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851 MESSK DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRETIEN NE : SES RITES 852

Tous les interprèles de ce morceau s’accordent à le reconnaître : l’habitude d’unir la cène eucharistique à un repas profane avait à Corinthe provoqué de graves abus. Les fidèles formaient des groupes distincts. Us ne s’attendaient pas les uns les autres. Chacun consommait ses propres provisions. Les uns étaient trop bien pourvus et les autres avaient faim. Certains ne rougissaient pas de s’enivrer. Cf. Prat, op. cil., t. i, p. 167.

Mais, sur l’attitude que prend saint Paul en face de ces désordres, l’accord est loin d'être complet. Les historiens qui croient à l’existence d’une agape primitive, ou du moins d’un repas profane dans lequel se plaçait la fraction eucharistique, soutiennent que saint Paul se contente Lci de condamner les abus sans exiger qu’on cesse d’unir la cène à un banquet fraternel. L’Apôtre ordonne aux fidèles de s’attendre pour commencer le repas, xi, 33 ; de ne pas former des groupes qui s’isolent les uns des auties, xi, 18 ; de mettre en commun leurs provisions, xi, 21 ; d'éviter tout excès, xi, 21-22. Plutôt que de commettre pareils abus, on doit manger et boire dans sa maison avant de se rendre à l’assemblée chrétienne, xi, 22, 34. En un mot, l’Apôtre veut que le banquet fraternel ne soit pas en opposition flagrante et grossière avec le repas du Seigneur qui doit suivre. Il réglemente l’agape, donc il ne la réprouve pas. S’il agit ainsi, ne peut-on pas supposer qu’elle est en usage non seulement à Corinthe, mais dans les autres chrétientés fondées par Paul ? C’est une « des institutions du siècle apostolique ». Prat, op. cit., p. 106. Il y a là une « pratique très répandue, celle d’un repas semi-liturgique pris en commun et dont la loi fondamentale est l'égalité de traitement entre les convives et la frugalité des mets qu’on y prend ». Leclercq, op. cit., col. 785. Sans doute, les fidèles ont voulu reproduire plus parfaitement le repas d’adieu du cénacle ; ou encore des coutumes chères au monde antique se sont introduites dans l'Église : l’agape serait une imitation chrétienne soit de repas juifs, par exemple du Kiddusch, soit des festins de collèges, de corporations, soit même des usages religieux qui accompagnaient la manducation des viandes sacrifiées aux idoles.

Au contraire, P. Batiffol, op. cit., p. 100, Ladeuze, Pas d’agape dans la première épîlre aux Corinthiens, dans Revue biblique, 1904, p. 78-81 ; Thomas, loc. cit., soutiennent que saint Paul « interdit absolument » l’usage d’unir la cène à un repas collectif de la communauté chrétienne. L’Apôtre commence par déclarer que les réunions de Corinthe ne sont plus le repas du Seigneur, xi, 20. Aussi oppose-t-il à ce qu’il condamne, au festin fantaisiste et déformé, la cène normale et prescrite, celle du Christ, c’est-à-dire uniquement la communion au pain rompu et au vin béni, xi, 23-25. Voilà, est-il affirmé à deux reprises, ce qu’il faut faire, en mémoire de Jésus, xi, 24, 25 ; c’est l’acte qui annonce la mort du Seigneur, le reste est tout à fait déplacé. Saint Paul n’examine pas si les intentions des Corinthiens ont été bonnes, s’ils ont voulu reproduire plus complètement la cène primitive. Il sait seulement qu’ils ont tort, et déclare ne pouvoir les louer pour leur initiative si malheureuse et dont les conséquences ont été déplorables, xi, 22. Si l’Apôtre avait condamné seulement les abus, aurait-il dit : « N’avez-vous pas vos maisons pour manger et pour boire ? Avez-vous l’intention de mépriser l'église de Dieu ? » xi, 22, cꝟ. 34. Ces mots censurent-ils seulement l’ivresse et la gloutonnerie, les scissions et la vanité? Ne condamnent-ils pas aussi l’usage d’unir à la fraction eucharistique un repas profane collectif ?

