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MARONITE (ÉGLISE), PATRIARCHES, XYIII* SIÈCLE

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Mgr’Aouad était rentre à Qannoûbîn ; il y avait été accompagné par plusieurs évêques, le cheikh Naufel El-Khazen et une escorte de métoualis. Entre temps. l’antipatriarche mourait à Raifoun, le 8 septembre 1713. Cet événement ne pouvait que faciliter encore le dénouement de la nie. Toutefois, Vodium plebis ne désarma pas d’emblée, notamment dans la région de Tripoli. Quelques fauteurs de désordres, exploitant toutes les circonstances, continuaient de critiquer le patriarche pour entretenir la discorde et pêcher en eau trouble. Ristelhueber, op. cit., p. 2C1-263. De plus, au dire de.Jean— Jacques de Monhenault, vice-consul de France à Tripoli (1714-1725), et de deux évêques maronites contemporains, Farhàt et Qarrali, le manque de souplesse et de franchise, de la part du patriarche, contribua à prolonger dans quelques endroits le malaise populaire. Relation de Farhàt et de Qaraali dans la Chronologie des patriarches maronites, édit. Chartoûnî, p. 46, en note, et p. 187 sq. ; cf. Ristelhueber. op. cit., p. 207. « La plupart des maronites de la contrée de Tripoli restaient en somme plus ou moins ouvertement hostiles à.Mgr Jacques. En le reconnaissant, beaucoup d’entre eux n’avaient agi que par crainte du Saint-Siège. Et parmi ceux qui continuaient a le combattre, quelques-uns, dans leur aveuglement, ne reculaient pas devant les moyens les plus dangereux pour leur nation. C’est ainsi qu’un maronite d’Alep s’était adressé au pacha en lui demandant de se saisir du patriarche pour en établir un autre à sa place. D’autres même n’hésitaient pas à rejeter la responsabilité de tout ce trouble sur les Français et les missionnaires. Tels certains chrétiens du Kesrouan qui, malgré leur apparente soumission, semblaient à .Monhenault les vrais chefs de l’opposition. Ils lui adressèrent une lettre fort impertinente. Très irrités de l’intervention du vice-consulat de France, ils prièrent Monhenault de cesser de se mêler d’une affaire qui ne le regardait pas. L’autorité des Turcs, disaient-ils, était la seule qu’ils reconnussent : ils se refusaient à admettre celle des « Francs » et allaient jusqu’à menacer le vice-consul de la justice ottomane. On peut juger à quel point la passion avait égaré quelques maronites pour avoir amené ces énergumènes à renier ainsi tout Je passé de leur nation. L’ambassadeur lui-même s’était ému de ces excès. Il avait remontré aux notables de Tripoli combien ils jouaient un jeu plein de périls. Il était vraiment criminel de leur part de risquer faire intervenir la Porte dans leurs affaires, alors que la communauté maronite était la seule dont le patriarche pût être nommé en oute liberté, sans obligation de solliciter un firman. Ces prévisions faillirent se réaliser. Le pacha de Tripoli chargea le cheikh gouverneur du pays d’Akkar (situé au nord de Tripoli), ennemi juré des métualis, de s’emparer de Mgr Jacques. Par bonheur, les neiges obligèrent sa petite troupe à rebrousser chemin : elle dut revenir sans avoir fait autre chose que de découvrir les desseins du pacha. Le prélat eut ainsi le temps de se réfugier dans les cavernes de la haute montagne et, pour l’en déloger, il eût fallu entreprendre une guerre en règle contre les métualis. Ce fut la dernière alerte. A partir de ce moment… les esprits se calmèrent, Torbey et les missionnaires aidant. Ceux-ci remirent enfin au prélat les objets du culte appartenant au patriarcat. La paix se rétablissait peu à peu. Bientôt Poullard, qui n’avait cessé de suivre avec passion le succès d’une cause devenue sienne, pouvait écrire (le 1 er mai 1714) au comte de Pontchartrain : « Le feu qu’on avait allumé à Tripoli contre le patriarche s’est tout à coup amorti par la protection du Roi. Malgré sa soudaineté, le calme était, cette fois, durable. Le consul de Seule continuait à surveiller les événements et à en rendre fidèlement compte. Il n’entendait plus parler des agi I talions de Tripoli : tout y était donc tranquille. Les machinations contre le patriarche avaient complètement échoué. Monhenault et quelques Français étaient allés rendre visite au prélat ; ils en étaient revenus charmés des bonnes manières et de la politesse de Mgr Jacques. Toute cette grave affaire était donc heureusement terminée. » Ristelhueber, op. cit., p. 2.’-2 > ?.

