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MESSE EN OCCIDENT : TERTULLIEN


3. Quelle espèce de sacrifice ? — Tertullien ne se pose pas la question. Les noms qu’il donne à l’eucharistie nous l’ont connaître quelque peu sa pensée. Pour lui, elle est le « corps du Seigneur », De idol., 7, t. i, col. 609 ; De orat., 6, t. i, col. 1160, « son corps et son sang », De resur., 9, t. ii, col. 806, « le repas du Seigneur ou de Dieu », Ad uxorem, ii, 4, t. i, col. 1294 ; De pud., 9, t. ii, col. 998. Tertullien l’appelle encore « le dévot service de Dieu », De orut., 19, t. i, col. 1192, la « chose sainte », De specl., 25, t. i, col. 657, « l'œuvre divine ». De pud., 9, t. ii, col. 998. Il déclare que le Christ « est immolé, maclabitur », De pud., 9, t. ii, col. 998, et que le vin est « consacré en mémoire de son sang ». De anima, 17, t. ii, col. 676.

4. Matière du sacrifice.

Nul doute, c’est le « pain et la coupe ». Adv. Marc, IV, xl, t. ii, col. 460-461. Dans celle-ci il y a du vin. De anima, 17, t. ii, col. G7<>.

5. Forme consécratoire.

Tertullien reproduit l’antique formule. Il y a, dit-il, « oraison et action de grâces ». Adv. Marc, IV, ix, t. ii, col. 376. On reconnaît les sûycd x.oà eùxocpiaTioa des premiers chrétiens. L’action de grâces est dite sur les aliments à consacrer. Adv. Marc, I, xxiii, t. ii, col. 274. Cette prière ne peut être que celle qu’a prononcée le Christ pour faire du pain son corps : Ceci est ' mon corps. Adv. Marc, IV, xl, t. ii, col. 460.

Ces paroles produisent un effet qui se prolonge au de la de l’assemblée chrétienne. Le pain et le vin qui sont devenus le corps et le sang du Christ le demeurent. On les réserve, on les emporte à domicile, De orat., 19, 1. 1, col. 1183 ; Ad uxorem, ii, 5, t. ii, col. 1296, pour se communier soi-même.

6. Ministre de l’eucharistie.

Ici se fait sentir l’iniluence du montanisme. Le Seigneur, dit Tertullien, avait imposé à tous le précepte de célébrer l’eucharistie, pourtant nous ne la recevons que de la main des présidents, des membres de la hiérarchie. De corona, 3, t. ii, col. 79. Voilà pourquoi encore il dit que la veuve, que le veuf « offrent » pour leur conjoint défunt ; c’est par le prêtre qu’ils le font, car c’est par lui, qu’ils « recommandent ces âmes ». De monog., 10, t. ii, col. 942 ; De exhorl. cast., 7, t. n. col. 926.

S’il revendique pour les laïques le droit d’offrir, c’est parce qu’il les tient pour des prêtres. De exhorl. cast., 7, t. ii, col. 922-923. Il croit si bien à leur sacerdoce qu’il leur impose la monogamie. Loc. cil. Voici d’ailleurs la théorie que, devenu montaniste, Tertullien croit pouvoir proposer. Les laïques eux aussi sont prêtres. Mais l’autorité de l'Église et l’honneur concédé par sa sainte investiture établissent une différence entre la hiérarchie et le peuple. Là où cette investiture n’a pas lieu, et où il y a cependant trois personnes, il y a l'Église. Donc là le laïque peut offrir le sacrifice, mais il doit alors vivre à la manière des prêtres, par exemple pratiquer la monogamie. Toutefois cette affirmation même laisse entendre que là où il y a l’investiture de l'Église, c’est le prêtre qui doit offrir s’il se trouve présent. De exhorl. cast., 7, t. ii, col. 922-923. Tertullien reconnaît, du moins en 211-212, que déjà pour distribuer l’eucharistie, il fallait entrer dans la hiérarchie ecclésiastique. De idol., 7, 1. 1, col. 669.

A priori, on peut être sûr qu’il exige des ministres du sacrifice chrétien une grande pureté. Parlant des clercs qui donnent la communion, après avoir été jadis fabricants d’idoles, il s'écrie : « O crime ! Les Juifs n’ont qu’une fois porté la main sur le Christ. Ceux-ci le font tous les jours. O mains qu’on devrait couper ! » Ibid.

