Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/485

Cette page n’a pas encore été corrigée
955
956
MESSE DANS L’ANTIQUITÉ : CONCLUSIONS

passages que nous avons cités au cours de cette étude de l’eucharistie des sectes, il ajoute les Actes des Apôtres dans lesquels il est parlé de la fraction du pain, ii, 42, 16, xx, 11, et le récit de la cène d’Emmaüs. Luc, xxiv, 30, 35. Un premier fait est à noter : On ne relève aucun texte qui proscrive positivement l’usage de l’élément liquide. Aucun témoignage des hérésiologues anciens ne nous révèle l’existence d’une secte ne consacrant l’eucharistie que sous l’espèce du pain. Sans doute, un certain nombre de passages empruntés à des écrits venus de groupes hérétiques ou suspects ne mentionnent dans la célébration de l’eucharistie que le pain. Est-ce pour abréger le récit ou parce que dans les communautés auxquelles appartient l’auteur on n’emploie pas une seconde espèce ? La question est insoluble.

En certains de ces écrits, tantôt la description du rite ne signale qu’un élément et tantôt elle parle de deux. Le fait s’explique à merveille. Si dans une Église on consacre l’eucharistie avec du pain et avec un second élément, vin ou eau, l’écrivain qui s’adresse à des membres de son groupe a suffisamment désigné le rite lorsqu’il a parlé simplement du premier de ces deux éléments. Tout le monde entendra que le second a été lui aussi employé. C’est seulement si un auteur veut faire une description complète de tous les rites qu’il est obligé de ne rien passer sous silence : on peut alors à bon droit conjecturer que ce qu’il tait n’a pas lieu. Or, qu’on examine les passages cités par Lietzmann, la plupart de ces textes sont des phrases qui, en dix ou vingt mots, décrivent le rite eucharistique. Leur silence ne prouve donc rien contre l’emploi d’un élément liquide dans l’eucharistie. D’ailleurs, même si on admet que certaines sectes usaient seulement de pain, on ne peut, sans aller contre les règles de la saine méthode historique, opposer cet usage restreint, douteux, peu connu, attesté par des groupes suspects, étranges, excentriques, à une pratique attestée par les témoignages les plus nombreux et les plus clairs de tous les écrivains du Nouveau Testament, et de tous les auteurs catholiques des trois premiers siècles qui ont parlé de l’eucharistie.

Les textes des Actes des Apôtres ne font pas exception : l’eucharistie n’y est nommée que d’un mot et en passant. Il est d’ailleurs des exégètes qui hésitent à voir dans les trois textes cités par Lietzmann des allusions à l’eucharistie. Quant à la cène d’Emmaus, elle est si spéciale qu’il est impossible de l’invoquer contre les récits de la cène que donnent saint Luc, les deux autres synoptiques et saint Paul, récits dans lesquels sont mentionnés le pain et la coupe. Toute la science et l’autorité de Lietzmann ne peuvent faire accepter ce qui est, de toute évidence, contraire à l’ensemble des témoignages de l’antiquité chrétienne.

Les dépositions des sectes et des hérétiques rendent par contre un très réel service. Elles établissent que le rite eucharistique était tenu pour une partie essentielle du christianisme. Il en était si bien ainsi que les sectes les plus hardies et les plus détachées de la grande Église croyaient devoir la garder. Seuls, les docètes sont signalés comme s’abstenant de l’eucharistie, mais ils ne le font pas parce qu’elle leur semble une innovation, un rite étranger au christianisme primitif : c’est leur conception de la chair du Christ qui leur impose leur attitude.

Il faut aussi souligner les très nombreux passages où ces écrits hétérodoxes ou suspects nomment l’eucharistie une offrande rituelle. S’ajoutant aux témoignages des écrivains de la grande Église et du Nouveau Testament, ces affirmations achèvent de prouver que la croyance au caractère sacrificiel de l’eucharistie était générale dès les premiers siècles.

