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MESSE EN OCCIDENT : SAINT CYPRIEN


fidèles estiment donc que cette supplication peut être exaucée.

Certains textes déterminent quels fruils le chrétien retire de la participation aux saints mystères : ce pain donne « la vie éternelle ». De dom. oral., 18, H., t. m a, p. 280. Cette participation protège en temps de persécution, met à l’abri de l’ennemi, défend le fidèle contre ses adversaires et le rend apte à confesser sa foi. Epist., lvii (ol. liv), 2, 4, H., t. m b, p. 652, 654 (souscrite par les quarante-deux évoques africains). On boit le sang du Christ afin de pouvoir pour lui verser son sang. Epist., lviii (ol. lvi), 1, p. 657. Enfin cette sainte liqueur est un vin qui donne une sainte joie. Rappelant les textes de l'Écriture sur le précieux calice qui enivre, Çyprien écrit : « Il nous rend sobres, il ramène les enfants à la sagesse spirituelle, il les fait passer du goût du siècle à l’intelligence de Dieu. Ce vin fait perdre la mémoire du vieil homme, il produit l’oubli de l’ancienne manière de vivre dans le siècle, le cœur cesse d'être triste ou affligé qui auparavant se sentait oppressé par l’angoisse que cause le péché. On se livre alors à la joie que ménage l’indulgence divine. Epist., lxiii, 11, p. 710.

Il semble bien que ces effets se rapportent plus naturellement à la communion qu’au sacrifice. Toutefois il ne faut pas vouloir ici trop distinguer. Chez Cyprien les deux actes religieux ne se séparent pas et les deux rites se compénètrent. « Quand le vin est mêlé à l’eau par le sacrifice, écrit-il, le peuple et le Christ sont unis et ne peuvent se dissocier ». Jbid. La fusion de l’homme et de Dieu, donc aussi tous ses effets, commencent au cours du mystère et s’achèvent par la réception de l’eucharistie. Telle semble bien être la pensée de saint Cyprien.

6. Comment l’eucharistie est-elle un sacrifice ? — Après avoir recueilli tous les textes précédemment cités, on peut essayer de découvrir pourquoi saint Cyprien voyait dans l’oblation chrétienne un sacrifice.

Pas un mot ne favorise les théories de Wetter. Il est dit sans doute que le peuple offrait le pain et le vin pour le sacrifice. De opère et eleemosyna, 15, H., t. m a, p. 384. Mais jamais Cyprien n’appelle ce don un sacrifice. Il le distingue fort bien de l’oblation proprement dite, de l’eucharistie. Cette offrande est ce par quoi les fidèles prennent part au sacrifice de l'Église et du Christ, mais elle n’est nullement ce sacrifice. Parce qu’il a, en apportant le pain et le vin, rendu possible ce sacrifice, parce qu’il demande au prêtre de prier pour lui pendant le sacrifice et verse son aumône pour la subsistance des ministres du sacrifice, parce qu’il assiste au sacrifice, s’unit au célébrant qui prie en son nom et parce que dans la communion il participe aux saints mystères, au sacrifice, le chrétien offre à sa manière le sacrifice. Loc. cit. Mais ce sacrifice qu’il offre ainsi, ce n’est nullement l’aumône du pain et du vin apportés au clergé, c’est ce pain et ce vin devenus le corps et le sang du Christ par la prière de l’officiant. Car il n’y a, pour saint Cyprien, qu’un sacrifice, celui qu’a offert Jésus-Christ, qu’il a ordonné de réitérer, celui qu’accomplit le prêtre en faisant ce que Notre-Seigneur a fait, en offrant ce qu’il a offert. Toutes les affirmations de l'évêque de Carthage l’attestent. Il aurait rejeté avec indignation la pensée qu’il pouvait y avoir dans l'Église un autre sacrifice que celui du Christ. Coppens, op. cit., p. 120.

