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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT JUSTIN


toute' l'Église ». viii, 1. Des historiens ont conclu que l'évoque de Smyrne avait fait alors le mémento qui avait sa place dans la célébration eucharistique. Wilpert, op. cit., p. 52.

La lettre reproduit aussi la prière de Polycarpe avant sa mort. Évidemment, le texte est adapté à la circonstance. Néanmoins il peut donner une idée de ce qu'était la prière faite tant de fois pendant l’offrande eucharistique par le vieil évêque de Smyrne. Ce qui permet de le croire, c’est qu’on relève un assez grand nombre de mots appartenant au vocabulaire liturgique du sacrifice : « calice », « victime », « grand prêtre », joints à une doxologie et à un Amen final. « Seigneur, Dieu Tout-Puissant, Père de JésusChrist, ton fils bien aimé et béni, qui nous apprit à te connaître, Dieu des Anges, des Puissances et de toute la création, Dieu de toutes les familles de justes qui vivent en ta présence, je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d'être compté au nombre de tes martyrs et d’avoir part avec eux au calice de Jésus-Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l'âme et du corps dans l’incorruptibilité de l’Esprit-Saint. Puissé-je aujourd’hui être admis avec eux en ta présence, comme une victime grasse et agréable, de même que le sort que tu m’avais préparé, que tu m’avais fait voir d’avance, tu le réalises maintenant, Dieu de vérité, Dieu exempt de mensonge. Pour cette grâce et pour toutes choses, je te loue, je te bénis, je te glorifie par l'éternel grand prêtre du ciel Jésus-Christ, ton fils bien-aimé. Par lui, gloire soit à toi, avec lui et le Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles à venir. Amen. » xiv.

Des historiens d'écoles très différentes ont remarqué les réminiscences liturgiques de cette suprême oraison. Lebreton, La prière dans l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 1924, p. 17, 27-28. Lietzmann, op. cit., p. 257, croit voir en ce morceau une légère transformation de la prière eucharistique de Smyrne. Peut-être le mot le plus juste a-t-il élé écrit par le R. P. Delehaye : « Dans cette prière, on entend un écho de textes liturgiques connus. Que le martyr ait mêlé à son langage des formules consacrées, rien de plus naturel. Que le narrateur essayant de rappoiter ces paroles y ait joint des expressions qu’il retrouvait dans sa mémoire ou ait subi consciemment l’influence d’une rédaction reçue, c’est une hypothèse trop vraisemblable pour qu’il soit permis de n’en point tenir compte. » Les passions de martyrs, Bruxelles, 1921, p. 10.

III. Seconde moitié du deuxième siècle. — A dessein est étudié d’abord le témoignage de saint Justin, bien qu’il ne soit pas le p ! us ancien apologiste. Mais, comme on le verra, son texte permet de comprendre certaines affirmations d’autres avocats de la cause chrétienne, sur le sacrifice en usage dans la nouvelle religion.

1° Saint Justin (/ re Apologie entre 150 et 155 ; Dialogue avec Tryphon, 155-161). — On l’a fait justement observer : la déposition de Justin est du plus haut prix. Il veut tout dire au public, afin de montrer que tout dans le culte chrétien est innocent. Ce qu’il fait connaître, ce n’est donc pas une conception personnelle ou un usage privé. L’apologiste expose au grand jour les rites acceptés par tous et les doctrines admises par tous. Le public est mis en face des préceptes enseignés à Justin et à ses frères, de la tradition qu’ils tiennent de leurs ancêtres dans la foi. Ces usages et ces doctrines sont reçus partout. Saint Justin est originaire de Palestine, il s’est converti à Éphèse, il vit à Rome : son langage ne laisse pas entendre qu’il y ait des différences entre les coutumes des divers pays où il a vécu. Les historiens des rites

chrétiens estiment donc qu’il fait connaître ce qui dans cette liturgie était de son temps commun aux diverses Églises locales de la chrétienté (Batiffol, Baumstark, Watterich, Drews, Bardy.)

