèles et à leur propre dévotion. Tous cependant n’agissaient point ainsi et certains s’en tenaient à une seule messe par jour. Cette pratique variée impliquait des appréciations théologiques différentes sur la valeur de la messe. Walafrid les analyse fort bien « Certains, dit-il, ne célèbrent la messe qu’une fois par jour, pensant que ce seul souvenir de la passion suffit à toutes les nécessités ; d’autres jugent plus convenable de réitérer, deux, trois et même autant de fois qu’ils le peuvent dans ce même jour, croyant fléchir la miséricorde de Dieu d’une manière d’autant plus efficace qu’ils célèbrent plus souvent ce mémorial de la passion du Sauveur. Ces derniers s’appuient probablement sur l’usage de l'Église romaine qui dit deux ou trois messesdans une même solennité, comme cela a lieu dans le jour de la Nativité du Seigneur et aux fêtes de quelques saints. En quoi, je ne vois rien d’absurde. » xxi, col. 943. A cette occasion, il rappelle d’une part l’exemple du pape Léon III († 816) qui disait quelquefois sept ou neuf messes par jour, et d’autre part celui de saint Boniface († 755) qui ne disait qu’une messe par jour : c'étaient deux hommes également recommandables. Aussi Walafrid reconnaîtil à chacun la liberté d’agir suivant sa conscience. xxi, col. 943.

Même jugement large et nuancé sur la croyance à la nécessité d’une intention spéciale exclusive pour obtenir les grâces spéciales demandées. Ce serait, pense-t-il, une erreur assez grave de croire que l’on ne peut recommander ensemble à la messe toutes les intentions de ceux pour qui on offre le sacrifice, comme si, pour obtenir les grâces demandées, on devait nécessairement offrir une oblation particulière pour une intention spéciale, prier uniquement pour les vivants ou pour les morts, car nous savons, dit-il, la valeur universelle du sacrifice de la messe, xxii, col. 948. Affirmer le contraire eût été condamner la pratique de l’intention collective des offrants reçue dans l’ancienne Église. Les commentaires des Expositio missse, y compris celui de Florus, ne connaissent encore que celle-là.

Mis en présence du courant de piété qui pousse de plus en plus les fidèles à se persuader qu’on obtient plus sûrement les grâces pour lesquelles une messe est offerte exclusivement, Walafrid ne le condamne pas, mais le comprend, pourvu qu’il s’inspire de la dévotion, et non d’une méconnaissance de la valeur universelle du sacrifice. Quod si cui placet pro singulis singulatim offcrre, pro solius devotionis amplitudine et orationum augendarum devotione id faciat, non autem pro stulta opinione qua putet unum Dei sacramentum non esse générale medicamentum. xxii, col. 948. La même conscience de la portée générale de la messe lui fait rappeler que le sacrifice de l’autel n’est point seulement utile à ceux qui offrent et communient, mais à leurs amis qui partagent leur foi et leur dévotion, xxii, col. 951.

Ainsi, au moment où se multipliaient de plus en plus les oblations et la célébration des messes privées, où l’on avait tendance à ramener la piété eucharistique à des vues trop individualistes, Walafrid sut-il opportunément rappeler le principe de la portée générale du sacrifice chrétien, mettre en garde la piété des fidèles contre les déviations faciles, et marquer l’accord essentiel du nouveau courant avec les principes traditionnels qui inspiraient l’usage reçu communément jusqu’alors des intentions collectives.

Nous verrons comment l’usage de dire plusieurs messes par jour, afin de satisfaire aux demandes des fidèles, entraînera des abus à l’avenir et sera combattu alors par l'Église. Mais un usage déjà pratiqué au temps de Walafrid se perpétuera et sera de plus en plus accrédité dans l'Église : celui d’offrir chaque messe