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855 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE C HRÉTIENNE : SES RITES 856

4° Le repas du Seigneur s’encadrait-il entre des rites et des prières complémentaires ? — Dans une’même phrase, le livre des Actes juxtapose immédiatement à la fraction du pain, des prières comme si elles suivaient le rite. Il ne détermine d’ailleurs ni leur place ni leur contenu. A Troas, Paul a parlé avant et après la célébration de l’eucharistie. Act., xx, 7, 11.

Ces renseignements sont des plus précieux. Pourtant on désirerait pouvoir les compléter. Il est des hypothèses qui ne manquent pas de vraisemblance. Le Christ a enseigné une prière à ses disciples, le Pater ; l’oraison dominicale se sera placée tout naturellement sur les lèvres des premiers chrétiens lorsqu’ils participaient au repas du Seigneur. Ne contient-elle pas cette demande : « Donnez-nous aujourd’hui le pain nécessaire à notre subsistance. » Matth., vi, 11.

De même, puisque la communauté chrétienne réitérait le repas d’adieu, elle a pu être naturellement portée à rappeler quelques-unes des paroles prononcées par Jésus à la dernière cène. Une tradition qui s’est fixée dans le quatrième évangile en conservait un assez grand nombre. Sans doute, cet écrit parut à une date tardive, quand déjà depuis longtemps les chrétiens célébraient la fraction du pain. Mais les souvenirs qu’il enregistre étaient connus dans beaucoup de milieux avant d'être consignés par écrit. Comment donc ne pas supposer que les membres des toutes premières communautés ne s’en soient pas inspirés, alors que les liturgies beaucoup moins anciennes, celles qui sont encore en vigueur (par exemple le missel romain actuel : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix) ont puisé à cette source ? En fait, dans les plus anciens textes liturgiques, ceux de la Didachè, on relève des allusions aux paroles contenues dans les discours du quatrième évangile. Il sera facile de le démontrer. Les prières proposées par la Didachè pour l’action de grâces ont des « airs de famille » avec l'évangile de saint Jean, Batiffol, op. cit., p. 75, spécialement avec les paroles sur le pain de vie, vi, avec le dernier discours que le Christ adressa aux Douze, xm-xvii, plus encore avec la prière qui le termine, xvii. On sait qu'à cause de son contenu, beaucoup de critiques, même détachés de toute confession religieuse, ont voulu voir en ce dernier morceau une oraison sacerdotale, celle qui accompagnait le sacrifice du grand prêtre de la Nouvelle Loi.

Certes, il est impossible de soutenir, comme l’a fait Loisy, que cette prière a pu être Vanaphore, l’eucharistie d’un prophète. L’hypothèse est démentie par le ton très solennel d’une prière qui ne peut être placée sur les lèvres d’un homme ordinaire. Du moins, il semble certain que cette oraison et le dernier discours de Jésus à la cène ont dû suggérer maintes locutions aux présidents qui improvisaient la prière eucharistique dans les premières chrétientés. C’est ce qu’affirment beaucoup d’historiens de la liturgie.

L’un d’eux, le P. Salaville, l’a fait observer avec une ingénieuse sagacité : « Le fait de voir unie dans ce discours d’adieu la pensée de la parousie, de la résurrection, de l’ascension et de la pentecôle ; l’insistance de Jésus à parler de l’activité future du Saint-Esprit, le tout en relation directe avec l’eucharistie qui vient d'être instituée et avec la prière que le Sauveur recommande de faire en son nom, c’est-à-dire la divine liturgie, tout cela est bien de nature à porter à croire que le canon de la messe s’est inspiré de ce discours. » Art. Épiclèse, t. v, col. 223.

