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MESSE AU DEUXIEME SIECLE : SAINT JUSTIN


plis par le président. Cet ainsi soit-il atteste seulement la solidarité des fidèles et de l’officiant. L’acclamation prouve qu’il parlait bien en leur nom et que son eucharistie est aussi leur eucharistie. Mais Justin le déclare : Les prières et l’action de grâces sont achevées par celui qui préside, au moment où ie peuple répond : Amen. ApoL, lxv. 3.

/) Quand celui qui préside a fait l’eucharistie et que tout le peuple a répondu, les minisires que nous appelons diacres distribuent à tous les assistants le pain de l’eucharistie, le vin et l’eau. Apol., lxv, 5 ; cf. lxvii, 5. — Ici intervient un nouveau ministre. A côté du peuple, du lecteur, du président qui est l'évêque ou un prêtre, son délégué, nous voyons le diacre. Comme on l’a observé, la réunion a un caractère rituel bien marqué. Chacun a son rôle déterminé. Aux diacres il appartenait de distribuer les éléments eucharistiques. Les frères recevaient les deux espèces.

Saint Justin fait savoir à quelles conditions cette faveur est accordée. « A personne il n’est permis de prendre part à cette nourriture, s’il ne croit vrai ce que nous enseignons, s’il n’a été baptisé du baptême de la rémission des péchés ou de la nouvelle naissance, et s’il ne vit comme le Christ l’a prescrit. » Apol., lvi, 1. Cf. Didachè, ix, 5 ; xiv, 1.

De cette participation au pain et à la coupe, quels sont les effets ? Saint Justin les décrit d’un mot : « Par cet aliment eucharistie notre chair et notre sang sont nourris xaxà fi.£-a60X7)v, en vue d’une transformation. » Bon nombre d’interprètes (Weizsàcker, Engelhardt, Loofs, Gœtz, Struckmann, Ratifîol, Rardy) estiment que le changement obtenu pour notre chair et notre sang, c’est l’acquisition de l’immortalité. Prétendre qu’il est parlé ici de la simple digestion naturelle (Réville), c’est vouloir que Justin ait exprimé sous une forme presque incompréhensible une pensée très simple et sans intérêt. Au contraire, l’autre interprétation se justifie pleinement. Il est naturel que la chair du Logos incarné dont parle l’apologiste confère à celui qui la reçoit ses propriétés. Goguel, op. cit., p. 275. Ce don est d’ailleurs celui sur lequel l’attention se porte alors avec complaisance : Justin est l'écho d’Ignace, Eph., xx, 2 : çâpji.axov àôocvocaîaç ; de la Didaché, x, 2 : ÙTCp tyjç yvcôaecoç xai ttîcttewç y.ai. à6avaaîaç. Cf. Joa., vi, 51-59.

A côté de cette immortalité du corps, se placent les effets proprement dits du sacrifice. Il loue Dieu et glorifie son nom. Apol., lxv, 3 ; DiaL, xli, 1. Il lui rend grâces pour le bienfait de la création et la grâce de la rédemption. Apol., lxv, 3, 4, 5 ; lxvii, 5 ; xli, 1 ; i.xx. 4. Puisqu’il est agréable à Dieu et accepté par lui, DiaL, cxvii, 1, il est apte à obtenir à tous et à chacun ce qu’ils ont demandé pour eux et pour autrui : bonne vie et salut, Apol., lxv, 1, et la continuation des dons pour lesquels le président a remercié. DiaL, xli, 1.

k) Par les diacres on envoie aux absents leur part du pain et du vin de l’eucharistie. Apol., lxvii, 5, cf. ApoL, lxv, 4. — Cette coutume atteste combien la célébration de l’eucharistie est un rite de toute l'Église, accompli par le président au nom de chacun et auquel chacun doit participer.

La collecte. — C’est sans doute d’elle qu’il est parlé en la phrase finale de la description de l’eucharistie qui suit le baptême : « Ceux qui possèdent secourent tous ceux qui sont indigents. Nous nous assistons toujours les uns les autres. » lxvii, 1. La seconde relation est très claire, très précise : « Ceux qui sont dans l’abondance et qui veulent (bien le faire) donnent chacun ce qu’il veut selon son gré ; ce qu’on recueille ainsi est porté à celui qui préside et il secourt les orphelins et les veuves, et ceux qui sont dans l’indigence par suite de la maladie ou de toute autre cause,

. et ceux qui sont dans les chaînes et les étrangers qui sont de passage. Bref, il a cure de quiconque est dans le besoin. » lxvii, 6.