7. De ceux qui participent à l’eucharistie.

- Les communiants doivent être à jeun. Ad uxorem, ii, 5, t. i, I col. 1296. Ils sont tenus d’avoir une grande pureté.

Tertullien s’indigne non seulement contre les sculpteurs d’idoles qui distribuent, mais aussi contre ceux qui reçoivent, pour s’en communier, le corps du Seigneur en des mains qui donnent un corps aux dénions. De idol., 7, t. i, col. 669. De même, reprenant la parole de saint Paul, il n’admet pas que le fidèle mange le repas de Dieu et le repas des démons. De specl., 13, t. i, col. 646. Il ne veut pas que le communiant passe de l'Église de Dieu à l'Église du diable, du ciel à la fange. Le fidèle n’a pas le droit de fatiguer par des applaudissements donnés à un histrion des mains qu’il a élevées auparavant vers le Seigneur. La bouche qui a répondu Amen en recevant la sainte communion ne peut pas donner son suffrage à un gladiateur. Elle ne saurait pousser des vivats « pour les siècles des siècles » en l’honneur d’un autre que Dieu et le Christ. De spect., 25, 1. 1, col. 657. Tertullien ne veut même pas qu’on pardonne à l’impudique repentant ou au chrétien tombé, de telle sorte que le Christ soit encore immolé par lui, en d’autres termes ce malheureux n’est plus admis à participer au sacrifice du corps et du sang du Seigneur. De pud., 9, t. ii, col. 998. C’est encore le respect dû au sacrement qui oblige à être soucieux jusqu'à l’inquiétude, anxie pulimur, de ne rien laisser tomber du pain et de la coupe eucharistique. De corona, 4, t. ii, col. 80.

8. Pour qui célèbre-t-on l’eucharistie ? — « Nous faisons pour les défunts des oblations au jour anniversaire de leur naissance. » De corona, 3, t. ii, col. 79. Ce dernier mot montre qu’il s’agit des confesseurs de la foi dont la mort est considérée comme l’entrée dans la vraie vie ; on fête donc l’anniversaire de leur passion par l’offrande du saint sacrifice.

Mais on recommande aussi à Dieu l'âme des simples fidèles. C’est une coutume ancienne, De corona, ibid. ; on est tenu de l’observer. Tertullien parle de la veuve qui prie et « fait l’oblation » pour son mari défunt « au jour anniversaire de sa mort ». De monog., 10, t. ii, col. 942. De même dans son mépris de montaniste pour les secondes noces, il brosse le tableau grotesque du veuf remarié. « Tu ne peux pas, lui dit-il, haïr ta première épouse à laquelle tu réserves une affection d’autant plus religieuse qu’elle a été recueillie auprès du Seigneur ; pour son âme, donc, tu pries, tu présentes tes oblations annuelles. Ainsi tu te tiendras devant le Seigneur avec autant d'épouses que tu en commémores dans ton oraison ? Tu offriras pour deux ? Tu recommanderas les deux par un prêtre… et tu auras le front assuré quand montera ton sacrifice ! » De exhort. cast., 11, t. ii, col. 926-927. Ce texte peut paraître ridicule. Il est pour le théologien des plus précieux. L’affirmation de Tertullien prouve qu’on offrait l’eucharistie pour les vivants et pour les morts : le malheureux qu’il plaisante le fait pour ses deux femmes. On rendait aux défunts ce devoir surtout à l’occasion de l’anniversaire de leur décès. Le rite était accompli par un prêtre, mais le fidèle qui sollicitait son intervention lui était si bien uni qu’on pouvait dire de lui qu’il offrait le sacrifice. L’erreur montaniste est celle d’une petite chapelle, mais la croyance à la valeur du sacrifice de la messe pour les vivants et les défunts doit être celle de la grande Église, car le chrétien que Tertullien essaye de tourner en ridicule est un catholique et non un adversaire des secondes noces.

9. Effets du sacrifice.

Sur ce sujet, Tertullien est très sobre. Il indique un fruit de la communion : « la chair se nourrit du corps et du sang du Christ pour que l'âme s’engraisse de Dieu. » De resur., 8, t. ii, col. 806. Le rite est une « eucharistie » au sens étymologique du mot, en d’autres termes il y a sacrifice d’actions de grâces. Adv. Marc, IV, ix, t. ii, col. 376. On rend à Dieu un « dévot hommage ». De orat., 19, 1. 1, col. 1182.