Les efforts de Wieland pour découvrir en saint Cyprien des preuves de sa conception ne sont pas moins voués à l’insuccès. Sans doute, comme les écrivains plus anciens, l'évêque de Carthage affirme lui aussi que l’eucharistie s’opère par la prière du prêtre ou de l'évêque. Voir par exemple De lapsis, 25,

IL, t. m a, p. 255. Faut-il conclure avec Wieland que Cyprien se contredit, qu'à côté de textes où il affirme une croyance nouvelle dans l'Église, celle de l’existence d’une oblation proprement dite, on en surprend où se trahit l’antique conception d’après laquelle la messe est une simple prière de louange ou de reconnaissance ? Nullement, l’explication est beaucoup plus naturelle, elle est des plus simples. Cyprien ne cesse de dire qu’on offre, qu’il y a oblation, sacrifice du pain et du vin devenus le corps et le sang du Christ. Mais il y a une prière par laquelle se fait cette oblation. C’est tout ce qu’affirme Cyprien. L’acte est celui qu’a fait le Christ. Il n’a pas seulement pris du pain et du vin. Il a parlé, il a prié pour faire de ces éléments son corps et son sang et pour les offrir à son Père. De même, dans le rite chrétien, le prêtre prie pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Seigneur, et il les offre par cette prière. L’existence d’une prière n’entraîne pas la non-existence d’une oblation. Car la prière fait l’oblation. Qu’on dise que le rite chrétien est un sacrifice de prière. Seulement il faut ajouter que cette prière non seulement loue, rend grâces ou supplie, mais aussi qu’elle offre au Père le corps et le sang de Jésus.

En vain, pour confirmer son interprétation, Wieland essaye de distinguer dans saint Cyprien deux actes : l’oblation du pain et du viii, le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. L’ne ou deux fois, chez l'évêque de Carthage, le mot offrir est employé au sens ordinaire et profane de présenter : il est dit, par exemple, que le diacre après la communion ofjre le calice aux assistants. De lapsis, 25. Comme on le constate ici, le contexte prévient toute équivoque. Mais dans beaucoup de passages, dans la plupart, le mot oblatio est synonyme de sacrifice. Cyprien ne donne pas exclusivement à ce terme pour compléments les mots pain et vin. Il écrit plus d’une fois que nous « offrons le corps et le sang », que nous « offrons le pain et le vin devenus corps et sang du Christ », que nous offrons en sacrifice la passion du Seigneur. Ou bien encore il emploie le verbe sans complément, il écrit que l’officiant « offre », et alors le mot ne peut avoir que le sens technique. Ce qui empêche toute équivoque, ce sont les affirmations expresses de Cyprien : l’eucharistie est l’offrande qui s’oppose au sacrifice païen ou juif, celle qui a été figurée par le sacrifice de Melchisédech, celle enfin qui renouvelle le sacrifice de Jésus-Christ et commémore sa passion. Cette dernière affirmation nous fait pénétrer au cœur même de la pensée de saint Cyprien. Certes, il ne s’est pas demandé, comme on l’a fait beaucoup plus tard, quelle est l’essence du sacrifice de la messe. L'évêque de Carthage « n’est pas un spéculatif ni proprement un théologien ». Tixeront, op. cit., p. 381. Mais un homme de gouvernement ne se refuse pas tout droit de réfléchir sur les problèmes théoriques soulevés par l’examen des cas de conscience qu’il doit résoudre. Dans la lettre de Cyprien sur l’erreur des aquariens, on surprend sa pensée sur ce qui fait de l’oblation eucharistique un sacrifice. Quatre affirmations qui se complètent nous renseignent pleinement.

a) Ce qui donne à l’eucharistie un caractère sacrificiel, c’est que nous offrons ce que Jésus-Christ a offert, nous faisons ce qu’il a fait. Il est le docteur, le maître, l’auteur du rite. C’est lui seul que nous devons suivre. Nous n’avons qu'à l’imiter. Epist., lxjii, 1, 2, p. 701-702. Cette déclaration revient sans cesse. Il faut que « nous gardions ce que Jésus-Christ a institué, que nous observions ce qu’il a commandé. » Id., 10, p. 709.

b) Le Seigneur a offert le pain et le vin devenus son corps et son sang qu’il devait immoler sur la croix.

| Donc nous reproduisons dans l’eucharistie l’acte du