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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT IRÉNÉE


De même, s’ils s’accordent à désapprouver toute oblation sanglante, toute offrande faite par la main des hommes (Athénagore, Apollonius, Êpttre à Diognète). ils ne disent rien qui désapprouve le rite en sage dans l’assemblée chrétienne, rite qui ne comporte la mise à mort d’aucun cire vivant, rite qui requiert sans doute l’action d’un officiant créé, mais qui pourtant s’opère en réalité, comme le dit saint Justin, par Jésus-Christ et en son nom.

Enfin, l'éloge par les apologistes de sacrifices non sanglants et d’oblations mentales, l’affirmation que pour les chrétiens l’unique offrande c’est la prière, la foi ou d’autres vertus (Athénagore, Apollonius, Minucius Félix) ne contredisent nullement la thèse de l’existence du sacrifice de la messe. Des hommes Dieu n’attend et il ne peut obtenir que des supplications, des louanges et des actes de vertus. Déjà sous l’Ancienne Loi, on les appelait des sacrifices et les apologistes en leur donnant ce nom ne faisaient que commenter nos saints Livres. Dans l’eucharistie il y a aussi une opération morale, l’acte par lequel on offre la chair et le sang de Jésus ; on peut donc l’appeler une prière, car c’est par une prière qu’elle s’accomplit. Ce qui est agréable à Dieu, ce n’est pas le corps en tant que corps, le sang comme sang, mais ce corps et ce sang unis à l'âme de Jésus, à ses dispositions intérieures, à sa sainteté. Enfin les fidèles et l’officiant lorsqu’ils assistent à cet acte ou en sont les ministres ne peuvent plaire à Dieu que s’ils se présentent avec leur foi, leur piété, leur vertu. Cf. Lebreton, Diction, apotog., art. Eucharistie, t. i, col. 1576-1577. De la Taille, op. cit.. p. 228-229 ; Lamiroy, op. cit., p. 269 sq. ; Brinktrine, op. cit., p. 1Il sq. » On est bien obligé d’admettre la justesse de ces remarques si on se souvient du langage de saint Justin. Lui aussi, il s’exprime comme les autres apologistes et cependant pour lui l’eucharistie est un sacrifice, celui qui remplace les oblations rituelles de l’Ancienne Loi et qui a été institué par Jésus-Christ. Bien plus, comme on l’a fait justement remarquer, on trouverait chez des écrivains chrétiens postérieurs d’un ou de plusieurs siècles et qui, de l’aveu de tous, voient dans la messe un sacrifice proprement dit et non pas seulement une prière, des déclarations tout à fait semblables à celle des apologistes sur îe culte purement spirituel des chrétiens. De la Taille, op. cit., p. 228, nomme par exemple saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Ëphrem, Théodoiet et, parmi les Latins, saint Hilaire et Zenon de Vérone.

Pourtant une question se pose. A ceux qui les accusent de n’avoir pas de sacrifice, pourquoi les apologistes ne répondent-ils pas : Nous en avons un, l’eucharistie ?

Recourir à la loi de l’arcane parut longtemps commode. Mais son existence à cette époque n’est pas démontrée. Voir Batiffol, art. arcane, t. i, col. 1738 et sq. D’ailleurs, Justin ne cachait rien à personne. < ni peut toutefois admettre que, par prudence ou religion, d’autres apologistes se tenaient sur la réserve et craignaient de livrer les choses saintes aux chiens. Il faut avouer d’ailleurs qu’il n'était pas facile d’expliquer à des païens comment l’eucharistie était un sacrifice. Aux fidèles des idoles qui leur offraient des mets ou des parfums pour les satisfaire ou capter leur bienveillance, comment faire comprendre l’oblation a un Dieu invisible d’un corps invisible et mis à mort depuis des années ? La réplique eût aussitôt surgi : Ce sacrifice n’en est pas un.