Dès lors, le patriarche put entreprendre aisément la v isite pastorale. Il allait d’une localité à l’autre, et recevait partout les plus grandes marques d’honneur et de soumission. Toutefois, « il hésitait encore à se rendre au Kesrouan, dont les cheikhs avaient été ses plus cruels ennemis. Mais Poullard envoya auprès d’eux son drogman Ibrahim, et les cheikhs donnèrent leur parole de bien recevoir Mgr Jacques, car ils étaient soumis au pape comme au « Sultan de France », leur maître. Ils tinrent leur promesse, implorant leur pardon les larmes aux yeux. Le patriarche ne manqua pas, dans de longues lettres en italien, de tenir Poullard au courant de tous les détails de ce voyage triomphal. Il finit par se rendre à Deir-El-Kamar. Il y fut fort bien accueilli par l’émir des druses devant lequel il put se présenter entouré de son clergé et des principaux notables de sa nation, désormais parfaitement unie. » Ristelhueber, p. 269-270.

Il est certain que, dans l’affaire du patriarche’Aouad, Poullard fit preuve de beaucoup de tact, d’énergie et de dévouement. Mais il exagère un peu son rôle quand il déclare avoir empêché une révolte ou écarté un schisme avec Rome. Il le disait pour se faire valoir et obtenir une récompense de ses services, notamment un poste plus important que celui de Seïde. Ristelhueber, op. cit., p. 257, 260, 268-270. En réalité, ni missionnaires, ni maronites n’avaient songé à se séparer du Saint-Siège. Un peuple d’une longue tradition catholique ne renie pas en un jour tout son passé. Toujours attachés à l’Église, les maronites ne contestèrent pas l’autorité romaine, et ce fut justement leur souci d’obéir au pape qui amena la fin de la crise. Un contemporain, l’archevêque Farhàt, sacré par le patriarche Jacques lui-même, nous l’indique bien. (Cité par Chartoûnî, Chronologie des patriarches maronites, p. 46 en note.) Clément XI nous en fournit la confirmation dans un bref adressé aux maronites, le 18 août 1714. (Bref Magno cum animi, dans De Martinis, Jus pontifie, t. ii, p. 302). Quocirca, disait Benoît XIV à propos de ces événements, Maronitse hoc novum suie erga Romanam Sedem obedientise dederunt argumentum. Allocution consistoriale, 13 juillet 1744, ibid., t. iii, p. 152.

Les événements venaient de reprendre leur cours normal lorsque un nouveau scandale éclata : de graves dissensions entre deux membres les plus en vue de l’épiscopat, le neveu du patriarche, Simon’Aouad, archevêque de Damas, et’Abdallah Qaraali, archevêque de Beyrouth, qui nécessitèrent l’intervention du Saint-Siège. Le pape députa, en effet, un ablégat, le P. Gabriel Hawa (Eva), moine maronite de l’ordre de Saint-Antoine, pour le règlement de cette affaire. Voir les lettres Etsi quotquot, 29 janvier 1721 ; Quod pastoralis officii, même date : Ex Romani Pontificis, 1 « février 1721 ; Cum sicut accepimus, 12 mars 1721, dans Anaïssi, Bull., p. 208-214 ; De Martinis, op. cit., t. ii, p. 342-341, t. vii, p. 97-98. Heureusement, la mission du P. Hawa rétablit la paix dans l’Église maronite. Voir la lettre Exultavimus corarn Domino d’Innocent XIII. 12 lévrier 1723, dans Vnaïssi, Bull., p. 214-216.

Sous le pontificat de Jacques’Aouad, Clément XI fonda à Rome, en 1707, le monastère des Saints l’icrre-el —Marcellin, qui devait servir à la fois de maison d’étude pour les moines de l’ordre de Saint-