Les conseils que donne l’Apôtre pour remédier à la situation ne semblent pas moins clairs. Paul demande aux fidèles de s’attendre les uns les autres, xi, 33. Si elle

s’applique à un repas proprement dit, cette recommandation ne supprime pas, dit-on, les inconvénients provenant de l’inégalité des commensaux et des apports qu’ils pouvaient faire au repas commun, elle les accentue et les souligne. Thomas, op. cit., col. 150. C’est donc pour commencer le repas du Seigneur, la fraction eucharistique du pain, que les fidèles doivent s’attendre. L’observation qui suit serait, elle aussi, très significative : « Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison. » xi, 34. En d’autres termes, le repas du Seigneur n’est pas fait pour nourrir, rassasier les convives, mais uniquement pour rappeler sa mémoire, annoncer sa mort, faire participer les fidèles à son corps et à son sang, xi, 24-26. Aussi doit-on dire que l’usage d’unir la cène du Christ à un repas profane n’est pas une coutume introduite par saint Paul dans toutes les chrétientés fondées par lui : c’est une pratique locale et non universelle, abusive et non légitime, suggérée peut-être par « le mauvais exemple des associations religieuses païennes », Batiffol, loc. cit., et non par un commandement du Christ ou des apôtres. Il doit disparaître.

A coup sûr, les remarques faites par les adversaires de l’agape apostolique universelle ne sont pas négligeables. Toutefois, quand on lit les recommandations de l’Apôtre, un doute surgit : Si Paul avait voulu interdire absolument toute association d’un repas ordinaire à la cène eucharistique, n’aurait-il pas fait connaître sa volonté en termes moins ambigus et plus impératifs ? La solution ne serait-elle pas la suivante : saint Paul rappelle ici que l’essentiel, ce qui seul importe, c’est le repas du Seigneur, la fraction du pain et la bénédiction de la coupe eucharistique, les gestes qui reproduisent ceux de la cène primitive. Le reste, le repas proprement dit, n’est qu’accessoire, n’a pas de valeur et peut devenir dangereux ; en fait il a engendréde déplorables abus. L’Apôtre les condamne sévèrement et veut qu’ils disparaissent. Il ne croit pas encore pouvoir interdire absolument le repas proprement dit. Mais le principe qu’il a posé entraîne sa disparition. Puisque seul le repas du Seigneur a de l’utilité, de la valeur, une raison d'être, le reste est condamné à disparaître. Vôlker, op. cit., p. 77. Cette hypothèse admise, le cas de Corinthe apparaît comme un fait isolé et purement local. Ce qui est certain, c’est qu’on ne trouve ici aucune trace de l’agape proprement dite, telle qu’on la rencontre beaucoup plus tard, c’est-à-dire un repas de charité offert par la communauté chrétienne à ses pauvres ou à une catégorie de malheureux. L’Apôtre ne dit pas un mot d’une telle institution ni pour la louer ni pour la combattre.

Peut-être est-il encore question d’agapes dans Jud., v, 12 et dans II Petr., ii, 13. Encore n’est-il pas absolument démontréque le texte porte, àYctroxiç, agapes et non àroàTaiç, voluptés. Si on préfère la première leçon, reste à déterminer quel est le sens du mot en cet endroit. S’applique-t-il à la charité ou aux repas fraternels ? Cette seconde signification étant admise, on n’est paà plus avancé, puisque le contexte ne dit pas si ces agapes étaient unies ou non à la fraction eucharistique du pain.

2° Quand et où se célèbre la fraction eucharistique des chrétiens ? — C’est le soir venu, dans la nuit, I Cor., xi, 23, qu’eut lieu le dernier repas du Christ avec les Douze, avant sa mort. Un seul texte nous renseigne en termes exprès sur le moment où se célèbre la cène chrétienne, celui qui raconte la fraction à Troas. Elle eut lieu pendant la nuit. Act., xx, 7, sq. Il en était sans doute de même à Corinthe. Pour ce motif probablement l’Apôtre rappelle que la cène primitive fut célébrée la nuit, non certes dans une nuit d’amusement et d’ivresse, mais dans une nuit tragique entre toutes, celle où le Christ fut livré, xi, 23. Enfin, à