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    1. MARONITE (ÉGLISE)##


MARONITE (ÉGLISE), PATRIARCHES, XVIIie SIÈCLE

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dos carmes déchaussés de Tripoli de Syrie et du Mont-Liban, fut chargé de cette mission..Muni des lettres habituelles, il partit aussitôt. Il arriva à Rome le 13 février 1705, et, le 22, il rut son audience. Après avoir présenté au pape l’hommage filial des maronites. il lui exposa le but de sa mission et les désirs du patriarche. Clément XI ne se contenta pas d’accorder ce qu’on’demandait. Il voulut marquer par un acte solennel sa bienveillance à l’endroit des maronites : le lendemain (23 février), en présence des cardinaux. des évêques et de la noblesse romaine, il célébra une grand’messe pour le patriarche et son peuple. Puis, au consistoire du 27 avril, il confirma le nouvel élu et lui conféra le pallium. Le destinataire eut tout juste la joie d’en prendre connaissance et d’être revêtu du pallium : le P. Élie rentrait de Rome le 10 octobre 1705 ; la veille de la Toussaint, le patriarche mourait subitement. Voiries documents dans le Cod. Vai. lat. 7262, fol. 139, 144-149, et dans Anaïssi, Collect., p. 133137. Nous ne connaissons du bref de confirmation qu’une traduction arabe : elle se trouve dans le Cod. Vat. lut. 7258, fol. 118. Le bref est du 10 juin 1705. Cf. aussi Ristelhueber, p. 233-236.

Ce fut Jacques’Aouad qui succéda le 6 novembre à Gabriel de Blauza. Il dépêcha à Rome le P. Ferdinando di S. Liduvina, vicaire des carmes en Syrie, et fut confirmé sur le siège d’Antioche par la lettre Romani Pontificis du 21 février 1706 ; le pallium lui fut accordé, à la postulation de Camille Spreti, avocat consistorial, le 21 mars suivant. Lettre Cum nos nuper, 21 mars 1706. Anaïssi, Bull., p. 186-197. Le pape reproduit dans la lettre de confirmation la formule de profession de foi, prescrite aux Orientaux par Urbain VIII, formule plus complète que celle de Grégoire XIII pro Grœcis, et à laquelle le Saint-Office donna, en 1665, la préférence. (Voir la constit. Allatæ sunt de Benoît XIV, 26 juillet 1755, § 17 ; une lettre du cardinal Borgia, préfet de la Propagande aux patriarches et évêques orientaux, 6 juillet 1803, dans Anaïssi, Bull., p. 451-454.) La formule du serment de fidélité, que le patriarche doit prêter, suit la profession de foi.

D’un esprit bien nourri, d’une éloquence alerte et saisissante, doué, au surplus, de manières distinguées et d’une politesse exquise, Jacques’Aouad n’avait cependant pas rallié tous les suffrages de l’assemblée électorale. Le fait accompli, consacré par la plus haute autorité de l’Église, ne désarma pas la colère de ses ennemis. Bien qu’elle fût vieille de près de quatre ans, l’élection dAouad était encore, en 1709, regrettée par eux. Voir une relation de Mgr’Abdallah Qaraali, élevé à l’épiscopat par le patriarche’Aouad en 1716, dans Chartoûnî, Chronologie des patriarches maronites, p. 182. Au rapport de Germanos Farhàt, sacré évêque également par le patriarche’Aouad, ce dernier ne savait pas gagner la sympathie de son clergé et de son peuple. Ibid., p. 45. Estelle, consul de France à Sidon, le jugeait comme un homme de science, mais peu fait pour gouverner ; il lui reprochait, d’être « hautain, remuant, avaricieux ». Ristelhueber, op. cit., p. 238. Le parti de l’opposition ne manqua pas d’exploiter ces griefs pour capter la confiance du public et faire éclater un scandale retentissant, de nature à l’acculer à l’extrême. Les missionnaires, eux-mêmes, oublieux de leur vocation pacifique, ne furent pas étrangers aux machinations ourdies contre le patriarche. Voir R. Ristelhueber qui, à l’aide de documents et de rapports officiels contemporains, conservés aux Archives nationales et au ministère des affaires étrangères de Paris, trace un tableau saisissant des événements de cette période, op. cit., p 210-271. Des rumeurs malveillantes commencèrent à circuler : elles pénétraient dans le clergé,

