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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT IRÉNÉE


dispositions morales sont nécessaires. Comme don de l'Église, le sacrilicc nouveau est agréable à Dieu, car elle l’offre « avec simplicité », IV. xviii, 4. Il n’y a pas opposition entre sa croyance et son sacrifice, contrairement à ce qui se passe chez les sectes hérétiques. IV, xviii. 5. A leur tour, les fidèles doivent offrir les prémices des créatures avec une doctrine pure et une foi sans hypocrisie, une ferme espérance et une ardente charité. IV, xviii, 4. Il faut qu’ils craignent Dieu et qu’ils aient à l'égard du prochain les sentiments requis. Enfin, ils sont tenus de présenter leurs oblations non à la manière des esclaves, mais comme des enfants, avec joie, et générosité, librement. IV, xviii, 2. Dieu veut qu’ils offrent ainsi fréquemment et sans cesse leurs dons à l’autel et dans le temple du ciel. IV, xviii, 6.

Sur les rites de l’assemblée chrétienne, Irénée ne donne pas beaucoup d’indications. Voir Fortescue, op. cit., p. 36, 37. Il met en relief les trois principaux actes : l’offrande, la récitation de la parole de Dieu qui fait du pain le corps du Christ, et enfin la communion qui donne l’immortalité à notre chair.

b) La conception du sacrifice chrétien dans Irénée : erreurs de Renz, Wetter et Wieland. — Il serait difficile de contester ce que nous venons de relever. Tout est parole formelle de saint Irénée lui-même. Mais un problème difficile se pose : Qu’est-ce qui constitue pour lui le sacrifice pur de la Nouvelle Loi ?

Parce que l'évêque de Lyon répète avec insistance que l’eucharistie donne à notre chair l’immortalité, Renz, op. cit., t. i, p. 191 sq., conclut que pour lui le sacrifice est dans le repas, ou du moins dans sa préparation. Nulle part on ne trouve dans Irénée pareille proposition. A coup sûr, il se plaît à montrer dans le corps du Christ un principe de résurrection et de vie éternelle pour notre chair. V, ii, 2-3. Mais il signale en cette efficacité un fruit de la communion et non un sacrifice. Au contraire, tout lecteur des c. xvii et xviii du 1. IV ne peut s’empêcher d’observer qu’Irénée parle sans cesse d’oblation, et que ce mot est pour lui synonyme de sacrifice. If le dit d’ailleurs en termes formels : « Jésus prit du pain, rendit grâces et dit : ceci est mon corps. De même il saisit la coupe et déclara qu’elle était son sang. C’est ainsi qu’il enseigna la nouvelle oblation du Nouveau Testament et qu’il donna le moyen d’offrir à Dieu les prémices de ses créatures. C’est de cet acte que parle le prophète Malachie lorsqu’il prédit le sacrifice pur et universel. » Cf. Rauschen, op. cit., p. 68. Il serait facile d’apporter d’autres preuves à l’appui de cette proposition.

Un second problème se pose aussitôt : Quel est l’objet ainsi offert à Dieu ? Afin d'établir que le sacrifice chrétien primitif était une simple oblation alimentaire, l’offrande des mets nécessaires au repas sacré des fidèles ou utiles aux indigents, Wetter. Dus christliche Opfer, Gœttingue. 1922, p. 92 sq., croit pouvoir s’appuyer sur le témoignage de saint Irénée, IV, xvii, 5-6 ; xviii, 4, 5, 6.

Mais il est évident pour tout lecteur des textes allégués que l'évêque de Lyon ne fait pas offrir à Dieu le simple sacrifice des aliments qui sont présentés au Très-Haut. Le pain devenu le corps, la coupe devenue le sang du Seigneur, telle est, d’après Irénée, la nouvelle oblation du Nouveau Testament. IV, xvii, 5. Il ajoute que le sacrifice pur prédit par Malachie fait glorifier Dieu par Notre-Seigneur dans tout l’univers, IV, xvii, 5-6 : de telle, expressions ne s’expliquent pas si l’offrande des chrétiens consiste uniquement dans la présentation de mets utiles au repas collectif desiidèles. Les chrétiens, dit encore Irénée, offrent au Seigneur « tout ce qui est à eux », IV, xviii, 2 : ces mots ne sont pas d’une interprétation facile, mais il est sûr qu’ils désignent tout autre chose que le sacrifice d’un peu de

