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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT JUSTIN


a pas de banquet, pas d’agape, rien qui les rappelle de près ou de loin. Batitïol, op. cit., p. 18 ; Bardy, art. Justin (Saint), ici, t. viii, col. 2271-2272. Le mot nourriture, Tpotpyj, employé pour désigner l’eucharistie, Apol., lxvi, 1, l’afïïrmation que les corps sont nourris par le pain et le viii, Apol., lxvi, 2, ne doivent pas nous donner le change. « Du pain et une coupe d’eau mêlée de vin ne pouvaient pas constituer un repas pour un groupe aussi nombreux que devait l'être la communauté de Rome au temps de Justin Martyr. » Goguel, op. cit., p. 272, 317. On ne trouve dans VApologie aucune trace d’agape. Vcelker, op. cit., p. 103.

Plus spécieuse est l’hypothèse de Wieland d’après laquelle l’eucharistie de saint Justin n’aurait- été qu’un sacrifice de prières. Mensa et con/essio, p. 51 sq. ; Der vorirenaische CXp/erbegriff, p. 76 sq. Il est vraiment impossible de comprendre ainsi les textes cités plus haut. Justin assimile l’eucharistie à l’offrande de farine ; elle est le sacrifice prédit par Malachie et qui remplace les antiques oblations. Dial., xli, 1, 2, 3. Ces divers rites ne sont pas de simples prières. L’apologiste déclare que les chrétiens offrent quelque chose. Dial., cxvii, 1. Ils ne se contentent donc pas de réciter ou d’improviser les formules d’oraison. Justin précise : « Les sacrifices qui par l’eucharistie du pain et de la coupe sont offerts. » Dial., cxvii, 1. Rien de plus clair ni de plus décisif : il n’y a pas ici que des prières, elles sont inséparables d’un aliment, d’une créature matérielle et c’est par elle que se fait l’oblation. Il faut aussi sou.igner l’emploi répété des locutions : « Le pain de l’eucharistie que Jésus-Christ Notre-Seigneur nous a prescrit de faire, tcoisïv. » Dial., xli, 1. Mêmes expressions dans Dial., lxx, 4 ; cxvii, 2, 6. Comme le fait observer Batiffol, op. cit., p. 23, n. 2, ces expressions « donnent à comprendre que la prière prononcée n’est pas tout, et si elle n’est pas tout, la théorie de Harnack et de Wieland est inadéquate ; quoi qu’il en soit d’ailleurs du sens de Gùeiv donné à 7rot, eïv. » Voir aussi De la Taille, op. cit., p. 218-219 ; Brinktrine, or. cit., p. 91-105, et surtout Lamiroy, op. cit., p. 278-284.

De même dans la description qu’il donne du rite, l’apologiste ne dit pas que le président prie, mais « qu’il prend le pain et le vin et qu’il loue Dieu, puis lui rend grâces ». Apol., lxv, 3. Il y a des prières, mais elles eucharistient l’aiment et l’offrent à Dieu. Apol., lxvi, 2 ; lxv, 5 ; lxvii, 5.

Wieland croit pouvoir s’appuyer sur Apol., xiii. On ne peut discuter ce texte sans le citer. « Quel homme sensé ne le reconnaîtrait : ils ne sont pas des athées ceux qui adorent le Créateur de l’univers. Sans doute, nous déclarons comme on nous l’a enseigné qu’il n’a besoin ni de sang, ni de ibations, ni d’encens. Mais, en tout ce que nous mangeons, nous le louons, autant qu’il est en notre pouvoir, par des paroles de prière et d’action de grâces, pour le bienfait de la création pour tout ce qui aide à garder une bonne santé, pour les propriétés des êtres divers et les vicissitudes des saisons, et en raison de la foi que nous avons en lui, nous le prions afin de devenir immortels. On nous a en effet appris que cette seule manière de l’honorer est digne de lui, à savoir de ne pas détruire par le feu ce qui a été créé par lui pour notre nourriture, mais de nous l’offrir pour nos besoins et ceux des pauvres et, l'âme reconnaissante, de le célébrer par des cérémonies spirituelles et des hymnes. »

Wieland fait observer qu’ici Dieu est représenté comme n’ayant besoin d’aucun sacrifice proprement dit : les chrétiens ne lui offrent donc que des « prières », des « actions de grâces », « des louanges », « leur foi et leurs supp ications ». Pas d’immolation rituelle destructive de ses dons. Pour l’honorer, on les distribue aux pauvres et on en fait bon usage avec recon naissance. Donc, il n’y a pour les chrétiens que des sacrifices de prières.

