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MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : LA DIDACHÈ


dans ton amour. » x, 5. Et Jésus, cette fois encore dans la même prière eucharistique de saint Jean, dit : « Que mes disciples soient parfaitement uns, et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé, » xvii, 23.

La même prière de la Didachè s’achève par cette dernière supplication : < Et rassemble-la des quatre vents, cette (Église) sanctifiée dans ton royaume que tu lui as préparé. » Cette conclusion est toute naturelle. Après avoir demandé pour l’Eglise les grâces dont elle a besoin sur terre, les fidèles sollicitent l’union finale de ses membres dans le royaume. On sait que dans toutes les liturgies postérieures se trouve une anamnèse. Pour faire l’acte eucharistique, l’action de grâces en mémoire du Seigneur, on récapitule ses principaux mystères. Un grand nombre de liturgies, toutes celles d’Orient, mentionnent avec la passion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, l’attente du dernier avènement. D’autres rappellent l’ascension par laquelle le Christ est monté à la droite du Père pour préparer en son royaume une place à ses disciples. On peut donc être tenté de voir dans la Didæhè une ébauche de cette partie de l' anamnèse. Cette circonstance nous confirme dans la conviction que le rite ici décrit est bien une eucharistie et non un simp’e repas fraternel plus ou moins religieux.

Il est naturel que le vœu eschatologique de la Didachè ressemble aux déclarations du Christ sur le dernier avènement. On lit, Matth., xxiv, 31 : « Le Fils de l’homme enverra ses anges… et ils rassembleront ses élus des quatre vents. » Et le même évangéliste appelle l’endroit réservé aux justes à la fin des temps : « le royaume qui leur a été préparé dès l’origine du monde. » Matth., xxv, 34. Mais, même en cette partie des prières de la Didachè, on relève un nouveau trait de ressemblance avec la supplication eucharistique prononcée par Jésus à la dernière cène et conservée dans le IVe évangile. Il y est demandé que le Père « sanctifie » les disciples. xvti, 17. « Pour eux, dit encore Jésus, je me sanctifie, afin qu’eux aussi soient sanctifiés en vérité. » xvii, 19. Or, cette Église que les chrétiens de la Didachè demandent au Père de rassembler des quatre vents, ils l’appellent précisément la sanctifiée. Le mot fait sans doute allusion à sa pureté morale ; mais, si on le rapproche, et on a le droit de le faire, de la déclaration de Jésus, la phrase devient : « Rassemble dans ton royaume cette Église sanctifiée, parce que le Christ s’est offert pour elle en sacrifice. » On voit comme cette affirmation est à sa place au cours d’une cérémonie qui elle-même, d’après la Didachè, est « un sacrifice ».

A la fin du Pater, dans la Didachè, se trouve la doxologie qui suit la prière : « Rassemble-la des quatre vents du ciel… » Dans les deux endroits, on lit les mêmes mots : « Car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles. » Faut-il conclure que l’oraison dominicale avait sa place dans le rite relaté par la Didachè? C’est, sinon démontré, du moins vraisemblable. Lebreton, La prière dans l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 192-1, p. 14.

L’originalité des trois oraisons que fait dire la Didachè par les fidèles après qu’ils se sont rassasiés, apparaît dans un éclat saisissant, si on les compare, comme la fait Klein, aux bénédictions quotidiennes de la table jadis en usage chez les Juifs, telle qu’on les trouve dans le Talmud et qui remontent à une très haute antiquité.

L’action de grâces d’Israël pour remercier Dieu des aliments est la suivante : « Sois loué, ô Éternel, roi de l’univers qui nourris le monde par ta bonté, en toute grâce et miséricorde. Il donne le pain à toute

chair. Car sa miséricorde est éternelle. » La formule correspondante de la Didachè remercie le Maître Tout-Puissant d’avoir créé l’univers en l’honneur de son nom, de donner aux hommes nourriture et boisson, afin qu’ils rendent grâces, et enfin d’accorder aux fidèles un aliment et un breuvage spirituels, ainsi que la vie éternelle par son serviteur Jésus. » On le voit, les ressemblances verbales sont insignifiantes. Et entre les idées, quelles différences I La grandeur du bienfait matériel est mieux exprimée : pour les chrétiens, l’univers n’est pas seulement nourri, mais créé. Ils énoncent le motif dernier des largesses divines. Ils exaltent l’aliment spirituel du chrétien et rappellent qu’il leur a été donné par Jésus.

En second lieu, les Juifs remerciaient Dieu « pour le don d’un pays spacieux, exquis et magnifique, pour la sortie de l’Egypte et la délivrance de l’esclavage, pour l’alliance marquée dans leur chair, pour sa loi et ses commandements, pour la vie donnée par grâce et miséricorde. » On a essayé de rapprocher cette formule de la première partie de la prière d’action de grâces de la Didachè. Ou bien on ne découvre rien de semblable, ou bien on est obligé de conclure que les chrétiens venus du judaïsme ne se sont souvenus de leurs antiques prières que pour les transformer totalement. Israël remercie Dieu d’avoir invité ses aïeux à résider en Palestine, les fidèles rendent grâces au Père de ce qu’il fait habiter son nom dans leurs cœurs. Et ce don s’oppose encore à une autre faveur que célèbrent les juifs, celle de l’alliance divine marquée dans leur chair. A la Loi, aux commandements, sont substituées la gnose, la foi et l’immortalité.

Quant à la dernière prière, il est naturel d’admettre que les fidèles de la Didachè, juifs de la veille, ont eu la pensée de transformer une demande pour Jérusalem er une supplication pour l'Église. Mais les deux forr ules sont tout à fait différentes. « Prends pitié d’Israë. >, dit le juif. Le chrétien sait que Dieu l’a fait : aussi lui demande-t-il seulement de se souvenir de l'Église. Et il ne peut rien emprunter à son ancien langage : « Prends pitié, Éternel, notre Dieu, d’Israël ton peuple, de Jérusalem ta ville, de Sion séjour de ta souveraineté, de David ton oint et de sa maison et de son royaume, de ton grand et saint temple d’où ton nom est connu. Notre Dieu, notre père, notre pasteur, nourris-nous, soigne-nous, gardenous, libère-nous 1° C’est à peine si quelques mots peuvent être passés d’une prière dans l’autre, encore ont-ils pris un sens nouveau : Libère-nous, non plus du joug étranger, mais de tout mal. Ce qui est saint, ce n’est pas le temple, mais VÉglise. Le royaume auquel pense le chrétien n’est pas celui de David, mais celui que Dieu lui a préparé.

Si on souligne ces contrastes, si on se rappelle, au contraire, que la plupart des phrases, des mots de la Didachè font écho à des paroles évangéliques et en particulier au discours prononcé par Jésus à la dernière cène, d’après saint Jean, on est obligé de conclure que la nouveauté toute chrétienne des piières est indéniable : les conveitis se sont souvenus des formules anciennes pour les vider ou les dépasser ; à l’antique repas juif succède l’eucharistie chrétienne la plus authentique. Volker, op. cit., p. 106.

o. Les prières précédentes closes par une doxologie un peu plus longue, la Didachè porte ces mots : « Vienne la grâce et que ce monde passe 1 Hosanna au Dieu de David ! Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ! Si quelqu’un ne l’est pas, qu’il fasse pénitence. Maran atha. Amen. » x, 6.

La grâce dont on souhaite la venue pourrait consister dans les dons, la faveur de Dieu. Lietzmann, op. cit., p. 237, propose de voir dans ce mot X<xp'-Ç lln