VII Conclusions. — Des témoignages étudiésdécoule ce qui suit :

1o  Dès l’origine, l’eucharistie ou action de grâces est célébrée dans toutes les communautés qui honorent Jésus. Nous ne connaissons qu’une exception : les docètes ne peuvent que s’abstenir de participer à la chair du Verbe, puisqu’ils ne croient pas à sa réalité. Leur cas ne démontre donc nullement que la cène soit une institution surajoutée à l’évangile primitif.

2o  Que cette eucharistie ait été instituée par Jésus, c’est ce qu’affirment en termes exprès Clément de Rome, Justin, Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Hippolyte, Tertullien et Cyprien. Ces huit derniers écrivains rattachent la cène chrétienne au dernier repas pris par le Christ dans le cénacle avec ses disciples. D’antiques monuments paraissent bien attester, eux aussi, que l’eucharistie remonte au Seigneur. Cf. ici Bour, Eucharistie d’après les monuments de l’antiquité chrétienne, t. v, col. 1196. On peut même soutenir que ce fait est admis de tous les chrétiens. Chacun des témoins de l’eucharistie, alors même qu’il n’est pas amené à parler de son origine, la présente comme une institution essentielle du christianisme. L’Église et les fidèles ne pourraient pas la supprimer : elle émane d’une autorité supérieure à la leur.

3o  Aussi l’eucharistie des catholiques ressemble-t-elle toujours et partout à la cène chrétienne que décrivent saint Paul et les Synoptiques : On y trouve non seulement du pain, mais une coupe. Il est même impossible de démontrer qu’en dehors de la grande Église en un groupe quelconque le pain était seul en usage. D’antiques monuments confirment cette proposition et prouvent l’usage du pain et de la coupe. Bour, art. cit., col. 1196-1197, 1205.

4o  Chez les catholiques, dès l’origine, le liquide employé dans l’eucharistie a été du vin auquel on mélangeait de l’eau. Telle est encore la matière dont usaient certaines sectes, par exemple, les valentiniens, les gnostiques du second des Livres de Jéû et de la Pistis Sophia. Mais l’usage aquarien a été assez répandu et fort tenace. Il est signalé chez les ébionites, chez Marcion et ses disciples, chez Tatien, chez les dissidents attaqués par Clément d’Alexandrie, dans les milieux d’où viennent les Actes de Pierre et ceux de Thomas, ainsi que le Martyre de Pionius, enfin, chez des Africains de l’époque de Cyprien. Les écrivains catholiques réprouvent très énergiquement cette coutume et la déclarent hérétique. Les tenants de cet usage n’essayent pas de le justifier en le déclarant primitif. Les aquariens que combat l’évêque de Carthage mettent en avant divers prétextes. Il semble bien que l’usage aquarien ait été d’abord commandé par un rigorisme excessif : il n’est donc pas primitif. Certains monuments de la plus haute antiquité, par exemple l’inscription d’Abercius, attestent l’emploi du vin dans l’eucharistie. Bour, art. cit., col. 1196-1197 cf. art. Abercius, t. i, col. 57 et 65.

5o  Au cours de l’eucharistie interviennent des officiants qui accomplissent un service liturgique réservé à eux seuls. C’est ce que montrent tous les textes, ceux des catholiques et ceux des sectes. Clément de Rome et Ignace insistent sur cette pensée.

Il y a un président qui fait l’eucharistie (Justin). C’est l’évêque (Didachè, Clément de Rome, Ignace, Irénée, Didascalie, Hippolyte, Tertullien, Cyprien) avec lequel peuvent concélébrer les prêtres (Hippolyte, Cyprien). Il arrive aussi à ces derniers d’operer seuls (Ignace, Denys d’Alexandrie, Tertullien, Cyprien) ; mais il faut que ce soit sur délégation de l’évêque (Ignace) ou conformément à ses prescriptions (Cyprien). Les diacres sont les collaborateurs de l’évêque, du président. Un de leurs offices est de distribuer aux fidèles l’eucharistie (Didachè, Clément de Rome,