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MARONITE ÉGLISE), PATRIARCHES, XYIIJe SIÈCLE


et à lui donner un successeur. Ils l’avaient fait sans compter avec l’intervention du pape. Pourtant, ils savaient que la ratification de la nouvelle élection par Rome était nécessaire. Ils avaient cru, peut-être, mieux réussir en mettant le Saint-Siège devant un fait accompli. Mais les événements montrèrent, dans la suite, l’erreur de leur calcul. Ils confièrent à leur doyen, Georges Benjamin, archevêque d’Ehden, et l’un des principaux adversaires du patriarche déposé, la mission de porter toute l’affaire à Rome. Benjamin s’embarqua vers la fin de 1710, accompagné d’un moine de l’ordre de Saint-Antoine. Le Saint-Siège, péniblement surpris de la déposition infligée, sans ses ordres, à un patriarche, de la gravité des accusations dirigées contre ce dernier et de la procédure employée au mépris des règles canoniques, manda au custode du Saint-S’épulcre, Fr. Laurent de Saint-Laurent, d’aller faire une enquête sur place. Voir la lettre que Clément XI écrivit le 31 janvier 1711 à l’épiscopat, au clergé et aux notables de la nation maronite, dans Anaïssi, Bull., p. 197-198.

.Muni du mandat pontifical et des instructions de la Propagande, le P. Laurent, après s’être concerté avec le consul de France, Estelle, se rendit au couvent des franciscains, situé à Harisa, dans le Kasrawân. Sur ces entrefaites, une lettre arrivait— de l’archevêque d’Ehden, qui, de Rome, exhortait les évêques à bien recevoir l’envoyé du Saint-Siège. Cette lettre ne fut pas inutile. Le P. Laurent put aisément poursuivre son voyage jusqu’à Raïfoun, résidence del’anti-patriarche. Il montra à celui-ci les instructions de Rome. Les évêques, voyant que l’ordre du pape était, en vertu du principe : spoliatus ante omnia restituendus est, de rétablir Jacques sur le siège patriarcal, ne pouvaient guère échapper à l’application de cette mesure. Ils imaginèrent pourtant un moyen de mettre d’accord leur amour-propre et le devoir de l’obéissance : obliger Mgr Jacques à donner sa démission. On le tira donc de sa prison, et, le 13 août 1711, il était réintégré dans la possession de sa dignité. Mais, séance tenante, il offrit sa démission. Le lendemain, à Harisa, il renouvela cet acte devant le délégué pontifical qui le sanctionna de son acceptation. De cette manière, la perte de l’office ne paraissait plus être la suite d’une déposition irrégulière, mais bien plutôt d’une démission acceptée par un représentant du pape. Les droits du Saint-Siège se trouvaient donc sauvegardés. Aussi la démission fut-elle suivie d’une nouvelle élection de Joseph Mobarak. Une telle solution ne semblait pas opposée aux instructions de la Propagande, et c’est ce qui nous explique la conduite du P. Laurent. Cependant, contre cette démission forcée, Jacques’Aouad introduisit un recours en cour de Rome. Décret de la Propagande du 8 mai 1713, dans Anaïssi, Collectio, p. 138-139 ; relation de Qaraali, ibid., p. 185 ; J. Debs, op. cit., t. viii, p. 512-513 ; Ristelhueber, op. cit., p. 250-251.

Ayant terminé son enquête, le P. Laurent rédigea un rapport et l’envoya à Rome avec le dossier. En attendant la décision du Saint-Siège, il fit un voyage à Alep, puis en Egypte. Au mois de février 1712, il débarquait de nouveau à Seïde (Sidon). Dans l’intervalle, Poullard était arrivé, en novembre 1711, à cette dernière ville pour succéder à Estelle. Or, Poullard, l’ancien vice-consul de Tripoli, estimait particulièrement Jacques’Aouad. L’affaire allait changer de face, et cela d’autant plus que l’antipatriarche s’était aliéné les sympathies de certains évêques. Le prélat déposé fut donc conduit à Seïde et placé au couvent des franciscains, sous la protection du consul de France. Ristelhueber, p. 252-253.