Peut-être y a-t-il lieu de faire à cette argumentation une réponse péremptoire. Le texte en question parle, non de l’eucharistie, mais des repas ordinaires et des prières que les chrétiens font â leur occasion. Lamiroy, op. cit., p. 27 sq. En fait la plupart des historiens renoncent à se servir de ce chapitre pour découvrir la doctrine de Justin sur l’eucharistie. D’abord il n’est parlé ici ni du pain ni de la coupe. Or, dès que Justin fait mention de l’eucharistie, ces deux mots apparaisI sent. D’autre part, les dons pour lesquels le chrétien ' remercie sont d’ordre purement naturel, ce sont des I faveurs qui toutes intéressent le corps et l’existence présente : « création, santé, propriétés des êtres, vicissi| tudes des saisons. » Tout autre, on s’en souvient, est l'énumération des bienfaits pour lesque s le président rend grâces en faisant l’eucharistie. Sans doute la création n’est pas exclue, mais il est parlé de la délivrance du péché, de la victoire sur les mauvais esprits. Dial., xli, 1. Tous les anciens témoins de la liturgie sont d’accord avec Justin pour l’affirmer. Enfin, il est à observer qu’avant de faire connaître l’assemblée dominicale, l’apologiste écrit, Apol., lxvii, 2 : « 'Ettî uàaî te oïç TrpciCT9£p6 ; i.s8a, dans tout ce que nous offrons ou dans tout ce que nous mangeons, nous bénissons le Créateur par son Fils, Jésus-Christ, et par l’Esprit-Saint. » Ces mots ne peuvent viser l’eucharistie, puisqu’ils précèdent immédiatement la description de l’assemblée chrétienne. C’est donc aux repas ordinaires qu’ici fait allusion saint Justin. Or, il se sert des mêmes expressions au c. xiii : « 'Ecp’ol ;  ; 7rpoaçep6ji.s6a, dans ce que nous prenons, nous bénissons le Créateur par son Fils Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. » Puisqu’il y a identité de formules, on peut conclure que la circonstance signalée est la même. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un repas ordinaire. Toute l’argumentation de Wieland s'évanouit.

Au contraire, certains critiques ou historiens ont pensé que le c. xiii s’applique non à des repas ordinaires, mais à l’eucharistie. Récemment Thibaut, op. cit., p. 40 sq., a soutenu cette opinion. Elle paraît peu probable. Même si on l’admet, il n’est pas nécessaire de conclure que saint Justin n’admet que des sacrifices de prières. Qu’est-il affirmé en effet ? Que Dieu n’a besoin ni de sang, ni de libations, ni d’encens, en d’autres termes qu’il ne veut ni des sacrifices des païens, ni de ceux des Juifs. Que si ensuite Justin n’indique comme moyen d’honorer le Très-Haut que des prières et des vertus, son silence sur le pain et la coupe ne pourrait pas être tenu pour une négation. Sans doute, il affirme que, pour honorer Dieu, il suffit de s v offiir à soi-même ou de présenter aux pauvres les créatures de Dieu. Cette remarque n’oblige nullement à croire que seuls existent des sacrifices de prièi es. Conclusion : ou bien il n’est pas parlé ici du pain et de la coupe eucharistiques, mais de repas ordinaires ; 'il en est ainsi, on ne saurait dégager de ce texte aucune preuve contre le caractère sacrificiel des éléments eucharistiques. Ou bien on croit que saint Justin désigne ici le pain et la coupe de l’assemblée chrétienne ; mais il estime quee chrétien se Voffre pour la mettre à profit et qu’ainsi en utilisant le don de Dieu il l’en remercie. Il y aurait donc à côté de la p : ièie une action de grâces. Si on ne peut conclure de cette seule affirmation que l’eucharistie est un sacrifice, on ne saurait s’en servir pour démontrer le contraire.

(') Quand le président a terminé l’eucharistie, tout le peuple présent pousse l’exclamation : Amen. Apol., lxv, 3 ; cf. lxviii, 5. — Il n’est nu’lement dit que cet Amen soit nécessaire pour la validité des actes accom-