dans le peuple, dans toutes les classes de la société : on accusait Mgr’Aouad de crimes qui soulevaient l’indignation des honnêtes gens. En 1709, le scandale se trouvait tellement grossi que les évêques crurent le moment venu de faire un procès canonique et de prononcer la déposition du patriarche. A cet effet, ils se réunirent, en 1710, au couvent de Mar Sarkis et Bakhos (saints Serge et Bacchus), à Raïfoun dans le Kasrawàn. L’affaire ne traîna pas. On fil un simulacre de tribunal ; on instruisit sommairement la cause cl la sentence fut celle que le public pouvait attendre. En revanche, l’exécution de la sentence revêtit la forme solennelle d’une dégradation réelle : le patriarche, amené devant l’assemblée épiscopale, fut soumis au dépouillement matériel de tous les insignes pontificaux. Debs, op. cit., t. viii, p. 511 ; M. Ghabricl, op. cit., t. ii, p. 551. Privé de tout pouvoir d’ordre et de juridiction, Jacques’Aouad fut interné, sous bonne garde, au monastère de Loaïsah (Kasrawàn). Il s’agissait maintenant de lui donner un successeur. Tout d’abord, on nomma un administrateur patriarcal. Puis on se réunit pour l’élection, et, d’accord, on désigna Mgr Joseph Mobarak, originaire de Raïfoun. Relations de Qaraali et de Farhàt, dans Chartoûnî, op. cit., p. 45-46, 182-183. Le scandale était à son comble ; il faisait la désolation des gens de bien et « causait naturellement aux maronites, dit M. Ristelhueber, un énorme préjudice. Les grecs schismatiques étaient charmés de leur reprocher les crimes de leur patriarche. Les musulmans eux-mêmes en avaient fait des couplets que leurs enfants se donnaient le malin plaisir de chanter quand ils rencontraient des chrétiens. Quant à Estelle (consul de France à Sidon), il en avait « le cœur percé ». Il regrettait d’autant plus cette lamentable affaire qu’il était persuadé avoir pu l’éviter, s’il en avait été prévenu à temps par son collègue de Tripoli. » Op. cit., p. 243.

Que Jacques’Aouad ait donné prise à la critique : qu’il se soit montré trop fier, trop satisfait de sa personne, c’est possible ; mais qu’il ait commis les crimes abominables dont on l’accusait, on ne peut l’admettre. « Les accusations formulées contre le patriarche étaient ! si graves qu’elles lui (à Naufel El-Khazen, consul de France à Beyrouth) semblaient peu croyables. Il redoutait que les évêques n’eussent mis une certaine passion à charger leur supérieur. » Ristelhueber, op. cit., p. 241-242. Poullard, ancien vice-consul de France à Tripoli de Syrie, qui, après avoir quitté cette ville pour occuper, de 1708 à 1711, le consulat de Tripoli de Barbarie, retournait en Syrie comme successeur d’Estelle à Seïde, se trouva péniblement surpris de la triste situation faite au patriarche. Il connaissait bien Jacques’Aouad ; il avait toujours apprécié ses mérites. Il prit donc sa défense et le protégea jusqu’au bout. Cela montre que les délits reprochés à Jacques n’étaient pas aussi manifestes ni aussi certains qu’on voulait bien le prétendre. D’ailleurs, la relation d’une visite faite, en 1721, au patriarche à Qannoûbîn par un jésuite, nous confirme dans notre conviction : « Le patriarche avec les religieux et quelques évêques maronites qui sont auprès de lui, écrivait le P. Petitqueux au P. Fleuriau, vivent tous dans une union parfaite et dans une simplicité et une pureté de mœurs très exemplaire ; les fautes les plus légères y sont sévèrement punies. Le couvent, tout pauvre qu’il est, reçoit charitablement les étrangers par esprit d’hospitalité. » Lettres édifiantes et curieuses. Mémoires du Levant, t i, Lyon, 1819, p. 180-181.

Quoi qu’il en soit, on ne peut contester les torts du clergé et notamment de l’épiscopat : En saisissant de la question l’opinion publique, ils jetèrent de l’huile sur le feu et les imaginations s’échauffèrent a l’extrême. Les évêques avaient mis trop de hâte a casser leur chèi