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MESSE AU DEUXIÈNE SIÈCLE : SAINT JUSTIN


litude entre l’eucharistie et les mystères de Mithra, où, écrit saint Justin, « on présente du pain et une coupe d’eau ». lxvi, 4. Pour qu’existe entre les deux lites la ressemblance dont il est parlé, il faut donc admettre que l’eucharistie elle aussi se compose de pain et d’eau. Plus tard des mains chrétiennes auraient ajouté le mot viii, pour harmoniser les affirmations de V Apologie avec l’usage général des chrétiens. Il faut donc lire : On apporte à celui qui préside du pain et une coupe d’eau ; il y a lieu de supposer que, dans les deux autres endroits de l’Apologie où le vin est nommé, il y a eu interpolation.

A cet argument ont été opposées de solides réponses. Kpâfxa pouvait désigner non un mélange d’eau et de viii, mais seulement ce dernier élément, du moins dans la langue du peuple : tel est le sens en grec moderne vulgaire -du mot xpocaL Saint Justin dirait donc qu’on apporte du « pain, de l’eau et du vin ». Batifîol, op. cit., p. 7, n. 2. Quant à la comparaison faite par l’apologiste entre l’eucharistie chrétienne et l’initiation mithriaque, une similitude générale permet de lajustifier.il n’est pas nécessaire que tous les détails soient identiques. Même si le calice de l’eucharistie contient du vin et celui de la cérémonie mithriaque de l’eau, saint Justin peut écrire que les démons contrefont le rite chrétien, puisqu’il y a dans les deux cas une coupe avec une boisson et des formules prononcées sur les éléments.

Harnack tire un dernier argument du fait que Justin voit une prophétie de l’eucharistie dans un texte d’Isaïe, xxxiii, 16 : « Du pain leur sera donné et son eau sera fidèle » (d’après les Septante). Mais la similitude absolue de matière n’est pas indispensable pour que l’apologiste puisse rapprocher la promesse d’Isaïe et la réalité eucharistique. Il suffit qu’il y ait dans le rite chrétien deux éléments, l’un sec et l’autre humide. Il n’est pas nécessaire que ce dernier soit de l’eau. Justin ne tient pas compte de la matière. D’ailleurs à cet endroit même ce qu’il oppose à l’eau d’Isaïe, c’est la coupe, sans se préoccuper de son contenu. Ehrhard, Die allchristliche Literatur und ihre Erforschung, Fribourg-en-B., 1902, t. i, p. 238. — Il n’y a donc aucune raison de supprimer le mot vin dans les endroits où il se trouve. A la thèse de Harnack on a d’ailleurs opposé cet argument : Justin écrit à Rome, au iie siècle ; or, nous savons par les fresques des catacombes que le vin était alors en cette ville un élément de l’eucharistie. Wilpert, Fractio panis, Paris, 1896, p. 76.

S’il n’y a pas lieu d’exclure cet élément, il convient de noter la présence de l’eau. Il est à supposer que l’usage du mélange remonte à l’origine du christianisme. Fortescue, op. cit., p. 404. Rien de plus naturel : la coutume était répandue dans le monde antique ; les Juifs la suivaient. Le mélange devait se faire pendant la manducation de l’agneau pascal. La coupe eucharistique présentée par Jésus à la cène avait donc contenu du vin et de l’eau. Les chrétiens imitèrent le Maître.

h) Celui gui préside adresse des prières semblable-, ment et des actions de grâces autant qu’il a de force et le peuple repond. Amen. Apol., lxvii, 5. Celui qui préside prend le pain et la coupe, exprime louange et gloire au Père de l’uniuers par le nom du Fils et de l’Esprit-Saint, et il fait une action de grâces abondamment parce que Dieu a daigné nous accorder ces dons. Apol., lxv, 3.

Le rôle du président est souligné avec précision. C’est lui seul qui dit les prières et l’action de grâces, qui parle au nom de tous. L’oraison n’est plus collective comme celle qui a précédé. Cette fois le peuple, le Xaoç se tait, il n’a la parole que pour dire à la fin Amen, en d’autres termes pour ratifier ce qui a été fait au nom des frères. On est en face de l’action

sainte entre toutes, de la prière qui est au centre de la liturgie, réservée au président de l’assemblée et qu’on appellera bientôt l’anaphore.

