Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/461

Cette page n’a pas encore été corrigée
907
908
MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : LES APOLOGISTES


par le feu ce qui a été créé par lui pour notre nourriture, mais de nous l’offrir pour nos besoins et ceux des pauvres et, l'âme reconnaissante, de le célébrer par des cérémonies spirituelles et des hymnes. » Mais, comme nous l’avons montré, il n’est pas certain que ce chapitre parle de l’eucharistie : l’opinion contraire semble bien établie. Peu importe d’ailleurs : On le voit par tout le contexte, les dons de Dieu que s’offre le chrétien à lui et à ses frères, au lieu de les offrir à Dieu, ce sont les animaux qu’il mange ou dont il donne une part au prochain, au lieu de les sacrifier, de les détruire par le feu. Rien ici ne permet de découvrir de prétendus sacrifices d’offrandes alimentaires qui auraient lieu à l’assemblée chrétienne. En ce texte, Justin « raille les sacrifices païens, les effusionsde sang, les libations et les offrandes d’encens ; il leur oppose l’usage droit des créatures sanctifié par la distribution des aumônes et les prières d’action de grâces au Créateur. Les offrandes alimentaires ne sont pas mentionnées. » Coppens, L’offrande des fidèles dans la liturgie eucharistique ancienne, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, t. v, Louvain, 1927, p. 112. De ce que dit Justin des collectes qui suivent l’assemblée eucharistique, lxvii, 6, écrit Vcelker, op. cit., p. 132, on ne peut rien tirer en faveur de la théorie de Wetter.

Conclusion. — A l’assemblée chrétienne, les paroles prononcées par Jésus à la cène sont redites par le président sur le pain et sur une coupe de vin mélangé d’eau. Elles en font la chair du Logos incarné, le sang de Jésus crucifié. Ainsi est commémorée la mort du Sauveur pour les hommes. Cet acte est un sacrifice, celui qui a été prédit par Malachie et institué par Jésus, celui qui est en usage chez les chrétiens dans tout l’univers, le seul qui soit agréable à Dieu. C’est en effet celui qui loue et glorifie son nom, celui qui constitue l’action de grâces, l’eucharistie, pour tous les bienfaits, bienfaits de la création comme de la rédemption. C’est donc celui auquel les chrétiens assistent chaque dimanche, celui auquel on ne peut participer si on ne professe pas la vraie foi, si on n’a pas été baptisé, si on ne mène pas une vie conforme à la loi chrétienne. C’est celui auquel on rattache tous les grands actes de la nouvelle religion : lecture des saints Livres, homélie, prière collective de tous pour tous, réconciliation fraternelle, aumône en faveur des indigents. C’est celui auquel chacun communie, d’abord en s’unissant au président qui prie pour tous, et en répondant Amen à son action de grâces, mais plus encore en recevant de la main des diacres le corps et le sang du Christ, transmis aux absents eux-mêmes pour les unir à l’assemblée : ce pain et ce viii, chair incorruptible du Logos, font passer dans la chair des fidèles l’immortalité.

2° Affirmations de plusieurs apologistes de l'époque sur le caractère purement spirituel du sacrifice chrétien. — Certains défenseurs de la cause chrétienne ont, comme saint Justin, déclaré que tout le culte, toutes les oblations des fidèles consistaient dans la prière ou la vertu. On a parfois voulu conclure de ce langage que, pour eux et leurs coreligionnaires, la cène n'était pas un sacrifice. Récemment encore, Wieland prétendait qu’Aristide et Athénagore n’avaient connu que l’olïrande de la prière. Der vorireniiische Opferbegriff, p. 65. Il suffit de lire les textes pour découvrir la véritable pensée de ces apologistes.

Aristide (vers 140) déclare que Dieu « n’a nul besoin d’hosties, de libations ou d’autres objets visibles ». Apol., i, cf. xiii, dans Texte und Untcrsuch., 1893, t. iv, fasc. 3, p. 6, 32.