et de pain vin. Autre opposition entre ce texte et l’interprétation de Wetter : les buts assignés à l’offrande chrétienne, honorer Dieu.l ui rendre grâces et lui témoigner de l’affection, IV, xviii, 1-4, diffèrent de la fin proposée par le critique moderne : apporter les mets de la cène. Et puis, comment expliquer l’invitation faite aux chrétiens de faire parvenir leurs dons « sur l’autel céleste », IV, xviii, 6, s’ils n’offrent que du pain et du vin ! Sans doute, Irénée parle sans cesse de l’oblation des prémices ; mais il ajoute aussitôt que ces créatures deviennent le corps et le sang du Seigneur, et c’est ainsi en qualité de prémices du monde régénéré qu’elles sont présentées à Dieu. Ce mot convient à merveille pour désigner le Christ, « premierné d’un grand nombre de frères », Rom., viii, 29, « premier-né de toute créature », Col., i, 15, « premierné d’entre les morts », Col., i, 18, « premier-né du Père introduit par lui dans le monde ». Hebr., i, 6. Ce n’est pas au pain et au vin en tant que créatures que convient ce terme de prémices auquel Irénée semble attacher tant d’importance. De la Taille, op. cit., p. 209-212.

Pourtant, au c. xviii du t. IV, s’il faut en croire Wetter, Irénée semble ne plus penser au corps et a sang du Christ. IV, xviii, 3 sq. Il ne le mentionne plus. Les fidèles deviennent les sacrificateurs. Si guis… offerre tenlaverit. Mais il n’est pas possible d’isoler deux ou trois phrases de tout ce qui les précède et des autres affirmations très claires d’Irénée sur l’offrande de l’eucharistie, corps et sang du Seigneur. Au reste, l'évêque de Lyon n’affirme nullement ici que tout chrétien est prêtre. En ce morceau il traite des dispositions intimes nécessaires au fidèle pour que son oblation soit agréée de Dieu : donc, il est naturel qu'à cet endroit Irénée ne parle pas du corps et du sang du Christ. Si, en quelques phrases, il ne parle plus de la chair du Sauveur, ce n’est nullement pour lui substituer le pain et le viii, mais bien pour exposer soit les enseignements de l'Écriture, soit des principes moraux sur ce qui donne sa valeur au sacrifice. Wetter luimême d’ailleurs semble s’en apercevoir, et il avoue que dans Irénée on trouve en germe toute la doctrine sur le sacrifice. Voir Coppens, op. cit., p. 109-110, 119.

Wieland a bien compris que, pour Irénée, les prémices à offrir, c’est le pain et le vin devenus le corps et le sang du Christ. Mais il accuse l'évêque de Lyon d’avoir été un novateur. Avant lui, on ne connaissait qu’un sacrifice véritable et proprement dit, celui de la croix, une seule victime et un seul prêtre, le Christ. Les fidèles n’offraient que des oblations spirituelles : actions de grâces, prières, vie sainte. Le corps et le sang du Christ n'étaient pas présentés à Dieu par l’homme, mais donnés par Dieu à l’homme. Avec saint Irénée tout change : il fait abstraction de la mort du Christ sur la croix. Désormais le chrétien devra présenter à Dieu un objet visible ; ce s^ra le pain et la coupe, corps et sang du Christ, prémices de la nature régénérée.

Soutenir que saint Irénée oublie le mystère de la croix ou ne fait pas à la rédemption la place qui lui revient, c’est nier l'évidence. Nous n’avons pas à exposer ici la sotériologie de l'évêque de Lyon : elle n’est pas laissée dans l’ombre, forme un tout important et se rattache à l’enseignement soit des Livres saints, soit des premiers écrivains chrétiens.

Même quand sainr Irénée parle de l’eucharistie et de l’offrande des prémices, il se garde bien d’oublier la croix. Deux fois il le déclare : le pain et le viii, corps et sang du Christ sont l’oblation du Nouveau Testament. IV, xvii, 5. Ces mots rappellent évidemment les paroles de Jésus au repas d’adieu : « Ceci est la coupe de l’alliance. » Irénée fait allusion au sang du Calvaire dans lequel fut scellé le pacte conclu entre