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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, RABAN MAUR

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connaissances au service de l'éducation du clergé d’Allemagne. C’est le but qu’il poursuit tout particulièrement dans le De instilationne clericorum, P. L.,

t. cvii, col. 293-420. et dans le Liber de sacris ordinibus, t. cxii, col. 1166-1192. Il est amené à y traiter ex professo de la messe : De inst., t. I, c. xxxi, xxxii et xxxiii (iadditio de missa, col. 321 est tirée d’Amalaire, De sacris ordinibus, c. xix) : il le fait suivant sa manière habituelle en compilateur à la science vaste, mais d’emprunt. Dom Yilmart a montré, art. Exposilio missadu Diction, d’arch., col. 1029, comment Raban est tributaire des deux anciennes Expositions anonymes : Primum in ordine et Dominus vobiscum, ci-dessus, col. 996.

De cette compilation on peut tenter de dégager la pensée propre de Raban en s’aidant des homélies, commentaires et lettres du même auteur. Voir Geisclmann, Die Eucharistielchre, p. 105-122 ; Renz, op. cit., p. 671-073 ; Franz, op. cit., p. 399-401.

Après avoir rappelé le sens étymologique, De inst., I. xxxii. t. cvii, col. 322, et la définition isidorienne du sacrifice de la messe, ibidem, col. 321, l’abbé de Fulda se plaît à mettre en relief l’aspect commémoratif et dynamique du sacrifice eucharistique.

1. Aspect commémoratif de la messe. - — La messe est essentiellement le mémorial du sacrifice de la croix, memoria redemptionis nostra-, In 7 am ad Cor., xi, t. cxii, col. 103 B ; elle l’est à la façon d’un sacrement qui est à la fois signe et application d’une vertu dérivée de la rédemption. Signe évocateur d’un fait passé, elle remplit par rapport à l’immolation du Calvaire le rôle que remplissait la Pâque juive par rapport à l’immolation de l’agneau pascal à la sortie d’Egvpte. In Matth., t. VIII, t. cvii, col. 1105-1106.

Comme la cène, elle évoque le mystère de la croix qu’elle célèbre : De inst., i, xxxi, t. cvii, col. 316 ; cf. In Levit., I. VI, c. xxi, t. cviii, col. 502. Si le mélange d’eau et de vin signifie le sang et l’eau qui sont sortis du côté du Christ, De inst., i, xxxi, t. cvii, col. 316, la fraction du pain rappelle le brisement de son corps, In Matth., t. VIII, t. cvii, col. 1106 A, le calice et la patène l’ensevelissement du Seigneur. De sacris ord., xix, t. cxii, col. 1179 B. Le pain, fait de plusieurs grains, et le viii, fruit de plusieurs grappes, font penser à l’unité des fidèles, tandis que le mélange d’eau et de vin figure l’incorporation des fidèles au Christ. De inst., i, xxxi, t. cvii, col. 320 C.

Là pourtant n’est point le sens profond de la messe ; il faut dépasser l’aspect sensible, évocateur du passé, pour atteindre la réalité salutaire qui se cache sur l’autel, et qui établit les relations profondes entre le sacrifice eucharistique et celui du Calvaire. In Lev., t. II, c. xi, t. cviii, col. 334 ; t. VI, c. xviii, col. 493.

A l’autel et sur la croix, il y a identité de victime ; l’autel est la demeure du corps du Christ. In Lev., t. VI, c. xvii, co !. 488. C’est là que sont offerts et distribués la chair et le sang du Christ. In Josue, t. III, c. xvii, t. cviii, co !. 1108, et In I Cor., xi, t. cxii, col. 105. De là l’unité du sacrifice de la croix fondée sur l’unité de victime. Raban Maur l’affirme en des termes empruntés à Jean Chrysostome. In Hebr., t. XXVIII, c. x, t. cxii, col. 780.

A la suite d’Augustin et de Cyprien, il marque l’intimité du lien qui existe entre la messe, 1 incarnation et la rédemption : Ad hoc enim incarnatus est ut immolaretur ; carnem autem ejus quæ inepla erat ad comedendum ante passionem, aptam cibo post passionem fecit. Si enim non fuisset crucifixus, sacrificium corporis ejus minime comederemus, comedimus mine cibum, sumentes ejus memoriam passionis. In Lev., t. I, c. ii, t. cviii, col. 259. Ici. comme dans un autre texte emprunté à saint Ambroise, le caractère commémoratif

de la messe est rattaché surtout à la communion. Cf. In I Cor., xi, t. cxii, col. 103.

