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MESSE DANS L’EGLISE LATINE, LE PSEUDO-GERMAIN


romaine, le sacramentaire grégorien, les Ordines romani, des livres du type gélasien. Il est ainsi à la fois l'écho vivant de ce réalisme liturgique et traditionnel, et des tendances spiritualistes dynamiques de l’augustinisme.

La messe est pour lui le sacrifice dans lequel l'Église, instrument de l’action divine du Fils et de l’EspritSaint, offre ce que Jésus-Christ a offert à la cène : le pain et le vin destinés à devenir le corps et le sang du Christ. Ces éléments consacrés deviennent le sacrement du corps du Christ pour la rémission des péchés, le salut des vivants et des fidèles défunts. Non seulement ce sacrifice rappelle la passion, mais il en communique les fruits. C’est un mémorial efficace : la sacrosainte oblation du corps du Christ, une participation réelle à la victime du Calvaire ; ce n’est point un reiiouvellemerft de l’immolation réelle de la croix, mais un rappel figuratif de cette immolation.

4° Le pseudoGermain (fin du vii c siècle). — Les deux lettres liturgiques qui passent pour être l'œuvre de saint Germain de Paris (milieu du vie sièc’e) ne sauraient être de ce personnage.

Dom Wilmart a relevé la dépendance de ces lettres à l'égard du De ecelesiaslicis officiis d’Isidore, voir art. Germain de Paris, dans le Diction, d’archéol. chrét., t. vi, col. 1101 et 1102. — De plus ces lettres citent les Dialogues de saint Grégoire, t. IV, c. lviii, P. L., t. lxxvii, col. 427. Comparer ces mots de Grégoire, Summis ima sociari, terrena cœlestibus jungi, ad sacerdotis voeem cselos aperiri, avec ces expressions du pseudo-Germain : quia tune cœlestia terrenis miscentur et ad orationem sacerdotis cceli aperiuntur. Epist., i, P. L., t. lxxii, col. 91 B. Ce n’est pas saint Grégoire qui est le plagiaire : le passage cité de lui est trop cohérent pour être fait de pièces rapportées. Il reste que la dépendance soit du côté de notre auteur : celui-ci est donc postérieur à saint Grégoire qui écrit ses Dialogues vers 593. Il ne peut être saint Germain mort en 576. Les lettres du pseudo-Germain, postérieures aussi à Isidore de Séville, seraient de la fin du vii c siècle : quelle que soit d’ailleurs leur date exacte, elles reflètent probablement une liturgie traditionnelle dans le milieu de Bourgogne et nous en donnent l’interprétation. « Les lettres ont pour dessein premier, voire unique, de révéler les mystères, mysteria, carismala, de déclarer le sens spirituel, les raisons profondes des rites et des usages qu’elles retracent. » A. Wilmart, art. cité, col. 1065. Premières manifestations d’un courant allégorique dans l’interprétation de la messe qui se retrouvera dans Amalaire.

La messe nous y apparaît dès les premières lignes comme la somme des charismes, comme l’oblation faite en commémoraison de la mort du Christ pour le salut des vivants et le repos des défunts, col. 89 A. Il faut relever ici du point de vue théologique l’influence isidorienne, et la conception originale de l’auteur sur la contraction envisagée comme une immolation réelle faite par un ange.

1. Influence isidorienne.

La partie de la messe qui va du Sanclus au Pater est centrale : c’est l’heure de l’oblation. Les paroles du Christ y opèrent « la transformation » du pain en son corps et du vin en son sang, panis vero in corpore, et vinum trans/ormatur in sanguine, dicenle Domino, col. 93 A.

2. La messe comme immolation réelle, œuvre d’un ange. — A propos de la messe pascale, l’auteur parle d’un ange qui vient bénir la matière du sacrifice, tout de même que la résurrection du Christ eut un ange pour témoin : Angélus Dei ad sécréta super altare tanquam super monumentum descendit, et ipsam hostiam benedicit instar illius angeli qui Christi resurrectionem evangelizavit. Epist., ii, col. 96 D.