1. Les textes.

On les trouvera réunis et traduits dans P. Batiffol, L’eucharistie, p. 7 sq. - — Us se rencontrent dans la 1° Apologie, c. lxv (description de la cérémonie eucharistique qui suit le baptême) ; c. lxvi (définition de l’eucharistie) ; c. lxvii (la cérémonie eucharistique de chaque dimanche) ; et aussi dans le Dialogue, c. xli (figures anciennes du sacrifice eucharistique ; le sacrifice eucharistique prédit par Malachie) ; c. lxx (le sacrifice prédit par Isaïe, xxxiii, 13-19) ; c. cxvii (le seul sacrifice agréable à Dieu).

2. Le rite.

Saint Justin parle deux fois de la célébration de l’eucharistie. Il relate d’abord comment elle se fait après le baptême, lxv-lxvi. Puis il décrit la manière dont elle s’opère chaque dimanche à l’assemblée des chrétiens, lxvii, 3-7. Les deux descriptions concordent pour ce qui est des rites proprement eucharistiques. Mais les cérémonies qui ont lieu au début de la réunion dominicale ne se font pas après la collation du baptême ; elles ont été remplacées par tout ce qui s’est passé pendant l’administration de ce sacrement.

a) Le jour dit du soleil, tous ceux (des chrétiens) qui habitent les villes ou la campagne… se réunissent en un même lieu. Apol., lxvii, 3. — L’assemblée a lieu régulièrement chaque dimanche. Écrivant à des païens, l’apologiste désigne ce jour sous son nom païen. On l’a choisi, affirme-t-il, parce que c’est le premier de la création et aussi celui où le Christ ressuscita. L’heure n’est pas déterminée. — L’eucharistie pouvait être célébrée en dehors de ce jour, elle l'était par exemple après la collation du baptême. Apol., lxv. Ce qui caractérise la réunion du dimanche, c’est que tous les chrétiens y assistent. Saint Justin en fait deux fois la remarque, lxvii, 3, 7.

On notera le vague de la formule employée pour dire aux païens le lieu de la réunion : « Les fidèles se réunissent en un même lieu ». « On conduit le baptisé là où les frères sont assemblés. » Rien de plus naturel.

b) On lit les Mémoires des apôtres et les écrits des prophètes autant qu’il y a lieu. — Justin nous apprend que le lecteur est. différent de la personne qui fait l’homélie. Est-ce un membre du clergé qui est spécialement chargé de cet office ? Le texte est trop vague pour qu’on puisse lépondre avec certitude. Les Mémoires des apôtres sont l'Évangile : Justin lui-même le dit, lxvi, 3. Ainsi sont lus à l’assemblée des morceaux de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ancien et le Nouveau Testament. Les mots autant qu’il y a lieu peuvent signifier : on lit aussi longtemps que c’est possible — ou bien : dans la mesure où il le faut pour que le prédicateur ait un texte à commenter — ou enfin : d’après des règles alors reçues et que saint Justin ne juge pas utile de faire connaître. Cet usage semble bien venir de la Synagogue. Là on lisait à l’office du sabbat la Loi et les Prophètes. Baumstark, Ecclesia or-ans, Von dem geschichtlichen Werden der Liturgie, Fribourgen-B., 1923, p. 15 ; Lietzmann, op. cit., p. 258.

c) Le lecteur s'étant arrêté, celui qui préside… — Saint Justin distingue donc l’assemblée des frères et leur chef. C’est pour lui confier ici le soin de faire l’homélie ; plus tard de nouveau il sera nommé comme recevant le pain et la coupe, lxv, 3 ; faisant la prière et l’action de grâces auxquelles tous répondent par un Amen, lxv, 3, 5 ; lxvii, 5. C’est encore lui qui reçoit les collectes pour les pauvres et les distribue, lxvii, 6. Il serait difficile d’insister davantage sur la distinction entre le peuple et la hiérarchie. Il est clair que ce « président » est l'évêque ou, comme disait