Ce n’est point qu’il confonde messe et communion. Communier n’est point célébrer le sacrifice ; ainsi le vendredi saint l’on communie sans célébrer pour cela le sacrifice de la messe : De inst., t. II, c. xxxvii, t. cvii, col. 349. En résumé, célébrer la messe, c’est offrir et accomplir exactement ce que le Seigneur a fait à la cène en mémoire de sa passion. De inst., I, xxxii, t. cvii, col. 322 B.

2. Aspect dynamique de la messe.

Malgré le réalisme sacrificiel immanent aux textes qui viennent d'être cités, malgré l’affirmation d’une conversion miraculeuse du pain et du vin au corps et au sang du Christ empruntée à l’ancienre Exposilio missæ, Dominus vobiscum, De sacris ordin., xix, t. cxii, col. 1184 et 1185, la pensée de Raban resterait orientée en un certain nombre de textes vers une conception symboliste dynamiste du sacrifice de la messe. Voir Geiselmann, op. cit., p. 113-122. Dans cette perspective, la conversion opérée par la consécration impliquerait plutôt une élévation du pain et du vin consacrés à une plus haute dignité et fonction qu’une transformation radicale de leur être : Hœc dona sunt visibilia, sanctificata per Spiritum Sanctum, in sacramentum divini corporis iranseunt. De inst., i, xxxi, t. cvii, col. 319 A ; In Eccli., t. VII, c. viii, t. cix, col. 992 B.

Par analogie avec l’incarnation, Raban concevrait l’eucharistie comme une sanctification et pénétration par la grâce des éléments qui persistent : Quia tu sanctificasti corpus tuum, quando homincm in Deum assumpsisti et nunc sanctifica hune panem, ut corpus tuum fiât. De sacris ord., xix, t. cxii, col. 1186 D ; quem videlicet panem certi queque gratia sacramenti, priusquam frangeret, benedixit, quia naturam humanam quum passurus assumpsit ipse… gratia divinse virtutis implevit. In Matth., t. VIII, t. cvii, col. 1106 A. Par analogie avec les autres sacrements, baptême et confirmation, il verrait dans l’eucharistie un double élément : la réalité sensible symbolique et la grâce attachée à cette réalité, la créature corporelle et la vertu spirituelle, Valimentum corporis et la virtus qui produit l’incorporation au Christ. De inst., i, xxxi, t. cvii, col. 316-318.

En raison de cette série de textes, Geiselmann pense que Raban n’est point arrivé à harmoniser deux conceptions du mystère eucharistique qui tendent logiquement à s’opposer : l’une réaliste, impliquant la conversion substantielle, ne serait chez l’abbé de Fulda que superficielle, l’autre symboliste et dynamiste représenterait mieux la tendance profonde de sa pensée. Il reste que Raban dans de nombreux textes, empruntés à ses ouvrages les plus divers, professe le réalisme le plus net, au point que le sang rédempteur et le vin consacré sont regardés par lui comme identiques et produisent les mêmes effets : Lavavit in vino stolam suam sive carnem suam in sanguine passionis, sive sanctam Ecclesiam illo vino qui pro multis effunditur in remissionem pcccalorum. In Gen., t. VI, c. xv, t. cvii, col. 660 C. Cependant, lorsque la question se posera nettement de savoir si le corps qui est sur l’autel est identique au corps historique, il la résoudra plutôt dans le sens du symbolisme dynamiste, et qualifiera d’erreur l’opinion « de quelquesuns qui ne pensent pas sainement du corps et du sang du Seigneur », d’après laquelle le corps eucharistique serait identique au corps qui est né de Marie : Cui errori quantum potuimus ad Egilum abbatem scribentes, de corpore ipso quid vere credendum sit aperuimus. Pœnitent., xxxiii, t. ex, col. 493. Sa conception d’ensemble sur l’eucharistie le classera parmi les adversaires de Paschase.