C’est de même à l’activité de cet ange que se ratta che ce qui se passe durant le rite de la conjractio et de la commixtio. Ce rite complète la consécration et a pour l’auteur une importance considérable : Conjractio vero et commixtio corporis Domini tantis mysteriis declarata antiquitus sanctis Patribus fuit, ut dum sacerdos oblationem con/rangerel, videbatur quasi angélus Dei membra fulgentis pueri cultro concidere et sanguinem ejus excipiendo colligere, ut vivucius crederent. Epist., i, col. 94 A. « La contraction de l’espèce du pain faite par le célébrant n’est pas pour notre liturgiste simplement un rappel du geste du Sauveur rompant le pain à la cène afin de le distribuer aux apôtres : la contraction lui suggère que le corps du Christ est coupé comme avec un couteau pour que le sang en soit recueilli dans le calice. Il attribue ce symbolisme à des saints Pères qu’il dit anciens. » P. Batiffol, Études de liturgie, p. 270. Nous avons ici une conception ultra-réaliste de l’immolation de l’autel : elle est loin de la conception symbolique d’un saint Augustin et d’un saint Grégoire ; elle est en dehors du grand courant traditionnel qui voit dans le sacrifice de l’autel non une immolation réelle, mais le rappel symbolique de l’immolation du Calvaire. Pour justifier cette interprétation, l’auteur déclare qu’elle a été expliquée anciennement aux saints Pères par des miracles. Il en appelle au témoignage de la version latine des apophtegmata Patrum faites par les Bomains Pelage et Jean autour de l’année 560. Voir Revue bénédictine, 1922, t. xxxiv, p. 185, et Verba seniorum, dans les Vite Patrum, t. V, sect. xvin, 3, P. L., t. lxxiii, col. 978-979. Il y est question d’un vieil anachorète qui ne croyait pas à la présence réelle. Ses frères lui démontrèrent que telle n’est pas la foi catholique. L’anachorète ne se rendit pas et demanda un miracle qui fût une révélation du mystère eucharistique. Le dimanche, quand les pains furent posés sur l’autel, les assistants virent comme un enfant gisant sur l’autel. Et comme le prêtre étendait les mains pour rompre le pain, un ange du ciel descendit et, ayant un couteau à la main, il coupa cet enfant et il recevait son sang dans le calice. Le vieil ermite s’approcha pour communier et il reçut lui seul de la chair ensanglantée et il crut. Ses frères lui dirent : « Dieu connaît la nature de l’homme et quelle ne peut se nourrir de chair crue : c’est pourquoi il transforme son corps en pain et son sang en vin pour ceux qui le reçoivent avec foi. » Cette explication, matérielle, massive, plutôt imaginative trouvera sans doute quelques échos dans la suite. On retrouvera le récit des Vitee Patrum à côté d’autres récits dans Paschase ; mais Paschase n’en tirera point les conclusions que tire pseudo-Germain. Plus tard, la conception de particules de chair du Christ correspondant aux parties du pain rompu sur l’autel attirera les sarcasmes de Bérenger. Les théologiens antibérengariens se garderont bien de défendre cette vue matérialiste, contraire à la meilleure tradition. L’interprétation de pseudo-Germain qui conçoit la messe comme une immolation réelle opérée par un ange, n’est donc fondée que sur un récit légendaire et s'écarte des conceptions communes des Pères latins touchant l’immolation figurative de l’autel.

5° Doctrine et piété : leur influence respective dans la multiplication des messes, l’apparition des messes votives, la spécification des intentions. — On n’aurait qu’une idée incomplète de l’importance du développement de la doctrine de l’efficacité de la messe à la fin de l'âge patristique, si l’on ne tenait compte de l’influence de la piété chrétienne comme facteur de ce développement. « Les premiers évêques tenaient, semble-t-il, à présenter à Dieu tous les fidèles et tous leurs vœux réunis sur le même autel. Aussi, à l'époque des Pères, celé-