Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

861 MESS]-. DANS L’ECRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SES RITES 862

dans l’ordre où elles se suivaient au temps de 1 apologiste, on peut le croire raisonnablement pour le motif suivant :

A l’origine, un très grand nombre de fidèles, ceux qui venaient du judaïsme, avaient antérieurement à leur conversion fréquenté la synagogue. Dans les premières années, plusieurs s’y rendaient encore, après être devenus disciples de Jésus. Certains d’entre eux y prenaient même la parole et y prêchaient le Christ. Ainsi faisait Paul à Damas, dans l'île de Chypre, à Antioche de Pisidie, Iconium, Thessalonique, Bérée, Corinthe, Éphèse. Act., ix, 20 ; xiii, 5, 14, 43 ; xiv, 1 ; xvii, 1, 10, 17 ; xviii, 4, 19, 26. Rien de plus naturel ni de plus habile, rien aussi de plus légitime. Jésus avait lui-même donné l’exemple, Luc, iv, 16. Les exercices religieux qui s’accomplissaient à la synagogue n’avaient rien de répréhensible, au contraire.

Mais, parce que les premiers fidèles durent se grouper entre eux pour les lectures et prédications, prières et rites spécifiquement chrétiens, parce que l'Église locale admit tôt ou tard dans son sein des néophytes venus du paganisme, parce qu’enfin la Synagogue un jour ou l’autre blasphéma Jésus, puis excommunia ses disciples, les convertis abandonnèrent peu à peu les offices religieux d’Israël pour ne plus se réunir qu’avec leurs coreligionnaires. Les juifs de la veille furent tout naturellement portés à introduire dans leurs assemblées tout ce qu’ils pouvaient garder de la synagogue. A coup sûr, des changements s’imposèrent ; à la Bible juive se joignirent bientôt sur le pupitre du lecteur, les écrits du NouveauTestament, entre lesquels un relief spécial fut donné à l'évangile ». Les croyances nouvelles influèrent sur le texte des prières et des homélies, le choix des leçons bibliques et des cantiques sacrés. Tandis que la célébration du sacrifice juif ne pouvait s’accomplir qu’au Temple, les -chrétiens furent obligés par l’ordre du fondateur de leur religion de réitérer en leurs assemblée l’offrande eucharistique. Ainsi, en ajoutant quelques éléments nouveaux, « l'Église accepta en bloc tout le service religieux des synagogues ». Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1889, p. 48.

Ceci étant, que l’on examine de nouveau l’ordre des cérémonies de l’assemblée chrétienne, tel que le décrit saint Justin. Si on excepte l’acte final, les collectes, tout ce qui se passe depuis le moment où on donne le baiser de paix (n. 6, 7, 8, 9, 10) est spécifiquement chrétien, et l’ordre dans lequel se déroulent tous les actes de cette secondepartie est commandi par les circonstances : il ne peut pas être différent.

Restent les premières opérations : or, on l’a remarqué, elles étaient en usage dans le service du samedi matin. Voir Schùrer, op. cit., p. 450-463 ; Elbogen, Der jùdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1913. On y trouve :

Réunion le sabbat ;

Lecture de la loi et des prophètes ;

Homélie ;

Bénédictions et prières pour toutes les classes de

personnes ; Prière pour la paix.

Certaines similitudes apparaissent. On a donc conclu qu'à l'âge apostolique, au moment où l'Église se détachait du monde juif, elle a dû lui emprunter pour la première moitié du service religieux l’ordre des opérations du service de la synagogue, celui qui était encore suivi au temps de saint Justin.