A Rome, Jacques’Aouad avait en l’archevêque d’Ehden un adversaire habile et redoutable. Mais ce

dernier avait compté sans l’intervention d’un jeune parent du patriarche, J.-S. Assémani dont le prestige commençait déjà à se faire sentir dans les milieux romains. L’affaire suivait son cours à la Congrégation de la Propagande : on interrogeait les témoins venus à Rome ; on examinait les documents ; on étudiait le rapport du délégué pontifical. Celui-ci reçut, à titre privé, quelques nouvelles de bon augure pour Jacques’Aouad. Mais ces nouvelles ne tardèrent pas à s’ébruiter. Et alors, l’antipatriarche et ses partisans redoublèrent d’activité et envoyèrent lettre sur lettre à Rome comme à Versailles. Ristelhueber, op. cit., p. 251 sq. ; Anaïssi, Collectio, p. 139-140 ; De Martinis, Jus pontificium, t. vii, p. 95. Le règlement de l’affaire se trouvait entre les mains des cardinaux de la Propagande. Après avoir tenu plusieurs séances, ces derniers se réunirent le 20 mars 1713 pour prononcer le jugement définitif. Ils déclarèrent injuste et illégale la sentence rendue contre le patriarche Jacques.

La Congrégation renvoya à plus tard l’examen d’une autre question, celle de la démission du patriarche. Elle la trancha le 8 mai de la même année, en déclarant la démission de Mgr Jacques nulle et de nul effet, et en rétablissant celui-ci dans la possession de son siège patriarcal. Voir le texte de ces deux décisions dans Anaïssi. Collectio, p. 137-139.

A peine les décisions de la Propagande étaient-elles promulguées qu’un mandataire de l’antipatriarche arrivait à Rome. De nouveaux écrits versés au dossier furent examinés par la Congrégation à la séance du 19 juin 1713. Us ne produisirent aucun effet, si ce n’est de faire confirmer par bref apostolique les décisions précédentes. Anaïssi, ibid., p. 139-140 ; De Martinis, op. cit., t. vii, p. 95.

Le document pontifical établit le droit sur cette question pour l’Église maronite : les électeurs du patriarche ne peuvent pas défaire ce qu’ils ont une fois fait.

A la suite de son échec, l’archevêque d’Ehden se tourna vers la vie religieuse. Il se fit jésuite, et, comme tel, rendit à sa nation d’appréciables services. C’est le témoignage que lui rendent les Pères du concile du Liban, tenu en 1736. Part. IV, c. vi, n. 6, ix. Le personnage qui assistait à ce concile en qualité d’ablégat apostolique était Assémani lui-même, qui avait plaidé contre Georges Benjamin la cause du patriarche’Aouad.

Les documents pontificaux, promulgués à Rome, n’arrivèrent au Liban qu’après un assez long délai. Poullard les reçut, en effet, au mois d’août 1713 ; il se mit aussitôt à la besogne. Il conféra à ce sujet avec le custode ; et, le 25 du même mois, il écrivit aux cheikhs de’Ajaltoun et de Ghosta, dans le Kasrawân, une lettre pressante et pleine d’onction ; puis, il adressa à ses collègues d’Alep et de Tripoli un résumé des instructions qu’il venait de recevoir. En même temps, il réussissait à aplanir les difficultés qui pouvaient être soulevées par certains missionnaires. « Jugeant le terrain suffisamment préparé, il se décida à frapper un grand coup pour couronner son œuvre. Pendant près de deux ans, Mgr Jacques était resté à Seïde sous sa sauvegarde : il était temps qu’il se rendît à.Cannobin reprendre possession du siège patriarcal. » Ristelhueber, op. cit., p. 257-258. Poullard le fit conduire à Qannoûbîn ; puis, accompagné d’une suite imposante, il entreprit un voyage dans la montagne pour régler définitivement toutes les questions relatives à cette affaire. Ibid., p. 258-259. « Les décrets du Saint-Siège furent publiés ; les évêques et les cheikhs signèrent une lettre d’obéissance au pape ; ils burent à sa santé et à celle du patriarche ; les Français de la suite du consul chantèrent eux-mêmes l’Exaudial dans les églises libanaises et tout le monde cria : « Vive le Sultan de France ! > Ristelhueber, p. 259.

C’est dans les premiers jours de janvier 1714 que