Elle comprend deux opérations distinctes : il y a des prières et des actions de grâces ou eucharisties. Justin l’allirme en termes exprès dans la description du rite dominical. Il distingue les deux opérations dans le récit parallèle de la liturgie qui suit le baptême. Deux fois encore, dans le Dialogue, il mentionne les prières et les eucharisties, cxvii, 2, 3.

Ces actes ne se font pas comme en d’autres circonstances où l’on peut prier ou remercier. Il y a ici une corrélation entre la présence des éléments et les paroles prononcées par le président : « Il prend le pain et la coupe, exprime louange et gloire au Père… fait action de grâces pour ces dons. » Apol., lxv, 3. C’est surtout ce dernier acte, l’eucharistie, qui est mis en rapport avec les éléments matériels. De nombreux passages le montrent. Il est parlé des « objets eucharisties', Apol., lxv, 5 ; lxvii, 5 ; « du pain de l’eucharistie » ; « de l’eucharistie du pain et de la coupe », DiaL, xli, 1, 3 ; du « calice de l’eucharistie », DiaL, xli, 3 ; de « l’eucharistie du pain et de la coupe », DiaL, cxvii 1 ; de « l’aliment qui s’appelle eucharistie ». Apol. lxvi, 1.

Cet acte, le président l’accomplit « autant qu’il a de force ». Apol., lxvii, 5. Ces mots semblent prouver que l’officiant a le devoir de « faire de son mieux » et partant le droit de choisir les paroles qui lui semblent les plus expressives, les plus puissantes, pour exprimer les sentiments de l’assemblée chrétienne et les siens. Une faculté d’improviser les formules lui est donc reconnue. Évidemment, il ne peut choisir que des mots qui répondent au but poursuivi. Il y a un thème traditionnel, les mots seuls varient. Si les présidents adressaient des centaines de fois cette prière, ils étaient inévitablement amenés à répéter les mêmes formules, dont un grand nombre devait leur être suggéré par l'Écriture.

Le thème de la prière ne nous est signalé qu’en deux mots : Le président « adresse louange et gloire au Père de l’univers ». Apol., lxv, 3. Le renseignement est maigre, mais il est très clair. Il établit une différence radicale entre cette prière et la supplication collective de l’assemblée où tous ont prié pour tous. Cette fois on s’adresse à Dieu uniquement pour le louer, pour le glorifier. — A cet hommage d’adoration, se joint l’action de grâces. Elle est abondante, c’est-à-dire assez longue. Justin nous apprend que le président rendait grâces à Dieu pour le don du pain et de la coupe, Apol., lxv, et aussi « de ce qu’il a créé le monde, avec tout ce qu’il contient en vue de l’homme, et de ce qu’il nous a délivrés du péché dans lequel nous étions nés, et de ce qu’il a détruit par un anéantissement absolu les principes et les puissances (malfaisantes) par celui qui a été fait passible selon sa volonté ». DiaL, xli, 2. Si on admet que DiaL xiii doit lui aussi s’entendre de l’eucharistie, à l'énumération des dons pour lesquels on rend grâces doivent s’ajouter la vie et la santé, les vicissitudes des saisons. Mais, comme on le constatera, il est au moins fort douteux que ce morceau s’applique à l’eucharistie.

Cette action de grâces du président et de l’assemblée est une anamnèse. L’eucharistie s’opère « en souvenir du Christ et de la cène », A ; ol., lxvi, 3, « en mémoire de la passion qu’il a endurée afin de nous délivrer du péché ». DiaL, xli, 1 ; cxvii, 3. On « fait en rendant grâces » « le pain en souvenir de son incarnation pour ceux qui croient en lui et pour qui il a souffert, la coupe en souvenir de son sang. » DiaL, lxx, 4. Dorsch, Der Opfercharakter der Eucharistie einst und jetzl, et quelques autres ont essayé de soutenir que le mot faire sigiii fiait ici sacrifier. Il