C’est dans ces chapitres de saint Jean que le même auteur trouve « le fondement scripturaire de l'épiclèse ». Loc. cit., col. 224. A plusieurs reprises en effet, il est parlé du Paraclet dans le discours de la cène. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les chrétiens ont introduit dans l’euchologe de la fraction du pain

la prière qui sollicite du Père l’envoi de l’Esprit-Saint afin qu’il rende témoignage à Jésus, Joa., xv, 26, et qu’il le glorifie, xvi, 14. Ainsi l’eucharistie devient la théophanie des trois personnes si intimement unies dans les derniers entretiens du Seigneur avec ses Apôtres. Joa., xm-xvi. A la cène chrétienne se rattachent les grandes promesses faites par Jésus en son discours d’adieu : il reviendra, il enverra le Saint-Esprit, les prières faites en son nom seront exaucées. N’y aurait-il pas là un des motifs tirés de la sainte Écriture pour lesquels les liturgies ont fait place à une épiclèse dans la série des prières eucharistiques ? Salaville, loc. cit., et Les fondements scripluraires de V épiclèse, dans Échos d’Orient, 1909, p. 8-9.

Quelque vraisemblables que soient ces hypothèses, elles ne s’imposent pourtant pas rigoureusement. Au contraire nous connaissons avec certitude par de nombreux témoignages épars dans les livres du Nouveau Testament certains usages religieux des premiers chrétiens. v

De nombreuses attestations des écrits ap./stoliques mentionnent les assemblées chrétiennes où se rencontrent pauvres et riches, Jac, ii, 2, et que déjà certains désertent. Hebr., x, 25. Les hommes se présentent tête nue, les femmes la tête voilée. I Cor., xi, 6-7. On prie debout, à la manière juive, en levant vers le ciel des mains pures. I Tim., ii, 8. On fait des lectures : « Toute Écriture est divinement inspirée, elle est utile pour enseigner, convaincre, corriger, former à la justice. » II Tim., iii, '16. Aussi les livres de l’Ancien Testament que les chrétiens nomment avec vénération et que parfois ils expliquent dans les synagogues, Act., xiii, 15, ne sont pas exclus des réunions chrétiennes. Mais on y lit aussi les lettres de saint Paul, I Thess., v, 27, et des chefs de l'Église Act., xv, 31.

La prédication tient une place importante, sous diverses formes : on enseigne, on exhorte, on commente les Livres saints ; nombreux sont les témoignages surtout ceux du livre des Actes et des Épîtres pastorales qui l’attestent. Mais les femmes n’ont pas mission de parler dans les assemblées chrétiennes : il leur est interdit de le faire. I Cor., xiv, 34. Pour l'édification de la communauté on entend aussi des prophètes, des glossolales, et ceux qui interprètent leur langage lorsqu’ils ne le font pas eux-mêmes. I Cor., xii, 10, 28, 30 ; xiv, 2-39.

Y a-t-il des offrandes ? On apporte certainement le pain et le vin nécessaire pour le repas du Seigneur. Mais nous ignorons par qui et comment ils sont offerts. A Jérusalem, dans les premiers jours, les fidèles mettaient leur bien en commun. Nous savons aussi qu’un service d’assistance est organisé, Act., vi, 1, qu’on pourvoit à la subsistance des veuves, Act., vi, 1, qu’on distribue les aumônes recueillies dans les autres chrétientés. I Cor., xvi, 3 ; Gal., ii, 10. Met-on à profit pour recueillir ces dons ou distribuer ces secours l’assemblée où se célèbre la fraction eucharistique ? C’est possible : toutefois le texte ne l’affirme pas. Act., xx. A Troas n’est mentionnée que la fraction du pain. A Corinthe les fidèles apportent des provisions ; mais ce n’est ni pour les mettre" en commun ni pour les donner aux pauvres ; des riches laissent même des frères manquer du nécessaire à leur côté et connaître la faim. Saint Paul flétrit cet abus. Mais que demandet-il ? La suppression du repas profane ou le partage entre tous des provisions de chacun ? On a vu que la question est controversée. L’Apôtre, il est vrai, adresse aux Corinthiens dans la même lettre la recommandation suivante : « Quant à la collecte en faveur des saints, suivez, vous aussi, les prescriptions que j’ai données aux Églises de la Galatie. Le premier jour de la semaine, que chacun de vous mette à part chez lui et amasse ce