Aux opérations qui étaient communes aux juifs et à eux, les chrétiens n’ont eu besoin que d’ajouter la cène eucharistique proprement dite. Donc, si on énumère d’abord, selon l’ordre adopté par l’apologiste, la série des actes religieux attestés par le Nouveau Testament pour les faire suivre de la prière eucharistique telle que

la prescrivent les autres récits de la cène, on obtient les grandes lignes de la messe avec les deux services qui, dès l’origine et jusqu'à nos jours, se succèdent dans toutes les liturgies. Il y a d’abord la préparation appelée aussi messe des catéchumènes, simple forme christianisée de l’ancien service de la synagogue. Vient ensuite la synaxe eucharistique dite messe des fidèles. Les détails, prières, attitudes, gestes, varient avec les siècles et pays. Des arrangements multiples, de nombreuses variantes ont produit les diverses liturgies : toutes remontent à ce même type primitif. Fortescue, La messe, études sur la liturgie romaine, trad. Boudinhon, Paris, 1921, p. 10-11 ; Cabrol et Leclercq, Monumenta Ecclesix liturgica, Paris, 1900, t. i, p. xix-xxxii ; Cabrol, Origines liturgiques, Paris, 1906, p. 330-333 ; Baumstark, Die Messe im Morgent and, Munich, 1906, p. 24-26 ; Vom geschichtlichen Werden der Liturgie, Fribourg, 1923, p. 13 sq.

Peut -on pousser plus loin les comparaisons, rapprocher les prières et usages chrétiens primitifs de formules et de rites juifs de l'époque, par exemple de ceux de la Pàque ou du Kiddousch, c’est-à-dire du repas de la veille au soir du sabbat ?

Déjà on a démontré l’originalité absolue et irréductible de ce qui caractérise la cène chrétienne : l’emploi des mots Ceci est mon corps, ceci est mon sang, prononcés sur le pain et la coupe eucharistique : on ne trouve rien d'équivalent ni dans la Pâque ni dans le Kiddousch. Cf. Eucharistie, col. 1110-1112 ; E. Mangenot, Un soi-disant antécédent juif de l’eucharistie, dans Revue du clergé français, 1905, t. Lvn, p. 385 sq., reproduit dans Les évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 435 sq.

Quant à la liturgie qui encadre les deux formules prononcées sur le pain et la coupe, les auteurs mêmes qui ont voulu la comparer avec les cérémonies du rituel pascal (Probst, Bickell, Thibaut) ou avec celles du Kiddousch (Von der Golz, Drews, Rauschen), justifient leur sentiment, non par un examen de textes bibliques, mais par l'étude d’autres documents (par exemple la Didachè ou les Constitutions apostoliques).

Si on ne considère que les écrits du Nouveau Testament, il est, pour plusieurs raisons, impossible de prouver que les prières et usages non essentiels de la cène apostolique se rattachent à ceux des juifs. D’abord, il n’est pas démontré qu'à cette époque, chez les premiers disciples, des formules et des rites officiels soient uniformément répétés dans toutes les églises ou dans plusieurs, ou dans l’une d’elles. Déplus, s’il y en a, les écrits bibliques ne nous les font pas connaître avec précision : on peut tout au plus affirmer (voir plus haut) que certains passages du Nouveau Testament nous donnent une idée de ce qu'était la prière de l'époque. D’autre part, sur l'âge, la teneur primitive, l'étendue de l’emploi de certaines prières juives, on est loin d’avoir des renseignements indiscutables. Enfin, comme le fait observer Fortescue, op. cit., p. 100, « il est dangereux de pousser la comparaison avec un groupe quelconque de prières juives, et de conclure que ce groupe de prières est le prototype de la liturgie chrétienne… parce que des formules identiques » ou assez semblables les unes aux autres « reviennent sans cesse dans tous les services religieux des juifs ».

A coup sûr, on peut, sans avoir besoin d’appuyer cette affirmation sur aucun témoignage primitif, être certain que les premiers chrétiens venus du judaïsme ont été tout naturellement portés à employer dans la liturgie de la cène les formules dont ils avaient jusqu’alors fait usage, les formules qu’ils savaient par cœur, les formules qui ne contredisaient en rien les doctrines nouvelles et avaient même pu être prononcées par le Christ. « Mais quels services ont