Le texte se suffit. Il y a des aumônes et non une agape. Elles ne sont pas obligatoires et chacun donne ce qu’il veut. Ce qui est recueilli par les collecteurs est porté par eux à celui qui préside, à l'évêque, et c’est lui qui secourt les malheureux de toute catégorie. L’acte est lié au sacrifice du pain et de la coupe. Il le complète et l’achève. Justin a mis en relief le côté social de l’eucharistie. L’assemblée est une cérémonie qui relie les fidèles entre eux. Cette union est favorisée par la rencontre en un même lieu de tous les chrétiens. Ils sont réunis en qualité de frères. Us se donnent le baiser de paix et ainsi se réconcilient ou se rapprochent davantage s’il est besoin. Il y a communauté de foi. Tous plient ensemble pour tous, d’abord pour chacun des assistants, mais aussi pour les membres de l'Église qui sont absents. Le peuple entier s’unit au président qui fait les prières et l’action de grâces (l’eucharistie) au nom de chacun et de la collectivité ; chacun et la collectivité répond : Amen. Tous les assistants participent à un même banquet spirituel, tous reçoivent le même aliment, le Logos, fait chair pour passer en notre chair. < et aliment est envoyé aux absents afin qu’eux aussi soient unis à l'Église.

L’exercice de la charité se trouve donc tout à fait à sa place. Puisque les chrétiens sont frères, ils le deviennent davantage, ils fraternisent en mettant leur bien en commun. Ainsi encore ils observent le précepte du Maître : « Faites ceci en mémoire de moi. » A ses disciples Jésus a donné la nourriture de la cène, sa chair et sa personne. Les chrétiens offrent du pain et ils s’offrent eux-mêmes aux indigents.

Wetter, on le sait, veut aller beaucoup plus loin et faire de cette offrande le sacrifice chrétien primitif. Chacun, à l’origine, apportait pour la cène chrétienne les mets à consommer. Afin de prévenir ou de corriger les abus, dont parle I Cor., xi, 20 sq., on transforma ces libres apports individuels en une offrande collective et rituelle qui, devenant avec le temps toujours plus solennelle, et se surchargeant d’actions de grâces, de mémento des donateurs, de supplications pour eux et pour autrui, prit la forme d’un sacrifice. En ce passage on saisirait une trace du rite primitif, du sacrifice alimentaire.

En vérité, il est difficile de trouver une affirmation qui démente davantage les textes. Quiconque lit le Dialogue constate aussitôt que, pour Justin, le sacrifice, c’est l’action de grâces sur le pain et la coupe, que ce sacrifice est le seul prescrit, le seul agréable à Dieu. Ces affirmations sont répétées avec une insistance singulière et qui ne laisse place à aucun doute. D’autre part, si on étudie les deux récits de V Apologie, on voit aussitôt que ce sacrifice de l’action de grâces du pain et de la coupe est terminé avant qu’ait lieu la collecte finale. Enfin, l’examen de cette dernière prouve qu’elle n’est pas un sacrifice. A cet acte de charité Justin ne donne même pas ce titre en un sens métaphorique, comme le font parfois l'Écriture et les écrivains catholiques anciens et modernes. Il ne parle que de secours, d’assistance, de dons, de collectes. Sont évités même les mots qui pourraient être équivoques, désigner soit un acte rituel, soit une œuvre charitable, par exemple le mot offrir. La collecte est d’ailleurs libre : donne qui veut. Il n’y a donc pas ici un sacrifice de l’assemblée chrétienne, une oblation de tous les fidèles.

Il est vrai qu’en un autre endroit de la mê^e Apologie, au c. xiii, Justin opposant les coutum es chrétiennes aux usages juifs ou païens écri t : « On nous a en effet appris que cette seule manière de l’honorer est digne de lui : à savoir de ne pas détruire