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MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT IGNACE


l’assemblée, pour participer au pain de Dieu, s’harmonisent avec cet enseignement sur le caractère olliciel du rile : Non seulement, pour prendre part à une eucharistie valide et agréée de Dieu, les chrétiens doivent être unis, Eph., xx, 2 et même soumis, Simjrn., viii, 1-2, à l'évêque et au presbytérium, Ignace veut encore que « chacun en particulier et tous ensemble soient soutenus par la grâce, animés par une même foi et ne fassent qu’un en Jésus-Christ ». Eph'., xx, 2.

Reste une dernière question : cette eucharistie est-elle un sacrifice ? Saint Ignace ne l’affirme nulle part en termes formels. Son silence, fût-il absolu, ne serait pas une négation ; rien ne prouve que, si cette conception était la sienne, il aurait été obligé de le faire savoir.

Ne pjut-on pas d’ailleurs soutenir que son langage laisse voir sa foi au ca"actère sacrificiel de l’eucharistie ? Puisqu’elle est appelée par Ignace le pain de Dieu, Eph., v, 2 ; Rom., vii, 3, on a rappelé que ces mots désignent dans l’Ancien Testament une oblation rituelle proprement dite. « Les prêtres offrent à Jahvé des sacrifices consumés par le feu, le pain de leur Dieu. » Lev., xxr, 6, etc. Goetz, Die heutige Abendmahlsfrage in ihrer geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1907, p. 299. Mais force est de reconnaître que l’expression doit plutôt s’expliquer par les affirmations de Jésus sur le pain de vie dans le IVe évangile, écrit bien plus voisin des lettres de saint Ignace, et qui présente avec elles tant de traits communs.

Avec plus d'à propos, on voit « un indice du caractère sacrificiel de l’eucharistie » dans le fait qu’elle est réservée à l'évêque et au presbytérium. Qu’on se rappelle en effet la comparaison faite par Clément de Rome entre les ministres de la nouvelle liturgie et le grand pontife, les prêtres, les lévites de l’ancienne, I. Cor., xl, chargés d’offrir les antiques sacrifices. Pour l'évêque de Rome, nul doute, le culte nouveau est réservé aux membres de la hiérarchie, parce qu’il remplace les oblations juives. Si donc à la même époque Ignace attribue à l'évêque ou à son délégué le droit exclusif de présider l’eucharistie, n’est-ce pas parce que lui aussi voit en elle un sacrifice ?

Une expression qu’il emploie à plusieurs reprises tend à le faire croire. Il parle non seulement du temple, Magn., vii, 2, mais aussi du 6uCTi.aaTrjpt.ov, c’est-à-dire soit de l’autel, soit du sanctuaire où s’offrent les sacrifices. C’est ainsi qu’il écrit : « Ayez donc soin de ne participer qu'à une seule eucharistie, il n’y a en effet qu’une seule chair de NotreSeigneur, une seule coupe pour nous dans son sang, un seul autel, comme il n’y a qu’un seul évêque. » Philad., iv. Ici, nul doute, il s’agit de l’eucharistie proprement dite, ce mot n’est pas pris au sens figuré. De même, la chair, la coupe, l'évêque, rien de ce qui est mis en corrélation avec le GuCTiaCTTrjpiov, avec l’autel ou le sanctuaire, ne s’entend d’une manière purement spirituelle. Donc, cet autel, ce sanctuaire, c’est bien aussi ce que les contemporains entendent par ces mots, c’est l’endroit où est offert à Dieu une victime, fgnace s’exprime en homme qui croit à l’existence d’un sacrifice chrétien.

A cet argument on a opposé les textes où le même mot est employé par fgnace au sens figuré : « Quiconque est à l’intérieur du sanctuaire, est pur, et quiconque est en dehors, est impur », ce qui veut dire : « quiconque agit en dehors de l'évêque, des presbytres et des diacres n’a pas une conscience pure. » Trall., vu, 2. Cette objection est dépourvue de valeur. Car dans ce dernier passage saint Ignace dit lui-même qu’il emploie le mot Ôuctioccttyjpiov au sens spirituel, il explique la figure. Tout autre est le sens dans le mor ceau précédemment cité. Là il est écrit expressément // n’y a qu’un évêque. Donc, là, au même endroit, . les mots : il n’y a qu’un Ojaiaa-r/jpiov ne veulent pas dire de nouveau : il n’y a qu’un évêque.