Il est une dernière explication. L’histoire est d’accord avec la théologie catholique pour affirmer que les chrétiens ont peu à peu acquis des connaissances progressivement plus claires et moins imprécises, plus explicites et moins discutées de vérités révélées dès

l’origine, mais qui n'étaient pas textuellement affirmées dans l'Écriture ou enseignées en ternies exprès par les Apôtres. A l'époquc’des premiers apologistes, les fidèles possédaient les écrits de Malachie, les évangiles et les lettres de saint Paul. Dès l’origine, les chrétiens rompaient le pain et participaient à la coupe eucharistique, ils le faisaient en mémoire de Jésus pourrendre grâces, commémorer la passion et participer au corps et au sang immolés sur la croix. De ces textes, de cet usage, Justin et Irénée concluaient sans hésiter que le repas religieux chrétien est un sacrifice proprement dit. Leur langage prouve que beaucoup de leurs contemporains tiraient la même conclusion. Mais ce corollaire se dégageait-il avec la même évidence dans l’esprit de tous les fidèles ? Puisque ni l'Écriture, ni le symbole de foi ne disaient en termes formels : L’offrande du pain et du vin par l'évëque ou le prêtre est un sacrifice, il est tout naturel d’admettre que cette vérité n'était pas alors aussi clairement perçue, aussi explicitement admise, aussi universellement professée qu’elle le deviendra un peu plus tard, par exemple à l'époque de saint Cyprien. Si donc certains apologistes ne l’opposaient pas aux païens, c'était peutêtre parce qu’eux-mêmes ne la connaissaient pas avec certitude, ou parce que cette notion n'étant pas explicitement professée par tous, ils ne pouvaient la présenter comme la pensée commune à tous ceux qu’ils défendaient. Brinktrine, op. cit., p. 126.

Au contraire, ils devaient tout naturellement être portés à réfuter leurs adversaires en leur montrant que la Divinité ne réclame ni nourriture ni parfum. Cette idée leur était très familière. On la trouve en des textes scripturaires d’une ironie et d’une force inoubliables pour qui les a lus. Ps. xi.ix (Vulg.) 8-14 ; l, 17-18 ; Is., i, 12-13 ; Jerem., vi, 20 ; Amos, v, 22.

Venus du judaïsme ou du monde païen, les premiers chrétiens devaient se répéter souvent à eux-mêmes ces pensées pour se démontrer qu’en réalité ils n'étaient pas athées. De semblables notions se trouvaient d’ailleurs chez les philosophes grecs, surtout chez les stoïciens. Cf. Rohr, Gricchentum und Christentum, dans Bibl. Zeilfragen, ve Folge, fasc. 8, p. 16 sq., Munster, 1912 ; Kroll, Die Lehren des Hermès Trismegistos, dans Beitrùge zur Geschichle des Mittelalters de Bàumker, t. xiii, fasc. 2-4, p. 238 sq., Munster, 1914. Or, les apologistes de cette époque étaient moins des avocats que des philosophes. Donc ils philosophaient, aux païens ils opposaient les penseurs païens : c'était de bonne guerre. Aucun moyen ne leur paraissait meilleur pour fermer la bouche aux ennemis du nom chrétien. Brinktrine, op. cit., p. 125.

3° Saint Irénée (f vers 202-203 ; le Contra hæreses a été composé entre 180 et 198).

1. Les textes.

L'évëque de Lyon est amené à parler à plusieurs reprises du sacrifice chrétien, mais il est quelques passages où il en traite ex professo.

a) Cent, hæres., t. IV, c. xvii. n. 1-6, P. G., t. vu. col. 1023-1024. — Le texte est tout à fait classique et de capitale importance : Les Juifs n’ont pas compris quels sacrifices Dieu réclamait, mais Jésus par l’institution de l’eucharistie a enseigné la nouvelle oblation. En recommençant le geste du Maître, l'Église réalise la prophétie de Malachie.

b) Cont. lucres., I. IV, c. xviii, n. 1-6, col. 10 24-1029. — Le texte est plus important encore, car il esquisse toute une théorie du sacrifice, soit en général, soit chez les.Juifs, soit chez les chrétiens. L’offrande faite à Dieu ne vaut que pour autant qu’elle est le signe des dispositions intérieures. En particulier elle doit manifester une foi parfaite et sans contamination d’hérésie. Les diverses aberrations doctrinales des sectes contemporaines sont en contradiction avec les pratiques mêmes du sacrifice eucharistique.