Athénagore (vers 176-178) écrit : « Si nous n’offrons pas à Dieu les mêmes sacrifices que vous, c’est que le Père et créateur de toutes choses n’a nul besoin du

sang, de l’odeur ou de la fumée des victimes. Il est pour lui-même le parfum le plus suave, car on ne saurait ajouter à sa plénitude. Voulez-vous lui faire l’offrande la plus agréable de toutes ? Essayez de connaître celui qui a étendu les cieux et les a déroulés comme une sphère immense, qui a établi la terre comme un centre et réuni les eaux dans la mer, qui a séparé la lumière des ténèbres et orné d’astres le firmament, qui a fait produire toute semence à la terre, qui a créé les animaux et formé l’homme. Qu’est-il besoin d’hécatombes pour le Tout-Puissant ? Elevez vers lui des mains pures : c’est une victime non sanglante, un culte spirituel qu’il vous ûemande. » Legct., xiii, P. G., t. vi, col. 916.

Apollonius (martyr sous Commode 180-192), dans l’apologie qu’il prononça devant le tribunal et qu’on croit avoir retrouvée, tient le même langage : « Je présente un sacrifice non sanglant et pur, moi et tous les chrétiens, au Dieu qui est le maître du ciel, de la terre et de tout ce qui a souffle de vie, sacrifice qui se fait surtout par des prières. » Texte und Unlersuch., t. xv, fasc. 2, c. viii, p. 98. Il souhaite aussi que son juge offre à Dieu un sacrifice de prière et d’aumône, c. xliv, p. 126.

Dans l'Épître à Diognète (ne siècle ?) on lit, c. m : »… Les Juifs en croyant que Dieu a besoin de leurs sacrifices font un acte d’extravagance plutôt que de religion. Car celui qui a créé le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment… n’a nul besoin de ce qu’il donne lui-même à ses créatures : celles-ci ne peuvent s’imaginer sans folie qu’elles lui rendent un service quelconque. Si donc les Juifs croient faire grand honneur à Dieu par le sang de leurs victimes, il ne me paraissent différer en rien de ceux qui accordent le même hommage à des divinités insensibles ; non moins que ces derniers, ils s’imaginent donner quelque chose à Dieu qui n’a besoin de rien. » Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 394.

Minucius Félix (entre 175 et 197, si on estime l’Octavius antérieur à V Apologétique de Tertullien ; — après cette date, si on admet l’hypothèse contraire) fait -une observation semblable. « Offrirai-je au Seigneur comme hosties et victimes ce qu’il a produit à mon usage de telle sorte que je lui renvoie son bienfait ? C’est de l’ingratitude. Puisque l’hostie à offrir c’est une âme bonne, une intelligence pure et un langage sincère, celui donc qui observe l’innocence, supplie Dieu. Qui respecte la justice, présente à Dieu une libation ; qui s’abstient de la fraude, se rend Dieu propice et qui arrache un homme au péril, immole la meilleure victime. Voilà nos sacrifices, voilà ce qui est voué à Dieu. » Oct., xxxii, P. L., t. iii, col. 354.

On le voit à la seule lecture, ces textes n'établissent nullement que la cène chrétienne n’est pas un sacrifice. Ils affirment que Dieu n’a besoin ni de sang, ni de libations, ni d’aucun être matériel ; que nous n’avons pas à lui rendre ce qu’il a tiré du néant pour notre usage ; que nul objet sensible n’est digne de sa majesté ; qu’en un mot rien de créé ne saurait lui être offert (Aristide, Athénagore, Épître à Diognète, JNIinucius Fé ; ix). Mais à la cène, les chrétiens ne présentent pas à Dieu du pain vulgaire et une coupe banale de. vin. C’est la chair, c’est le sang du Fils de Dieu et non ceux d’une créature qui sont l’objet de l’oblation. On n’attribue donc pas au Très-Haut le désir ou le besoin de se nourrir à la manière des mortels. On n’a pas la prétention de l’enrichir d’un objet qui lui manque, de lui rendre le plus léger service ou d’augmenter sa perfection, son bonheur. On ne rejette aucun de ses bienfaits : le chrétien communie à la chair et au sang du Christ en les offrant à Dieu. Les apologistes ne condamnent donc nullement le sacrifice de l’autel.