On allègue un autre texte où le même mot serait pris au sens figuré : « S'éloigner de l’autel, c’est se priver du pain de Dieu. » Eph., v, 2. On veut qu'à cet endroit la locution discutée signifie : « abandonner la vraie doctrine ». Ce n’est nullement certain. Au contraire, le mot peut s’entendre fort bien au senspropre. Car dans le même développement, il est parlé des orgueilleux qui ne viennent pas à l’assemblée, Eph., v, 2, en d’autres termes de ceux qui s'éloignent de l’autel.

Enfin, on invoque un troisième passage : « Accourez tous vous réunir dans le même temple de Dieu, au pied du même autel, c’est-à-dire en Jésus-Christ un. » Magn., vii, 2. Mais, ici encore, aucune méprise n’est possible. L’auteur dit lui-même qu’il parle au sens ligure ; il invite à aller « comme vers l’autel unique^ vers l’unique Jésus-Christ », wç èrcl êv 0'jcr'.aaTr)piov, èm sva Tt ; ctoûv Xpicrôv.

Au contraire, dans le premier passage que nous avons cité, tout dans la phrase entière oblige à penser que le mot autel n’est pas à interpréter d’une manièrespirituelle. Comme on l’a fort bien dit : De ce qu’un auteur emploie une ou plusieurs fois une expression au sens métaphorique, rien n’oblige à penser, sans examiner le contexte, qu’il donne toujours à ce mot une signification spirituelle. Quiconque a lu les lettres de saint Ignace sait que précisément il déconcerte le lecteur en attribuant ainsi à un même mot, tantôt un sens profane, tantôt des acceptions figurées, qui parfois sont tout à fait inattendues.

Admettons même que l’emploi par saint Ignace du terme 0uai.aaT7)pt.ov ne prouve pas d’une manière rigoureuse que l’auteur voit dans l’eucharistie un sacrifice, du moins ce rapprochement qui est fait par lui entre l’autel et l’eucharistie montre que pour lui les deux concepts ne sont pas sans connexion. Si l'Église unie à l'évêque peut être appe'ée un auteL Eph., v, 2 ; Philad., iv, n’est-ce pas parce qu’on y offre "un sacrifice ? Brinktrine, op. cit., p. 82-84. Wieland, op. cit., p. 51, a voulu établir le contraire, fl estime, que d’après Ignace, le chrétien à la réunion eucharistique n’offre à Dieu que des prières. L T ne preuve, c’est le texte d’après lequel l’oraison de l'évêque et de toute l'Église consacre le pain de Dieu, et permet de penser que l’assemblée devient un sanctuaire. Eph., v, 2-3. Admettons que tel est le sens de ce passage. Encore faudrait-il démontrer que pour fgnace la prière liturgique en changeant le pain au corps du Christ n’opère pas un sacrifice, et c’est ce que le texte ne permet pas d'établir.

Un second argument du même auteur n’est pas plus probant. Il est dit que dans les assemblées « on rend grâces et on loue Dieu, et qu’ainsi on anéantit les forces de Satan ». Eph., xiii, 1. Si, comme nous le pensons, il est ici parlé de l’eucharistie — ce n’est pas admis par tous les interprètes — de ce que l’auteur montre en elle un acte d’adoration ou de reconnaissance et ne signale pas ses autres caractères, il est impossible de conclure qu’elle n’en a pas. D’ailleurs il y a des sacrifices d’actions de grâces et de louanges.

Sans doute, après avoir dit : « Ne faites rien à l'église sans l'évêque », Ignace ajoute « qu’il y ait une seule prière, une seule supplication ». Magn., vii, 1. Et Wieland de raisonner ainsi : L’auteur assimile l’action liturgique à une prière : donc l’action liturgique, c’est pour lui la prière. Mais ne pourrait-on pas dire tout aussi bien : pour Ignace, l’action se confond avec la prière, donc pour lui, la prière est une action litur-